Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

Comment faire de l’exposé oral un vrai moment d’apprentissage ?

Sylvaine GAUTIER, University of Cyprus, Chypre


Résumé
Certes, l’exposé oral – couramment pratiqué dans les cours de Français Langue Étrangère, Français sur Objectifs Universitaires et Français sur Objectifs Spécifiques – est une tâche pédagogiquement pertinente à la lumière des théories d’apprentissage dominantes et s’inscrit dans la perspective actionnelle, telle que la définit le Cadre Commun Européen de Référence (2001 : 15). Il n’en demeure pas moins une tâche complexe qui sous-tend la mobilisation de nombreuses ressources cognitives et méthodologiques (Bourguignon, 2006, p63).
Au vu des difficultés rencontrées par les apprenants, la répétition d’une pratique méthodologique s’inspirant des théories de l’enseignement explicite, particulièrement du modèle de Bissonnette, Gauthier et Richard (2007, 2013), permet-elle (1) une appropriation des savoirs et compétences à acquérir, une réelle procéduralisation ? (2) une autonomisation progressive de l’apprenant et le développement de sa confiance en soi ?


Abstract
How can oral presentations lead to a true moment of learning ?
It is definite that oral presentations - routinely adopted in French as a Foreign Language, French for Academic Purposes and French for Specific Purposes courses - is a pedagogically relevant task within the dominant learning theories and falls within the task-oriented approach as defined by the Common European Framework of Reference for Languages (2001 : 15). Nevertheless, it remains a complex task that requires the mobilization of numerous cognitive and methodological resources (Bourguignon, 2006 : 63).
In view of the difficulties facing learners, does the repetition of a methodological practice inspired by the theories of explicit teaching, particularly the model of Bissonnette, Gauthier and Richard (2007, 2013) allow for : (1) An adoption of the knowledge and skills to be acquired, a real internalisation of the process ? (2) Gradual empowerment of the learner and the development of their self-confidence ?


Les apprenants, du moins au niveau universitaire, sont amenés à faire des exposés oraux face à la classe dans diverses disciplines, dont le Français langue Étrangère, le Français sur Objectifs Universitaires et le Français sur Objectifs Spécifiques. Or, les apprenants savent-ils préparer et présenter un exposé oral ? Ont-il appris à en faire ? Et qu’en retirent-ils ?
L’expérience nous a malheureusement souvent montré que l’exposé tend à devenir un temps où les regards en classe se vident, de nombreux élèves ne pouvant pas se concentrer pour écouter des exposés oraux peu cohérents, pas assez explicites, lacunaires, tirés d’un copié-collé aboutissant à un discours incompréhensible pour la classe… En effet, l’exposé oral est une tâche complexe et difficile à préparer et à présenter.
Face à ce constat, nous nous sommes interrogés sur les objectifs d’apprentissage fixés et sur la méthodologie à mettre en place pour que la préparation et la présentation de l’exposé oral deviennent un vrai moment d’apprentissage. Nous avons développé une méthodologie guidée et explicite, s’inspirant des courants de pédagogie explicite, et qui constitue en fait une tentative de remédiation visant à permettre au maximum d’étudiants d’atteindre les objectifs d’apprentissage fixés, la remédiation étant « un dispositif plus ou moins formel qui consiste à fournir à l’apprenant de nouvelles activités d’apprentissage pour lui permettre de combler les lacunes diagnostiquées lors d’une évaluation formative ». (Raynal & Reunier, 1998 : Pédagogie).
Notre problématique était donc la suivante : au vu des difficultés rencontrées par les apprenants lors de la préparation et la présentation de l’exposé oral, la répétition d’une pratique méthodologique guidée et séquencée, telle que le préconisent les théories de l’enseignement explicite, permet-elle
1) une appropriation des savoirs et compétences à acquérir, une réelle procéduralisation ?
Retenons ici la définition d’Andersen pour qui la procéduralisation est la « phase associative de l’apprentissage : elle consiste essentiellement à associer un but, une situation et une procédure. C’est un processus d’apprentissage lent et coûteux cognitivement […] C’est le processus de transformation de quelque chose que l’on comprend ou parvient à réaliser par tâtonnement en quelque chose que l’on sait faire de façon explicite et contrôlée ». (cité par Musial, Pradère et Tricot, 2012 : 7)
2) une autonomisation progressive de l’apprenant et le développement de sa confiance en soi ?
Après avoir formulé le cadre théorique de l’expérimentation menée, nous en présenterons le contexte, ainsi que la méthodologie suivie. Nous résumerons ensuite les résultats de l’enquête post-expérimentation menée auprès des étudiants et tenterons d’analyser les représentations des apprenants et de l’enseignante concernant les questions posées ci-dessus.

1.L’EXPOSÉ : QUELLE PLACE PARMI LES THÉORIES D’ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE DES LANGUES ?
1.1. Une pratique pédagogique pertinente à la lumière des théories d’apprentissage dominantes

Rappelons tout d’abord que, même si la pratique pédagogique de l’exposé est peu traitée dans la littérature de didactique des langues, l’exposé oral, depuis les diverses étapes nécessaires à la préparation jusqu’à la présentation en classe, constitue une tâche pédagogiquement pertinente à la lumière des théories d’apprentissage dominantes. Conformément à l’approche cognitiviste, l’apprenant apprend en restructurant constamment ses connaissances et il intègre de nouvelles informations à celles qu’ils a déjà mémorisées et assimilées pour construire son propre savoir, ceci dans une démarche personnelle comme le préconise le constructivisme. Par ailleurs, l’exposé est un acte social dont la préparation se fait en interaction avec son/ses partenaire(s) dans le cas d’un travail de groupe, comme c’est souvent le cas, et/ou avec l’enseignant, devenu guide-médiateur, ou lors d’activités d’évaluation formative par les pairs. De même, lors de la présentation orale en classe, l’apprenant partage avec la classe sa représentation, son savoir construit sur un sujet, ces diverses interactions consolidant alors ses connaissances selon la théorie socioconstructiviste.

1.2. L’exposé, une tâche s’inscrivant dans la perspective actionnelle

Tout d’abord, rappelons que l’exposé constitue une tâche qui s’inscrit dans la perspective actionnelle, qui vise à pourvoir l’apprenant d’une compétence de communication langagière s’inscrivant dans des compétences plus globales et transversales nécessaires à l’acteur social en devenir. Perspective actionnelle qui, selon le Cadre Commun Européen de Référence pour les Langues, « considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) […], la tâche [étant le fait] d’un (ou de plusieurs) sujet(s) qui y mobilise(nt) stratégiquement les compétences dont il(s) dispose(nt) en vue de parvenir à un résultat déterminé. La perspective actionnelle prend donc aussi en compte les ressources cognitives, affectives, volitives et l’ensemble des capacités que possède et met en œuvre l’acteur social. » (2001 : 15).

1.3. L’exposé oral, une tâche complexe

Selon le CECR, « une tâche peut être tout à fait simple ou, au contraire, extrêmement complexe […]. Le nombre d’étapes ou de tâches intermédiaires pouvant être plus ou moins grand. » (Ibid.). Or, l’exposé représente une tâche complexe « qui comporte des sous-tâches […] directement orientée[s] vers [sa] réalisation » (Nissen, 2011 : 12) et qui « sous-tend une mobilisation de nombreuses ressources cognitives et méthodologiques » (Bourguignon, 2006 : 63) telles que
 la méthodologie de recherche, sélection et hiérarchisation des sources,
 le repérage et la compréhension globale des idées essentielles des documents sélectionnés,
 selon le type de sujet d’exposé, la capacité à analyser un sujet et à formuler une problématique,
 la capacité à analyser les informations et à les restructurer en un plan de synthèse cohérent et pertinent,
 la reformulation/transposition d’un discours écrit de niveau B2-C1 en un discours oral clair et accessible à une classe de niveau B1-B2,
 la maîtrise et l’application des techniques de présentation orale,
 pour les exposés argumentatifs : la maîtrise et l’application des techniques de persuasion,
 la capacité à élaborer un diaporama PowerPoint efficace,
 la capacité à auto-évaluer un entraînement filmé,
 la capacité à corriger ses faiblesses repérées,
 la capacité à évaluer les performances des pairs,
 la capacité à entendre l’évaluation formative des pairs et à en tirer profit pour se corriger lors de l’exposé suivant.

Pour une tâche aussi complexe, on ne peut donc pas compter uniquement sur des connaissances et compétences qu’auraient supposément acquises les étudiants. Comme l’explique Claire Bourguignon, « avec la perspective actionnelle, nous changeons de paradigme. Nous passons du paradigme de la connaissance, de la simplification à celui de la compétence, de la complexité qui ne veut pas disjoindre l’objet et le sujet, la réflexion et l’action, l’apprenant et l’usager mais les conjoindre […] pour que la finalité de l’apprentissage d’une langue […] soit l’utilisation autonome de la langue dans des situations plus ou moins complexes ». (2006 : 63)
Cette complexité de la tâche explique que, comme l’expérience le montre souvent, les apprenants, même au niveau universitaire, aient des difficultés à mobiliser les nombreuses ressources nécessaires à la préparation et présentation d’un exposé. On ne peut donc pas compter uniquement sur des connaissances et compétences qu’auraient supposément acquises les étudiants.

2. L’ENSEIGNEMENT EXPLICITE, UNEPONSE AUX DIFFICULTÉS DES APPRENANTS ?

Comme l’écrivent de Pietro et Schneuwlyn cités par Cuq et Gruca, « tout particulièrement dans le domaine des langues, l’ « acquisition naturelle est survalorisée, idéalisée », l’acquisition, qui serait, d’après Krashen, un processus d’appropriation naturel, implicite, inconscient, qui impliquerait une focalisation sur le sens, alors que l’apprentissage, serait, à l’inverse, artificiel, explicite, conscient, qui impliquerait une focalisation sur la forme » (2002 : 109).
Afin de remédier aux difficultés des étudiants à mobiliser les nombreux savoirs et savoir-faire nécessaires pour présenter de bons exposés en classe, nous nous sommes concentrés sur l’apprentissage conscient, tel que défini par Krashen, et nous avons développé une méthodologie visant à permettre au maximum d’étudiants d’atteindre les objectifs d’apprentissage fixés. Cette méthodologie s’inspire des préceptes préconisés par la pédagogie explicite, à savoir une stratégie d’enseignement favorisant une conscientisation des objectifs et des moyens, structurée en étapes séquencées – le découpage d’une tâche complexe en sous-tâches évitant une surcharge cognitive qui fait obstacle à un vrai apprentissage. Les divers courants de pédagogie explicite développés depuis une quarantaine d’années et ayant gagné en popularité ces dernières années auprès de chercheurs canadiens tels que Steve Bissonnette, Gauthier et Richard ainsi que de chercheurs français, comme Patrick Rayou, Michel fayol, Sylvie Sèbe ou Roland Goigoux pour qui l’explicitation – dès la maternelle et le primaire – permet de mieux outiller les élèves des procédures de base, conditions de réussite et de la compréhension des tâches tandis que des laboratoires comme le CIRCEFT-E.SCOL considèrent que l’explicitation est au cœur de la lutte contre les inégalités scolaires (« Enseigner plus explicitement » : 2-13).
L’enseignement explicite est de type « instructionniste » : il est centré sur l’enseignement, par opposition aux enseignements centrés sur l’apprenant et basés sur une pédagogie de la découverte et il est abondamment décrit dans la littérature sur l’enseignement explicite, la pédagogie explicite ou la direct instruction comme « enseignement efficace ».
Selon Barack Rosenshine (2010), « père » de la pédagogie explicite, l’enseignant efficace commence par définir brièvement les objectifs et par rappeler les apprentissages antérieurs ou prérequis. Il présente la nouvelle notion par petites étapes, chacune étant suivie d’exercices. Il donne des consignes et des explications et des exemples explicites et détaillées, pose beaucoup de questions, vérifie la compréhension des élèves, il guide les élèves, fournit des feedback systématiques pour les exercices que l’élève doit accomplir seul et, le cas échéant, le pilote durant ce travail.
Plusieurs modèles d’enseignement explicite ont été développés, particulièrement concernant la pédagogie en école primaire. Nous avons retenu l’approche de Steve Bissonnette, Clermont Gauthier et Mario Richard (2007 : 107-116) qu’ils définissent en 3 étapes :
1) La mise en situation (l’explicitation du pourquoi) : c’est la présentation des objectifs d’apprentissage et l’activation, la vérification et, au besoin, l’enseignement des prérequis.
2) L’expérience d’apprentissage (l’explicitation du comment) qui se compose :
 du modelage où l’enseignant explique le quoi, pourquoi, comment, quand et où de la manière la plus claire et explicite possible,
 de la pratique guidée où les élèves réalisent des tâches guidées et répétitives avec questionnements fréquents et rétroactions régulières,
 et de la pratique autonome qui est prolongement de la pratique qui permet un niveau de maîtrise élevé des connaissances et leur automatisation.
3) L’objectivation qui est l’identification formelle des concepts, connaissances, stratégies ou attitudes essentiels, étape qui permet la mémorisation à long terme.
Comme nous allons le voir, notre expérimentation s’est inspirée de ce modèle en l’adaptant aux objectifs posés de notre tâche complexe : la préparation et la présentation de l’exposé.

3. L’EXPÉRIMENTATION
3.1. Contexte de l’expérimentation : quels exposés dans quels cours ?

Cette expérimentation, a été menée auprès d’étudiants de 2e année du département d’Études françaises et européennes de l’Université de Chypre. Quinze étudiants ont présenté quatre exposés oraux en classe, répartis dans trois cours de Français Langue Étrangère enseignés par la même enseignante au cours des deux semestres de l’année 2015-2016. La méthodologie de préparation et de présentation de l’exposé oral proposée était progressive et répétitive et elle s’inspirait de la pédagogie explicite.
Au 1er semestre, dans le cadre d’un cours de discours oral et phonétique », les étudiants ont été initiés aux techniques de prise de parole en public et à l’usage adéquat du panorama. C’est dans ce cours que l’enseignante a introduit la méthodologie de préparation et de présentation de l’exposé oral, méthodologie qui a été réutilisée et développée pour les autres exposés. Pour le 1er exposé, présenté dans le cours de discours oral et phonétique, l’objectif étant de se familiariser avec la prise de parole en public et la méthodologie proposée pour l’exposé, les étudiants étaient entièrement libres de leur sujet. Au cours du même semestre, dans le cadre d’un cours de français universitaire axé sur le discours argumentatif, les étudiants ont présenté un plaidoyer. Ils étaient tenus de défendre leur point de vue sur un sujet polémique, de leur choix, et d’essayer de convaincre la classe. Au 2e semestre, dans un cours sur la culture populaire française, ils ont présenté un exposé sur des sujets proposés par l’enseignante, tels que les stars francophones du Net, les personnalités politiques actuelles, la chanson francophone depuis les années 2000… Dans le même cours, leur 4e exposé était une revue de presse dans laquelle ils présentaient 4 sujets essentiels de l’actualité de la semaine.

3.2. Quel environnement numérique ?

Ces cours ont lieu dans une salle multimédia, chaque étudiant ayant à disposition un ordinateur, une connexion Internet et un casque-micro. Les cours ayant lieu en laboratoire, il est donc très aisé d’intégrer en classe les activités en ligne réalisées en dehors de la classe et vice-versa : les apprenants font à distance des activités de découverte, d’observation, de repérage, s’inspirant de la pratique de la classe inversée, ou des activités d’entraînement, ou de renforcement.

Fig 1 – Centralisation de l’information sur Blackboard

L’Université de Chypre utilise la plateforme pédagogique Blackboard (Figure 1). Les étudiants y sont initiés depuis leur 1re année d’études. Blackboard permet de centraliser l’information, de faciliter la communication entre l’enseignante et le groupe-classe et de gérer les travaux évalués (feedback individualisé et publication des notes). Les étudiants ont, à partir de la page Blackboard, un accès direct à aux dossiers du cours Google Drive de notre cours et à la collection Pearltrees de notre cours.
Google Drive (Figure 2) est plus flexible pour la publication de documents régulièrement modifiés et partagés avec la classe, et pour le travail collaboratif - en mode synchrone ou asynchrone. Il permet également une hyperlecture efficace via les hyperliens entre documents du Google Drive et vers d’autres documents en ligne. Il est donc utilisé pour les parcours pédagogiques. Les étudiants ont été progressivement initiés à l’usage de Google Drive dès la 1re année, mais ils n’en deviennent des usagers autonomes (capables de créer des Google docs et de gérer leur statut) qu’en 2e année.

Fig 2 – Exemple de feuille de route réalisée dans Google Drive

Étant donné que nous travaillons principalement avec des documents authentiques en ligne, il faut également les organiser. Nous avons opté pour l’outil Pearltrees (Figure 3) qui permet de collecter, mémoriser, classer et partager des liens vers des pages Web. Ces marques-pages sont regroupés en collections et organisés en arborescence.

Fig 3 – Exemple de collection de perles/page Web dans Pearltrees

3.3. Quelle méthodologie de préparation et de présentation de l’oral ?

Une méthodologie guidée
La méthodologie proposée aux étudiants, en accord avec les préceptes de la pédagogie explicite, est séquencée en étapes. La 1re étape, par le biais d’un remue-méninge et d’une discussion, consiste en une réflexion commune sur l’intérêt de pratiquer l’exposé oral, dans le contexte des études, mais également dans un contexte plus général, social et professionnel. Cette étape constitue ce que Bissonnette appelle la mise en situation. Elle permet de conscientiser la valeur des compétences à développer et d’apporter du sens au travail qui sera fait.
Lors de la 2e étape, les étudiants réfléchissent à une possible méthodologie de préparation de l’exposé. Suit la lecture du descriptif méthodologique et du calendrier proposés. Les étudiants ont accès à ce descriptif dès le début du semestre pour qu’ils puissent prendre conscience des objectifs à atteindre et commencer leurs recherches dès le début du semestre. Ils reçoivent alors un calendrier précis (figure 4) qui a pour objectif 1) de les aider les apprenants à conscientiser les étapes nécessaires à la réalisation d’un bon exposé et 2) de leur donner un temps suffisant à la réalisation de chacune de ses étapes 3) pour les guider vers la performance de la tâche finale : l’exposé.

Fig 4 – Calendrier proposé aux étudiants pour le 1er exposé

La figure 4 montre le calendrier proposé pour le 1er exposé présenté en classe, et pour lequel les étudiants ont été initiés aux techniques de préparation et de présentation de l’exposé oral. Suite à un remue-méninge suivi de quelques activités en classe visant à rappeler (ou expliquer) les techniques de recherches, sélection et hiérarchisation des documents-sources trouvés pour leur exposé, les étudiants sont tenus de respecter un 1er délai de présentation à l’enseignante des sources sélectionnées (dans la figure 4 : « état des lieux des recherches de documents et des prises de notes »). L’expérience a montré que cette première étape est essentielle car bon nombre d’étudiants ont des difficultés à choisir des documents adéquats du point de vue du contenu (parce que trop ou pas assez généraux, trop orientés, ne couvrant pas des points essentiels de la problématique, …) mais également du point de vue linguistique (en choisissant des documents d’un niveau de langue qu’ils ne comprendront pas). Cette pratique guidée vise à leur faire prendre conscience de l’importance d’une bonne sélection du matériel de base et à leur apprendre à le faire.
L’étape suivante, la plus difficile pour les étudiants, concerne le plan de l’exposé. Par le biais de diverses activités en classe, les étudiants apprennent quelle est la structure du plan d’exposé et comment l’élaborer à partir des informations récoltées précédemment. Ils postent sur Blackboard la 1re version de leur plan et reçoivent rapidement un feedback de l’enseignante pour leur permettre d’améliorer leur plan, une 2e version qu’ils postent à nouveau sur Blackboard. En général, et si l’apprenant a bien pris en compte son feedback, l’enseignante valide cette 2e version. Au cas où ce n’est pas le cas, l’enseignante aide l’élève à corriger son plan ou lui propose de lui envoyer une 3e version tenant mieux compte du feedback.
Vient ensuite la phase d’écriture du contenu de l’exposé avec, parallèlement, la réalisation du panorama PowerPoint. On distingue ici l’élaboration du PowerPoint de la rédaction du texte de l’exposé - qui sera formulé en notes tenues en main par l’orateur le jour de l’exposé. Via quelques activités (voir figure 2), les étudiants apprennent à concevoir un PowerPoint efficace et à en définir l’usage adéquat.
Tandis que les étudiants réalisent les sous-tâches précitées, ils sont parallèlement initiés aux techniques de prise de parole en public et font de courts « exercices d’entraînement » les préparant à une prise de parole plus longue face à la classe (par exemple en présentant en 30 secondes l’essentiel d’un document textuel ou vidéo qui explique comment bien démarrer une présentation orale). Lors des discussions menées en classe, les étudiants expriment en général la nécessité de s’entraîner à dire son exposé (face à son miroir, son chien ou sa famille). Nous proposons alors à chacun de se filmer pour pouvoir évaluer ensuite sa prestation en vue de l’améliorer. On propose alors aux étudiants d’élaborer collaborativement (sur un Google doc) une grille d’autoévaluation (figure 5). Cette grille permettra alors à chacun d’entre eux d’autoévaluer sa performance filmée pour repérer ses points forts et ses faiblesses et tenter de faire une meilleure performance le jour J.

Fig 5 – Grille d’autoévaluation réalisée collaborativement par les élèves

La veille de l’exposé, les étudiants postent leurs travaux dans Blackboard : la liste des techniques de communication qu’ils prévoient d’utiliser pendant leur exposé, le texte/les notes de l’exposé, le lien vers l’enregistrement filmé de l’entraînement réalisé la veille de l’exposé (posté sur YouTube en mode non-répertorié) et la grille d’auto-évaluation de leur performance dans la vidéo qu’ils complètent après s’être observés. Précisons que ces quatre tâches ne sont pas imposées aux étudiants de manière aléatoire : elles sont le résultat des activités menées en classe visant à la conscientisation des étapes nécessaires à une bonne préparation et présentation de l’exposé oral.

Fig 6 – Petit rappel méthodologique

Le descriptif distribué au tout début du semestre comprend également un petit rappel méthodologique (figure 6) visant à rappeler des règles de bases de l’exposé oral. Il propose également une matrice de structure du Powerpoint. La prise de connaissance de la grille d’évaluation (figure 7) participe elle-aussi à la conscientisation des objectifs d’apprentissage et elle est motivante. Elle est donc également intégrée au descriptif méthodologique de l’exposé.

Une méthodologie répétitive et évolutive s’inspirant de la pédagogie explicite
La méthodologie et le descriptif décrits ci-dessus en détail concernent le premier exposé réalisé lors du premier semestre. Une méthodologie similaire a ensuite été proposée pour les trois exposés suivants réalisés au cours l’année (un plaidoyer, un exposé sur la culture populaire et une revue de presse).
La méthodologie évoluait néanmoins légèrement en fonction des types d’exposé. Par exemple, concernant le « plaidoyer », la méthodologie proposée était la même que pour le 1er exposé demandé, à ceci près que la structure du plan proposé était différente (c’est un discours principalement argumentatif) et que l’on insistait largement sur les techniques de raisonnement logique et de persuasion. Au deuxième semestre, pour la revue de presse, la structure du plan était différente et n’était plus vérifiée par l’enseignante. Néanmoins, globalement, l’approche méthodologique était similaire pour les quatre exposés, et donc répétitive, mais de moins en moins guidée, visant à une autonomisation progressive de l’apprenant. Pour le premier exposé, nous avons longuement insisté sur certains savoirs et savoir-faire qui pouvaient être ensuite progressivement acquis grâce à la répétition. Par exemple, pour le premier exposé, nous avons travaillé en détail sur la méthodologie de recherche d’informations et surtout sur la méthodologie de construction du plan. Une séance entière a été consacrée à la correction collective par les pairs de quelques plans d’élèves. Par la suite, un simple rappel des connaissances en classe était suffisant. L’exemple le plus frappant est celui des techniques de prise de parole et de persuasion à l’oral que les étudiants ne connaissaient au début de l’année, et dont il sont devenus des experts au fil des évaluations de leurs pairs.
Cette méthodologie à la fois répétitive et évolutive est définie comme l’expérience d’apprentissage dans le modèle de Bissonnette : tout le travail très guidé pour le premier exposé constitue la phase de modelage, au cours de laquelle l’enseignant a une approche très explicite. La répétition d’une pratique similaire (pour les trois autres exposés) forme la pratique guidée (au cours de laquelle les élèves réalisent des tâches guidées et répétitives avec des rétroactions régulières). L’automatisation/procéduralisation des savoirs et savoir-faire - la pratique autonome - devrait se faire progressivement et à des rythmes différents selon les étudiants, d’où l’intérêt de leur permettre de répéter suffisamment la pratique. Quant à la troisième et dernière étape du modèle de Bissonnette, l’objectivation, nous considérons qu’elle se fait progressivement et de manière de plus en plus efficace, notamment au cours des auto-évaluations et évaluations par les pairs qui nécessitent l’identification formelle des concepts, connaissances, stratégies ou attitudes essentiels.

3.4. Quelle évaluation ?

Une évaluation motivante
Comme le montre la grille d’évaluation (figure 7), chacune des étapes est intégrée dans l’évaluation. Pour les sous-tâches préparant l’exposé, c’est principalement l’effort qui est récompensé : un apprenant obtiendra le maximum de points (soit un tiers de la note) s’il a préparé et posté dans les délais prévus les deux versions du plan de son exposé, son PowerPoint, la liste des techniques de communication utilisées, sa vidéo et son auto-évaluation (à condition bien sûr qu’il ait réellement fourni un effort).

Fig 7 – Grille d’évaluation

Quel feedback pendant la Préparation de l’exposé ?
Pour le 1er exposé, nous avons réalisé en classe une « correction » collective de la 1re version de quelques plans. Par la suite, dans certains cas, nous avons opté pour une évaluation par un ou des pairs, en utilisant Google doc. Mais la plupart des annotations des plans ont ensuite été apportées par l’enseignante soit sous la forme écrite, suivie d’une explication orale individualisée en classe si nécessaire, soit en capture vidéo d’écran (avec des outils comme Jing, Free screen to video, Bandican). Le feedback en capture vidéo comporte de nombreux avantages : il est moins chronophage qu’un feedback écrit et permet donc à l’enseignante d’être plus précise. Dans le cas du plan, il nous semble plus efficace car il permet en quelques minutes (en général 2 à 4) de bien expliquer à l’apprenant les faiblesses de son plan. Dans le cas où le plan est rédigé sur un Google doc, l’enseignant peut également simultanément effectuer ou suggérer des modifications du document. Pour l’apprenant, le feedback en capture d’écran offre donc l’avantage d’avoir un feedback oral précis, illustré par une vidéo (dans laquelle par exemple l’enseignant désigne ce dont il parle en le pointant avec le curseur). Autre avantage certain : la possibilité pour les apprenants de visionner à volonté le feedback vidéo. Les apprenants semblent d’ailleurs apprécier ce mode de « correction ».
Sur le plan linguistique, pour les travaux écrits (le plan, le PowerPoint et le texte de l’exposé), nous insistons sur le fait que les étudiants doivent systématiquement autocorriger leurs fautes de langue avant de poster leurs travaux. Pour ce faire, ils sont initiés en classe au correcteur d’orthographe et de grammaire Word et à Bonpatron.

Quelle évaluation de la performance orale ?
Concernant la performance orale, notre évaluation, formative, se déroule en deux temps : 1) la veille de l’exposé, l’auto-évaluation de l’entrainement filmé et 2) l’évaluation de la performance en classe par les pairs et l’enseignante. Le jour J, aussitôt après l’exposé, la classe procède à une critique positive et constructive, c’est-à-dire qu’avant tout, nous mettons en valeur les points forts et les qualités de l’orateur plutôt que de focaliser sur ses faiblesses. Nous nous appuyons ici sur la théorie du développement de la résilience selon laquelle il est plus facile et profitable de s’appuyer sur ses points forts que de s’épuiser à améliorer ses points faibles. En effet, un des enjeux de l’éducation est, nous semble-t-il, de former des sujets résilients (Cyrulnik, 2007 : 14). Si cet exercice de critique constructive des exposés des pairs semble peu naturel à la classe au départ, étant donné qu’il est répété après chaque exposé, il devient de plus en plus rapide et efficace et l’enseignante a de moins en moins besoin d’orienter la discussion. Les étudiants deviennent ainsi des « experts » des techniques de présentation orale, expertise qui leur est bien évidemment très utile le jour de leur propre performance.
Cette méthodologie, guidée et séquencée, méthodologiquement contraignante, a ensuite été elle-même évaluée par les étudiants.

4. LESSULTATS DE L’ENQUÊTE MENÉE AUPRÈS DES ÉTUDIANTS

Afin de savoir comment cette méthodologie a été perçue par les apprenants, nous avons, en fin d’année universitaire, effectué une enquête en ligne. Quatorze étudiants ont, anonymement, répondu à vingt questions en ligne. Le questionnaire a été publié sur le site http://www.askabox.fr.
Les résultats de ce questionnaire montrent qu’un tiers des étudiants considèrent qu’ils pourraient dorénavant préparer un exposé seuls et que les deux tiers pensent qu’ils pourraient le faire mais en étant un peu guidés. Concernant la phase de la présentation en classe, sur 14 étudiants, 5 considèrent qu’ils étaient vraiment de plus en plus à l’aise (au fur et à mesure des exposés), 8 qu’ils l’étaient un peu plus. 10 étudiants considèrent que c’était une expérience tout à fait intéressante et qu’ils ont appris, 4 qu’elle était plutôt intéressante. A la question très générale « expliquez pourquoi c’était ou ce n’était pas positif », seuls 2 étudiants ont répondu négativement, jugeant que c’était « fatigant » ou « stressant ». Tandis que 12 étudiants ont donné des réponses positives, 3 mentionnant les compétences procédurales acquises, ce qui montre une vraie conscientisation du processus et des objectifs. 2 ont également précisé qu’ils se sentent plus confiants. A la question plus orientée « Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? », 4 élèves disent ne pas avoir eu de difficulté tandis que les autres n’insistent pas sur de grosses difficultés. Étonnamment, seuls 2 étudiants ont mentionné la lourdeur méthodologique (« Il y avait beaucoup de petits devoirs et il y avait une durée » & « Je n’avais pas des difficultés que l’organisation du temps pour préparer les travaux. »). A la question « Combien de fois vous êtes-vous entraîné et/ou filmé avant de poster vos vidéos ? », 6 étudiants ont répondu « en moyenne 2 ou 3 fois », 4 « en moyenne 4 ou 5 fois » et 3 « une seule fois ».

5. CONCLUSION

Globalement, les résultats de l’enquête, même s’ils sont très approximatifs, sont donc positifs : les étudiants ont apparemment apprécié cette pratique et pensent s’en être enrichis. Un point particulièrement intéressant est que la répétition semble représenter un atout, alors que l’on aurait pu imaginer que les étudiants s’en plaignent. Mais finalement, ils ne semblent pas l’avoir ressentie comme contraignante (peut-être plutôt comme rassurante ?). Les formats et les thématiques des exposés étaient si différents que la pratique n’a apparemment pas été ressentie comme répétitive. Notons également que le fait que la grande majorité des élèves se soient entraînés et/ou filmés à plusieurs reprises montre une vraie motivation de leur part, ainsi que le désir de bien faire.
À ces résultats s’ajoutent les impressions et représentations de l’enseignante. À la question « Cette pratique méthodologique a-t-elle permis une appropriation des savoirs et compétences ? », il nous semble que globalement c’est le cas. Les exposés étaient en général de meilleure qualité qu’ils l’avaient été avec d’autres étudiants les années passées. Et surtout, ils étaient de qualités moins hétérogènes : les élèves les plus faibles ont présenté des exposés tout à fait corrects et ils étaient également plus investis dans les activités que d’autres fois. Les savoirs théoriques - tels que les techniques de prise de parole en public, la méthodologie recherche de sources, la structure d’un plan d’exposé, les qualités d’un Powerpoint – ont été le plus rapidement acquis. Le développement (puis la maîtrise) des savoir-faire semblait plus long et difficile. Tout particulièrement certains, comme par exemple la capacité à analyser les informations et à les restructurer en un plan de synthèse cohérent et pertinent. L’expérimentation a montré que certains étudiants sont très sensibles à l’évaluation motivante des sous-tâches postées, notamment certains d’entre eux, faibles, qui ont des difficultés à envisager la tâche finale, l’exposé. Ils sont motivés par la possibilité qui leur est offerte d’obtenir un tiers des points et vont, dans leur quête d’amélioration de leur note, réaliser toutes les étapes d’une bonne préparation de plan et ainsi se donner toutes les chances de faire un bon exposé.
Il est intéressant de noter que les étudiants ont globalement vraiment bien développé leurs qualités d’orateur, alors que c’était, au tout début de l’année ce qui les effrayait le plus. Il nous semble donc que cette approche ait favorisé l’autonomisation et le développement de la confiance en soi. Mais cette donnée est difficile à évaluer. Des entretiens avec les étudiants pourraient peut-être le confirmer.
Se pose maintenant la question des contraintes d’une telle méthodologie pour l’enseignant. Bien sûr, cette approche exige un suivi et un feedback régulier des travaux des étudiants. En outre, la déconstruction de la tâche en sous-tâches exige une bonne organisation, d’autant plus lorsque l’on mène parallèlement des projets dans plusieurs classes. Les outils numériques sont alors très utiles.
Il est particulièrement intéressant de noter que les élèves les plus faibles ont particulièrement bénéficié de cette approche. Cela concorde avec les diverses études qui concluent que la pédagogie explicite répond aux besoins spécifiques des élèves les moins performants : ceux dont l’apprentissage est plus lent, souvent issus de milieux socio-culturels défavorisés ou même qui ont des difficultés spécifiques d’apprentissage. L’explicitation serait au cœur de la lutte contre les inégalités scolaires, théorie que nous trouvons pertinente même en milieu universitaire, dont l’évolution du public nous amène à réévaluer constamment nos pratiques pédagogiques.


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