Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

Enseigner et apprendre en unité pédagogique pour élèves allophones arrivants : pour une méthodologie active d’inclusion scolaire

Sofia STRATILAKI-KLEIN, Université du Luxembourg, Grand-Duché de Luxembourg
Claudine NICOLAS, CASNAV de Paris & DILTEC, France


Résumé
La présente contribution se propose de réfléchir sur les liens entre les représentations du plurilinguisme, l’apprentissage/enseignement du français et une méthodologie d’inclusion scolaire des élèves allophones nouvellement arrivés en France (EANA). Elle analyse des entretiens menés avec des EANA et leurs enseignants en contexte parisien en montrant les liens entre représentations langagières et pratiques pédagogiques. L’hypothèse est que l’appropriation est inextricablement associée à la communication et au répertoire plurilingue de l’élève, considéré comme acteur social. Nous concluons qu’un des enjeux pour l’inclusion réussie de ces élèves consisterait à (faire) remarquer leurs langues, leur diversité, leurs rapports de force pour reconnaître leur compétence plurilingue comme un ensemble composite, déséquilibré et dynamique de connaissances relevant de plusieurs langues, mais géré comme un capital complexe de ressources diversifiées au service de l’apprentissage à l’École.


Abstract
The present contribution proposes to reflect on the links that exist between the representations of language contacts, learning/teaching of French and a methodology of inclusive education of allophone pupils newly arrived in France. It analyses languages in context and in contact by showing the links between language representations and pedagogical practices of teachers, the hypothesis being that the appropriation is inextricably associated with the pupil’s communication and plurilingual repertoire, seen as a social actor. We conclude that one of the issues for the successful inclusion of these pupils would be to point out languages, their diversity, their balance of power in order to recognize the plurilingual competence of allophone pupils as a composite, unbalanced and dynamic set of knowledge of different languages, but managed as a complex capital of diversified resources at the service of learning in the school.


Introduction : vivre au contact de langues

À la suite des discussions menées lors du sommet de Göteborg en novembre 2017, les chefs d’État ou de gouvernements européens ont exprimé leur volonté d’intensifier leurs efforts dans le domaine de l’éducation. Ils décrivent une Europe, en tant que territoire politique constitué, où parler deux langues, en plus de sa langue maternelle (voir Livre Blanc, Conseil de l’Europe) [1], serait plus répandu et où les compétences plurilingues et interculturelles [2] pourraient être développées tout au long de la vie. Or, malheureusement, ils constatent encore une implication faible des acteurs du système éducatif concernant l’enseignement/apprentissage de la deuxième langue étrangère et, en corollaire, un niveau de maîtrise insuffisant à la fin du primaire. Ils recommandent donc de renforcer la sensibilisation linguistique et l’ouverture à l’altérité dans l’éducation scolaire au moyen d’une approche pluridisciplinaire, créant des liens/ponts entre les disciplines, les langues étrangères et la langue de scolarisation. L’hypothèse est alors que l’apprenant apporte à la tâche d’appropriation des connaissances déjà construites et plus ou moins stabilisées, notamment dans le cas des langues secondes, l’ensemble des connaissances liées à la maîtrise d’une ou plusieurs langues acquises préalablement (Véronique, 1994). C’est ainsi que l’apprentissage des langues pourrait favoriser le développement d’une identité européenne dans toute sa diversité.
Pour favoriser le développement de cette identité, le Conseil de l’Europe recommande d’investir dans une didactique du plurilinguisme qui adopte un positionnement épistémologique bien particulier et qui la distingue d’autres paradigmes dominants dans le champ des sciences du langage. En effet, poser que les variétés composant le répertoire plurilingue de l’élève sont à la fois distinctes, en contact les unes avec les autres et susceptibles d’être gérées globalement par une compétence plurilingue les mobilisant comme autant de ressources à des fins d’apprentissage, revient à complexifier sensiblement les paradigmes méthodologiques traditionnels qui, d’habitude, prévalent pour rendre compte de l’appropriation et de l’utilisation d’une langue, perçue de manière isolée. Car, en termes d’usage comme d’appropriation, on ne peut s’arrêter ni à une conception monolingue du rapport à la langue autre, ni peut-être à des représentations uniquement bilingues qui binarisent et polarisent souvent la relation L1/L2 ou L1/langue de scolarisation. Prendre en considération ces aspects revient à adopter une attitude positive à l’égard de la diversité linguistique à l’École. Au niveau de l’enseignement, le répertoire linguistique de l’élève, conçu de manière holistique et émique [3], peut être valorisé parce qu’utilisé en tant que ressource pédagogique, d’autant plus que les élèves peuvent être amenés, au cours des apprentissages en classe, à expliquer leur(s) langue(s) aux autres et à les comparer.
Partant de ces considérations, nous nous proposons, dans cette contribution, d’aborder la question de contacts des langues dans les Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (désormais, UPE2A) en (ré)introduisant, du côté de l’apprentissage, la notion d’appropriation et, du côté de l’enseignement, le paradigme du plurilinguisme. Ce paradigme se propose de regarder les langues en contexte et en contact, de tisser des liens entre représentations et pratiques et invite à aborder les réalités linguistiques dans leur complexité. Pour entrer dans cette complexité, nous analyserons les discours des enseignants sur le plurilinguisme et sur leurs pratiques pédagogiques, en essayant de comprendre un certain nombre de comportements langagiers. Cela nous permettra de conclure sur les conditions d’une inclusion réussie des élèves allophones.

1. Cadre théorique : distance(s) et proximité(s) entre les langues

Dans la didactique du plurilinguisme, une attention particulière est portée aux élèves issus de l’immigration et à leur inclusion scolaire [4], car si les langues sont placées de manière dynamique dans l’horizon d’un apprenant, leur appropriation suppose toujours chez l’élève plurilingue un double processus : la séparation et la fusion (Py, 1992). Ces mécanismes de passage que l’apprenant met en place dépassent largement le recours à de simples transferts. En effet, l’apprenant va chercher à identifier la spécificité, la nouveauté tout en rattachant les mécanismes perçus en L2/L3 à des mécanismes connus en L1, et ainsi de suite. De la sorte, la prise d’indices et les réinterprétations des segments linguistiques en langues peu ou pas connues s’appuient sur des mécanismes d’analyse liés aux connaissances préalables, dont disposent les élèves des langues variées, agissant comme des filtres, à la fois cognitifs et typologiques et formant des configurations particulières des modes d’accès au sens, et plus généralement des modes d’appropriation (Causa, Stratilaki-Klein, 2019). Par exemple, d’un point de vue linguistique, le fait que les langues typologiquement proches favorisent le processus de fusion n’empêche en rien le processus de séparation, nécessaire à tout parcours d’acquisition. On peut faire l’hypothèse que ces opérations laissent des traces de savoirs nouveaux dans la perception des élèves, dont la difficulté d’apprentissage est souvent appréhendée en termes de différence, d’écart, d’opacité ou de distance. Ces traces, une fois repérées, peuvent nous donner de précieuses indications sur les opérations mises en place pour apprendre une langue. Une telle hypothèse n’est certes pas nouvelle. Selon Castellotti, Coste, Moore (2001), et plus récemment Gajo (2019), par exemple, si la distance objective forme la base des évaluations subjectives, ce sont néanmoins les évaluations subjectives qui influent sur l’apprentissage. De même, Klein (1989) a montré depuis longtemps que l’incapacité d’un apprenant à pouvoir réduire la distance subjective entre les langues (réelle, imaginée…) contribue à ralentir considérablement sa progression. Pensé sous cet angle, l’enjeu de l’éducation aux langues (y compris la langue de scolarisation) devrait être de reconnaître les compétences linguistiques plurielles dont disposent les élèves migrants (entendues ici au sens de Grosjean, 1992, comme la capacité à utiliser plusieurs langues de manière appropriée et efficace pour la communication), en tenant compte de leurs connaissances antérieures dans des langues qui ne figurent pas forcément dans les programmes d’enseignement, mais qui constituent un « déjà là », une antériorité, un ensemble de savoirs. Car, on le sait, par une manière d’effet retour, cette approche méthodologique permet aussi d’aider les élèves à acquérir plus rapidement la langue de scolarisation, garant de leur pleine intégration et priorité actuelle du cadre stratégique « Éducation et formation 2020 » (Conseil de l’Europe, 2020). Nous retenons ici deux entrées d’analyse, l’individuel et le social. L’entrée dans l’analyse par la distinction entre ces deux niveaux complémentaires montre, à notre sens, que les locuteurs ne se représentent pas abstraitement les objets ; ils créent a contrario des espaces énonciatifs dans lesquels diverses positions énonciatives sont distinguées.
Pour aborder le volet de l’individuel, nous nous proposons de retenir que chaque élève a une histoire, sa propre histoire faite d’expériences personnelles, de socialisations et d’identifications (espérées ou imaginées, attestées ou décrites) à des valeurs, des langues, des normes, des modèles dans lesquels le sujet se reconnaît, des groupes avec lesquels il est en interaction. Les élèves allophones arrivants sont de futurs citoyens de la République. Ils « font loupe » (Coste, Beacco, 2017), parce qu’ils possèdent une valeur heuristique irremplaçable pour l’analyse et la transformation potentielle du système éducatif français en école inclusive de la bienveillance et de la réussite scolaire et sociale pour tous. Par la présence de ces élèves, les UPE2A se constituent comme des espaces de contacts de langues, au sens de « contact zones » de Pratt (1991) [5]. Une telle conception du dispositif est, à notre sens, à la fois complexe et restreinte, instaurant des effets de continuité/proximité et des effets de rupture/distance dans la gestion, et du coup, dans l’évolution du répertoire plurilingue des élèves allophones. Elle est complexe dans la mesure où l’apprentissage est régi par un seul cadre législatif, où l’injonction de l’inclusion et de l’enseignement/apprentissage du français en tant que langue de scolarisation est très forte. En même temps, la construction des compétences plurilingues chez les élèves est un processus personnel en plusieurs étapes qui ne présente pas toujours une progression linéaire. Pour autant, ce processus est largement conditionné par les attentes des enseignants et leurs pratiques pédagogiques, avec tout un continuum de méthodologies et d’activités pédagogiques en fonction de la variété des interprétations de ce cadre institutionnel, ainsi que des besoins langagiers supposés des élèves à satisfaire. Dans la pratique, cette conception du dispositif s’avère restreinte dans la mesure où ces unités se caractérisent par des pratiques pédagogiques très inégales et peu stabilisées. Les raisons en sont variées, nous pouvons néanmoins en mentionner deux. La recherche dans ce milieu est en effet circonscrite aux enseignants en UPE2A et non élargie aux enseignants des autres classes et la formation initiale en didactique du français langue seconde de ces mêmes enseignants reste quasi inexistante. Ce second aspect se manifeste principalement par le fait qu’ils ne connaissent pas tous, les enjeux de l’enseignement du français comme langue seconde en milieu multilingue. De nombreux enseignants ne savent que faire réellement des compétences plurilingues des élèves, d’autant plus que l’inclusion ne se caractérise pas par une seule modalité, mais par des démarches très divergentes, allant de la fermeture du dispositif et, donc, de la non-intégration des élèves allophones dans leurs classes et les enseignements de leur âge jusqu’à la plus grande ouverture, permettant aux élèves la co-construction des savoirs dans leurs classes avec des camarades du même âge, ainsi que leur participation active à la vie de l’école/établissement.
Au-delà de l’individuel, nous pouvons nous interroger sur la dynamique du social dans notre recherche, car les discours sur les langues, leur apprentissage, leurs locuteurs et le plurilinguisme sont très chargés socialement. Ils engendrent des représentations collectives, des stéréotypes et des attitudes qui conditionnent le rapport des individus à leur(s) langue(s), à celle(s) de leur environnement et celles des autres. Cette approche discursive nous permet de travailler à la fois sur le sens que les élèves donnent eux-mêmes au plurilinguisme dans leurs « espaces » de socialisation institutionnels (l’École) ou simplement institués (la famille) et sur celui que leur donnent des acteurs du système éducatif (ici les enseignants) en fonction de leurs propres catégories, appréciations et valeurs. En effet, leur discours donne à voir des représentations [6] des langues qui sont tout à la fois des reflets et des moyens de les structurer, le discours apparaissant alors comme trace et comme outil de ces représentions. Notons aussi que la circulation des représentations au sein d’une communauté langagière (scolaire, par exemple) ne signifie pas nécessairement que chaque membre y adhère, mais plus simplement qu’il la reconnaît, en comprend et en interprète le sens à un moment donné. Les réseaux de représentations assurent en ce sens un lien de connivence initiale entre les membres, ces mêmes membres qui peuvent ensuite prendre de la distance par rapport au contenu de ces représentations : nous les appellerons ici des représentations à degrés. Celles-ci se (co-)construisent sur un continuum marqué par des ruptures observées à travers les discours qui peuvent montrer toute une variété de positions intermédiaires. Notre analyse permettra de mettre en évidence ce continuum par l’étude des mises en espaces, dialogiques et polyphoniques, les citations, les modalisations, etc. La notion de réseau de représentations ainsi conçue, nous postulons, à l’instar d’Ali Bouacha (1984), que le discours des enseignants sur le plurilinguisme et sur leurs pratiques en classe met en jeu trois opérations discursives fondamentales :


 une opération de parcours qui construit une catégorisation prototypique d’occurrences (ou une formulation prête à l’emploi) sur laquelle l’enseignant opère un balayage sans s’arrêter sur une valeur distincte ;
 la construction d’un repère discursif, repère accroché à une expérience personnelle qui permet à l’enseignant de donner une valeur subjective à son énoncé ;
 la construction d’une catégorie, un ensemble, à partir des ressemblances de famille, indispensable garant du « discours-vrai ». C’est grâce à elle que l’énoncé généralisant fait l’objet d’un consensus au sein d’une communauté.

La problématique concernant les discours sur les pratiques pédagogiques dans les UPE2A pourrait alors s’énoncer de la manière suivante : il s’agit, d’une part, de reconnaître que ce dispositif est un lieu privilégié de contacts des langues, et d’autre part, que les pratiques pédagogiques sont en réalité très variées et pourraient être proposées à tous, en fonction des contextes dans les écoles et/ou établissements dotés (ou non) de ce dispositif. Ce constat nous semble d’autant plus important qu’il montre la nécessité d’opter désormais pour une méthodologie active d’inclusion scolaire qui oscille entre stabilisation et dynamisation.
Stabilisation dans le sens où elle permet de singulariser une personne comme individu, de l’identifier comme bilingue ou plurilingue, de le caractériser comme membre d’un ensemble et de mettre de l’ordre et de la permanence dans un moment de la vie où tout semble à priori être en mouvement.
Dynamisation dans le sens où elle permet de prendre en compte les compétences plurilingues de l’élève, de les faire évoluer et de les mettre au service de l’apprentissage du français (en tant que langue de scolarisation et d’inclusion) en classe. Ce sont là autant de pratiques pédagogiques qui pourront voir le jour en façonnant les relations d’apprentissage entre un élève plurilingue et la nouvelle langue qui prend progressivement place dans son répertoire langagier.

2. Contexte d’étude : les UPE2A, un lieu où s’affrontent des représentations

L’apprentissage des langues dépend largement du processus de légitimation, qui passe en bonne partie par l’École. Cette dernière joue un rôle complexe en matière de distance car, si elle rend certaines langues plus légitimes pour la communauté scolaire, elle crée, pour toute autre langue, une sorte de rupture. En effet, la langue de l’école, langue de scolarisation, se présente sous une forme homogène et selon un raisonnement en termes de classe-groupe. Or, les enseignants savent bien que les classes se présentent rarement de façon homogène, notamment aux niveaux linguistique et social. Pour autant, cette hétérogénéité ne manque pas de les désemparer, ils sont très souvent pris entre des outils ou des cursus/curricula conçus par un système homogénéisant et une réalité pédagogique bien plus complexe. Ces considérations imposent désormais un changement de point de vue méthodologique et aboutissent à une façon différente de prendre en compte et de définir les besoins langagiers des élèves. L’élève allophone en particulier arrive en France alors qu’il a déjà commencé à comprendre le monde et à s’instruire dans sa langue première, la langue (ou les langues) dans laquelle (lesquelles) il a appris à parler/penser. Par conséquent, elle(s) fait (font) partie de ce que nous nommons son identité linguistique, tout en gardant à l’esprit que cette identité n’est pas définitive (surtout lorsqu’on parle d’enfants !) et qu’elle est à la fois plurielle et à l’état initial. II n’en reste pas moins que ces questions sociolinguistiques interviennent massivement dans la gestion et la perception de la distance/frontière entre les langues [7]. Un des premiers enjeux pour l’inclusion consisterait donc à (faire) remarquer les langues, leur diversité, leur variation, leurs rapports de force pour arriver à reconnaître la compétence plurilingue des élèves allophones comme un ensemble composite, déséquilibré et dynamique de connaissances relevant de plusieurs langues, mais géré comme un capital complexe de ressources diversifiées au service de l’apprentissage à l’École. Autrement dit, amener les langues dans l’horizon de l’élève pour favoriser leur appropriation [8] (Gajo, 2019). Mais cela ne se décrète pas, cela s’apprend de la part de l’enfant comme de l’enseignant.
La question qui se pose alors en lien avec notre problématique est la suivante : comment peut-on promouvoir une didactique du plurilinguisme à l’École et œuvrer à la construction d’une identité européenne ? (Coste, Beacco, 2017). Au cours de ces deux dernières décennies, plusieurs travaux se sont penchés sur cette question et des circulaires ont vu le jour pour définir des choix curriculaires à l’École. Et cela, dans un environnement européen où, d’une part, la notion de compétence se trouve elle-même à la fois au cœur de bien des projets de rénovation méthodologique éducative et au centre de débats vifs et souvent polémiques, et où, de l’autre, la défense ou la promotion du plurilinguisme donne lieu à des affirmations de principes ou des discours de doxa [9]. En France, plus précisément, les circulaires du 2 octobre 2012 sur la scolarité des élèves allophones nouvellement arrivés d’une part, et sur celle des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs, d’autre part, instituent les UPE2A comme des dispositifs ouverts. Dans le contexte parisien, ce sont environ 3 000 élèves nouveaux arrivants qui sont scolarisés chaque année, dans le premier degré et le second degré, dans plus de 150 dispositifs. Notons que le terme « allophone » [10] désigne d’emblée ces élèves comme des locuteurs bi-/plurilingues dont le répertoire linguistique est en construction et évolution (Nicolas, Stratilaki-Klein, 2018). Dans ces circulaires, la démarche inclusive est décrétée comme la modalité principale de scolarisation. Cette inclusion passe par la socialisation, l’apprentissage du français comme langue seconde, et la prise en compte par l’École des compétences acquises dans d’autres langues.
Ce cadre ainsi posé, nous avons initié un projet intitulé Plurilinguisme et inclusion scolaire (PLINSCO). Cette recherche, issue d’un partenariat entre le CASNAV de Paris (Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs) et le laboratoire DILTEC de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, a été conçue comme un projet de recherche-formation et est cofinancée par le Fonds Social Européen (Rectorat de Paris, 2017-2020). L’étude porte sur les pratiques langagières et les représentations des langues, ainsi que sur leur rôle dans la construction identitaire des élèves allophones. Pour cela, nous analysons qualitativement des données recueillies lors d’entretiens semi-directifs, qui ont eu lieu en français et/ou dans les langues maternelles/premières des participants. Les résultats de cette étude serviront de bases pour mettre en place des formations enseignantes sur la prise en compte de la diversité linguistique et culturelle à l’École. L’option forte consiste à postuler que « l’ensemble » des discours tenus par les acteurs du système éducatif sur la pluralité (pluralité des pratiques pédagogiques, des représentations, des formes et modes d’appropriation…) est constitutif d’une méthodologie active d’inclusion scolaire. Car, comme le souligne justement Coste (2014, 27-31) :

Le travail sur la pluralité langagière est primordial si l’on veut définir un cadre qui soit intégratif : c’est un enjeu en termes d’inclusion, et de cohésion sociale […]. La diversité linguistique est inscrite au centre d’un projet d’éducation au plurilinguisme ou d’éducation plurilingue […]. On doit prendre en compte cette diversité linguistique pour ensuite continuer à y travailler et à l’étendre de manière à ce qu’elle serve aussi la réussite scolaire : c’est le pari, cela ne va pas de soi.

Avant de passer à l’analyse des extraits, précisons les modalités méthodologiques du recueil des données : l’étude porte sur des élèves arrivés en France depuis au plus 18 mois, ce qui permet de recueillir une expérience socialisatrice récente ainsi qu’une expérience proche de contact de langues. Les élèves enquêtés (au total 37) sont scolarisés au cycle III (Cours Moyen 1 ou 2 et 6e), afin de mieux observer le lien et/ou la rupture entre l’école et le collège. Par ailleurs, les élèves de cet âge (entre 10 et 13 ans), d’un point de vue cognitif, commencent à développer des compétences métalinguistiques observables dans leurs discours et donc, selon nous, analysables.

3. Distance(s) et proximité(s) : des convergences à travailler ?

Dans le cadre de ce projet, nous considérons que le développement du jeune enfant se fait à travers sa socialisation et sa participation à différents espaces, tels que la famille, les pairs, les médias et/ou l’école. Ces instances de socialisation, plus ou moins homologues et homogènes, s’interpénètrent en permanence, véhiculent des représentations ordinaires (Petit, Beacco, dir. 2004) [11] et comportent des modalités langagières propres. En tant que sujet apprenant, l’enfant se construit par des processus de mobilité (identitaire, langagière, sociale) au sein de communautés où il fait l’expérience de l’altérité. En s’y adaptant, il développe, au fur et à mesure, des compétences et savoirs linguistiques et culturels, qui sont en partie nouveaux. Pour nous, c’est principalement la mise en relation de ces espaces de socialisation qui s’avère significative du point de vue de l’appropriation de nouveaux savoirs. Néanmoins, on constate dans le corpus, que l’adaptation à l’École française ne va pas de soi : il y a des points de recoupement et des différences entre les deux mondes qui s’affrontent, les expériences antérieures et les expériences nouvelles, dépendant largement du parcours personnel de l’élève. Dans cette optique, il importe qu’une médiation  [12] facilite l’inclusion scolaire de l’élève en réduisant la distance avec cette communauté et la perception qu’il en a.
En classe avec les allophones, où s’imbriquent en permanence ces deux plans de l’ordre du dire et du faire, il est par conséquent plus que nécessaire de mettre en place une médiation didactique forte pour lever les ambiguïtés de sens et réduire les méconnaissances (de différents types, argumentatif, reformulatif, rituel, métadiscursif, spatio-temporel, etc.). Seule une médiation langagière adaptée à leurs besoins spécifiques semble efficace : par exemple, dans l’UPE2A, le professeur a été formé à savoir reformuler quand le français s’apprend comme une langue seconde, car pour l’élève allophone, apprendre le français en s’appuyant sur ses connaissances linguistiques déjà là, c’est apprendre à comparer, différencier, analyser explicitement les faits de langue. Pour le professeur, cela signifie avant tout apprendre à mettre les savoirs acquis, dans des langues autres que le français, au cœur des enseignements, dans une démarche expressément comparative et analytique. Entre autres modalités, celle du recours aux démarches pédagogiques des approches plurielles, parait la mieux adaptée pour ces élèves, parce qu’elles s’appuient sur leurs langues et cultures au cours d’activités d’enseignement/apprentissage du français de scolarisation.
Sans tarder davantage, lisons l’extrait suivant d’un entretien avec une enseignante d’un dispositif d’école élémentaire, formée spécifiquement à l’enseignement/apprentissage du FLE/S et aux approches plurielles. Son discours nous éclaire sur le lien qu’elle fait spontanément entre son métier d’enseignante, sa propre biographie langagière et celle de ces élèves.

Extrait A : la galaxie des langues
Tout ça m’est extrêmement utile pour travailler en UPE2A parce que, déjà, j’ai l’expérience de l’apprentissage d’une langue nouvelle à différents stades de ma vie avec différentes motivations, différentes difficultés. Ça c’est toujours intéressant, d’autant plus que, depuis que je suis adulte, j’étudie la harpe donc je me retrouve à apprendre quelque chose. Je peux réfléchir au phénomène d’apprentissage de mes élèves avec tout ça. Ça, c’est une chose.
[…] Ah oui, quand est-ce que je l’utilise ? J’ai beaucoup d’élèves coréens donc je sais dire bonjour en coréen. C’est tout, ce n’est pas grand-chose, mais déjà c’est un premier pas qui les fait sourire. Ça les décontracte, ils peuvent mieux entendre après. Et puis je m’en sers pour réfléchir aux langues, pour aider les élèves à réfléchir sur les langues qu’ils connaissent pour qu’ils puissent s’appuyer sur leurs connaissances. Je leur fais dire dans leur langue toute la démarche de Nathalie Auger - que je ne vais pas refaire là parce que ce n’est pas la peine - mais je me sers beaucoup de ça et du fait que je connaisse un petit peu plusieurs langues.
Et puis, mon père a fait beaucoup de chinois, donc il m’avait expliqué des choses sur le chinois. Dès qu’il y a une langue qui me passionne : je suis allée en Grèce, j’ai essayé de comprendre des petites choses, je suis allée au Portugal, j’ai essayé de comprendre des petites choses. Dans le tourisme d’un pays pour moi, il y a au moins 50 % d’étude linguistique, de lecture, d’essayer de comprendre même si je n’apprends pas. Je n’ai pas cette ambition.

Si nous avons choisi ces quelques lignes, c’est pour montrer que les pratiques de l’enseignante sont fortement liées à son histoire personnelle. Enseigner aux élèves allophones signifie, pour elle, de s’intéresser à la trajectoire individuelle de chaque élève, à ses compétences diversement acquises et sollicitées lors de l’apprentissage. Elle sait que, selon la trajectoire de l’élève, les connaissances évoluent, s’enrichissent, se complètent, ou laissent encore certaines autres dépérir. L’essentiel est donc de faire réfléchir les élèves sur ce processus dynamique d’apprentissage. Elle se sert de ses compétences plurilingues et interculturelles, voire artistiques, (qu’elle fait fructifier constamment) comme une ressource pédagogique pour communiquer du sens (« je sais dire bonjour ») et pour construire du savoir (« ils peuvent mieux entendre après »). Ce constat, même s’il est sans doute peu original, invite à repenser la manière d’aborder et de décrire les compétences des élèves allophones. Pour illustrer davantage ce point, continuons la lecture de l’entretien :

Extrait B : les rapports de force et de domination
Personnellement, non. Mais dans ce que je vois autour de moi, parce qu’il y a des membres de la famille qui sont en couple avec des personnes d’autres langues, j’ai l’impression qu’il y a des logiques assez différentes selon les enfants, selon le rang dans la fratrie et selon l’état de la mère par rapport à la langue maternelle. J’ai quand même l’impression que…
Comme ma famille est d’origine française et qu’il n’y a que des hommes, les conjoints qui parlent une autre langue sont des femmes. J’ai vu des logiques différentes, par exemple, parler beaucoup la langue maternelle avec l’aîné, pas avec le deuxième et puis la reparler avec le troisième parce qu’il arrive 5 ou 6 ans plus tard et éventuellement avec le quatrième et s’arrêter au moment où la maman s’aperçoit d’un retard, entre guillemets, de langage. Ça c’est ce que j’ai vu autour…

Dans ces deux extraits, on comprend sa représentation du plurilinguisme en famille comme une distance quant aux normes et aux catégorisations sociales, du fait que cette situation est perçue comme particulière (voire exceptionnelle) et directement issue des rapports de force établis entre les langues et leurs locuteurs (en l’occurrence locutrices = les mères). Comme nous l’avons dit, l’apprentissage d’une langue peut se faire de différentes manières et sa transmission (qu’elle vise une simple sensibilisation ou une appropriation complète) peut être vue par les locuteurs comme constituant un maintien familial, une continuité, ou bien une rupture ou encore une reprise. On ne peut exclure que certaines de ces représentations ont une incidence sur l’apprentissage du français à l’École, ce que montre, en partie, l’extrait suivant du même entretien :

Extrait C : l’accès aux connaissances
Je pense que la principale difficulté, ce n’est pas tellement lexical, c’est plutôt syntaxique. Parce que le lexique, les collègues disent toujours que les enfants manquent de lexique. Je ne pense pas que ce soit le problème fondamental parce que le lexique, en général, on peut faire un dessin, on peut mimer, enfin on peut trouver des moyens de s’en sortir. Par contre, au niveau de la syntaxe, le système de préposition ça peut créer des malentendus problématiques : qui a tapé qui par exemple.
Ce sont ces moments-là qui sont plus difficiles que vraiment l’aspect lexical. Je pense que c’est la manipulation des verbes et du sens du verbe - qui fait quoi à qui -, et c’est là que la communication peut poser un problème de conflit. Qu’il peut y avoir un malentendu.

Dans ces extraits, la compréhension est thématisée comme principale difficulté des élèves allophones en français. On perçoit la représentation que l’enseignante s’en fait et comment elle s’en sert dans son enseignement. Elle nomme ces difficultés « malentendus », centrant clairement l’apprentissage des langues sur leur aspect communicatif, et sur la compétence d’intercompréhension, indispensables pour l’accès aux connaissances. En particulier, d’un point de vue linguistique, elle considère que la syntaxe [13] laisse des traces d’opérations opérées par l’apprenant à partir des connaissances spécifiques en français et des connaissances préalables dont il dispose dans les différentes langues. Ces traces peuvent devenir des filtres pour construire des ponts inter-linguistiques qui vont permettre d’accéder au sens et résoudre des malentendus. Mais que pense cette enseignante de la distance et de la proximité linguistique entre les langues ?

Extrait D : la complexité linguistique et le nombre de langues
Heu oui. Je pense. J’ai pas mal d’élèves d’origine asiatique et du coup pour eux, ça demande un effort GIGANTESQUE qu’ils n’ont pas toujours le courage de faire, de mettre les déterminants, de mettre les prépositions, de mettre les mots dans l’ordre, de conjuguer les verbes. Et ça, c’est épuisant pour eux parce que vraiment, ce n’est pas une fois par phrase, c’est dix fois par phrase. Il faut qu’ils aillent contre leur façon spontanée d’exprimer un fait ou une opinion ou quelque chose comme ça. Et puis après, les hispanophones il y a des « à », des prépositions qui ne s’utilisent pas comme en français et donc quand on corrige, ils se demandent un peu pourquoi. Je vais à dormir. Pourquoi on ne dit pas je vais à dormir ?
[…] Je pense que quand il y a vraiment beaucoup de langues, mais je ne sais pas si c’est un problème. Je pense que quand il y a quatre langues, il y en a forcément une qui sert plus à quelque chose, une autre à autre chose. Ça doit être difficile de maintenir de manière naturelle, sans que ce soit du bourrage de crâne, un apprentissage structuré aussi bien oral qu’écrit dans quatre langues. Je pense que ça fait beaucoup. Mais après, est-ce que c’est un problème ? Ce n’est peut-être pas un problème.

Dans ces extraits, l’enseignante évoque le lien entre les modalités d’apprentissage du français et les caractéristiques des langues premières des élèves : les traces des interférences dépendent de l’interlangue, c’est-à-dire de la perception de la complexité à laquelle ils sont confrontés, en fonction de la proximité linguistique entre leurs langues et le français, et également en fonction du nombre de langues en présence dans leur répertoire plurilingue en construction. Cet extrait montre plus particulièrement les représentions à l’œuvre de l’enseignante sur la biographie langagière de ses élèves.
Au terme de cette analyse, revenons sur les pratiques comparatives en UPE2A en lisant le dernier extrait de l’entretien avec l’enseignante :

Extrait E : Peut-on établir des proximités ?
Alors là, j’ai deux exemples en tête. Il y a une petite qui est arrivée. Une petite Angolaise donc lusophone et elle a mis quinze jours avant d’accepter ou de comprendre, je ne sais pas, qu’elle pouvait s’appuyer sur le portugais pour comprendre le français et qu’elle pouvait me dire des choses en portugais mais qu’il fallait qu’elle me parle doucement, et que peut-être j’allais pouvoir comprendre. Elle a mis quinze jours.
[…] Cours Élémentaire deuxième année. Huit ans. C’est un âge où c’est faisable. À partir du moment où elle a compris ça, elle a été à toute vitesse. Là, ça a été fulgurant. Je l’ai réexpliqué à son père et à sa mère en leur disant ‘‘expliquez lui les liens, montrez-lui les liens entre le français et le portugais pour qu’elle puisse s’appuyer sur le portugais qu’elle maîtrise très bien pour apprendre le français’’. À partir du moment où elle a réussi à comprendre tout ça, à être un peu moins timide, elle a été très, très vite. Il y a un autre élève, un Coréen, presque d’âge sixième parce qu’il est de fin d’année 2015, donc il a pu rester en élémentaire, mais il a l’âge en fait de la sixième, qui, lui, connaissait très, très bien l’anglais et le coréen. Il s’est énormément servi de l’anglais pour apprendre le français. Le fait qu’il ait appris l’anglais en plus du coréen assez jeune, ça lui a donné une réflexion, tout ce qu’on dit sur les cerveaux bilingues qui analysent, qui font des liens etc. Lui, on voit tout ça. Tout ce qui dit, on voit qu’il cherche, il pose des questions très précises : maitresse a dit ça, pourquoi elle a dit ça ? À quoi ça sert ? Qu’est-ce que c’est ? On lui donne une fiche de vocabulaire de deux pages, il dit qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce ça veut dire ? Grotte. Il repère tout de suite le mot qu’il ne connaît pas ou qu’il ne peut pas déduire parce que les autres, il les déduit. Il est particulièrement analytique dans la démarche.

Dans ces derniers extraits, l’enseignante décrit très précisément la démarche générale de comparaison des faits de langue qui est mise en œuvre par deux de ses élèves pour apprendre le français. C’est dans la recherche des proximités entre leurs langues acquises et/ou apprises et le français qu’ils progressent dans leurs apprentissages, grâce à l’écoute active et à l’attention particulière qu’ils portent aux interférences. L’appropriation de leurs connaissances est plus rapide et stabilisée par la démarche comparative, ce qui les fait gagner en autonomie et donc entrer de plein pied dans les apprentissages de leur âge.

Conclusion

Faut-il poser la question en termes de combinaison de facteurs - d’ordres différents - qui contribuent à la construction des représentations complexes, variées et plurielles, du plurilinguisme des élèves allophones ? Pour répondre à cette question, revenons sur deux éléments, la distance par l’altérité et les pratiques pédagogiques. En effet, dans les extraits, tout apprentissage se présente comme lié à une forme de mobilité : il suppose une rencontre avec l’altérité, la nouvelle langue et un travail de réduction de la distance, tant du point de vue de l’élève que de l’enseignant. Mais l’altérité à laquelle se confrontent l’élève et l’enseignant peut apparaître d’abord comme résistante, car difficile à appréhender d’emblée, formant un obstacle trop ardu à franchir. Dans le même temps, cette altérité peut aussi être perçue comme attirante, car porteuse de défi à relever, donc mobilisatrice. Et c’est bien là que la médiation trouve à s’exercer comme moyen de réduire la distance. Les pratiques pédagogiques bienveillantes et innovantes ont pour finalité essentielle de modifier les représentations de part et d’autre. Comme nous l’avons dit, l’enseignant, dans son rôle de médiateur, reformule, simplifie, concrétise, exemplifie le savoir nouveau à enseigner. Ce faisant, il attend de l’élève des productions qui manifestent son appropriation active de ce savoir, pour, ensuite, s’appuyer sur ces productions, afin de complexifier davantage, d’abstraire, de synthétiser le savoir. En quelque sorte, dans l’enseignement d’une langue autre, c’est autant la focalisation (c’est-à-dire la perception de l’altérité) que la projection (c’est-à-dire l’activation de la mobilité) qui contribuent au mieux à l’apprentissage de cette langue.
Quand on a affaire à un public aussi hétérogène que les allophones arrivants, qui arrivent, toute l’année scolaire, de tous les pays du monde, qui ont des scolarisations antérieures très variées (élève totalement analphabète, illettré ou correctement scolarisé), l’hétérogénéité est tellement extrême que l’enseignant doit trouver un modus vivendi, pour l’intérêt de l’élève qui doit apprendre, comme langue de scolarisation, le français. Et c’est parce que les approches plurielles prennent en compte toutes les langues/cultures en présence, qu’elles peuvent servir à apprendre la langue française et à en améliorer sa maîtrise, en réduisant la distance entre elles. La démarche générale de comparaison des faits de langues permet en effet de s’appuyer sur les savoirs langagiers et linguistiques dans d’autres langues que le français, en les mobilisant dans des activités variées et pluridisciplinaires. Ne pas se priver de ces savoirs déjà acquis par les élèves plurilingues avant leur entrée à l’École française, participe, non seulement à la réussite scolaire de ces élèves, mais aussi à la construction positive de leur identité langagière et donc de leur inclusion et de leur socialisation.


Notes

[1Cf. Conseil de l’Europe, 2018 : Livre Blanc sur le dialogue interculturel. Vivre ensemble dans l’égale dignité. Strasbourg, Conseil de l’Europe.

[2Le terme de compétence plurilingue est entendu ici au sens de Coste, Moore, Zarate (1997). Voir aussi Moore, Castellotti (2008). Coste rappelle à plusieurs reprises dans ses travaux que ce terme a aussi pour les auteurs un sens éthique : il renvoie aux idéaux et aux principes qui doivent être promus par les institutions éducatives (droits de l’homme et citoyenneté démocratique), et qui acquièrent une importance capitale lorsque l’on aborde la compétence plurilingue en lien avec la construction identitaire des individus.

[3Notons, pour la bonne compréhension de nos données, que la perspective émique adoptée dans notre recherche ne concerne pas les pratiques effectives dans ou à travers lesquelles se manifeste discursivement l’appropriation du plurilinguisme, mais exclusivement les discours que les élèves tiennent à son propos.

[4Sur la notion d’inclusion scolaire, voir notamment Ventoso-Y-Font/Fumey (2016) et Adam-Maillet, Jellab (2017).

[5Pratt (1991, p. 34) utilise la notion de contact zones pour déterminer des espaces de socialisation multilingues : « social spaces where cultures meet, clash, and grapple with each other, often in contexts of highly asymmetrical relations of power ».

[6Nous ne reviendrons pas ici sur le terme de représentations, longtemps développé dans nos travaux antérieurs. Le lecteur peut se référer à Stratilaki (2011).

[7Dans son article intitulé Propos borduriers et limitrophes, Coste (2005, p. 232) se penche sur la notion de « frontière » (linguistique et identitaire). Nous jugeons utile, pour notre propos, de citer ici ses réflexions : « entre réalité et image, la notion de frontière se donne et s’exploite comme ambivalente : elle renvoie au blocage autant qu’au passage, à la séparation autant qu’au voisinage, à l’espace et à l’histoire, au donné et au construit, à un dedans et à un dehors, à l’arbitraire et à l’artifice autant qu’à l’évidence d’un déjà-là naturalisé ; elle évoque l’immobile et le mouvant, le statique et le déplacement. II n’y a pas lieu d’insister sur cette double lecture toujours possible, sauf à justement souligner qu’elle est constitutive de la notion » (nos italiques). Une réflexion que Coste a formulée, dans un autre article (2003, p. 101), sous les termes : « je suis passeur de frontières et je m’affirme pluriel ».

[8La notion d’appropriation est ici entendue au sens de Castellotti (2017), repensée à la lumière des recherches récentes en didactique des langues et du plurilinguisme. Elle suppose en effet un lien avec une trajectoire, un projet et invite à regarder à partir de la perspective de l’apprenant, à partir de son histoire. Voir également Porquier et Py (2004).

[9Dans la note d’information N°18.15 de juin 2018, la Direction de l’évaluation et de la prospective et de la performance (DEPP) écrit : « Au cours de l’année scolaire 2016-2017, près de 60 700 élèves ayant des besoins éducatifs particuliers dans le domaine de l’apprentissage du français langue seconde ont été scolarisés en école élémentaire, en collège ou en lycée. À ces élèves allophones nouvellement arrivés et scolarisés, s’ajoutent 1 800 jeunes pris en charge par les Missions de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) et près de 2 800 jeunes en attente d’une affectation dans un établissement. Sept allophones nouvellement arrivés sur dix ont déjà été scolarisés avant leur arrivée en France. Neuf sur dix bénéficient d’un soutien linguistique, la plupart du temps dans des unités pédagogiques pour les élèves allophones arrivants ».

[10En revenant sur l’étymologie du terme άλλος, nous retenons le sens de : διαφορετικός, αλλιώτικος, adjectif désignant la séparation d’une partie d’un ensemble d’éléments. En ce sens, αλλόφωνος est un synonyme d’ετερόφωνος, αλλόγλωσσος signifiant « celui qui parle une autre langue ».

[11Selon Petit et Beacco (2004, p. 87), les genres discursifs « donnent prise immédiate aux locuteurs : ceux-ci sont capables de participer à l’énonciation de certains d’entre eux, en fonction de leur répertoire discursif, et ils sont aussi capables, de ce fait, de les identifier, de les reconnaître et de les nommer. Les objets de ces représentations ordinaires sont inscrits dans le lexique de la langue et relèvent aussi de descriptions linguistiques savantes, en tant qu’un genre discursif est une forme structurant la communication sociale, distincte de l’énoncé, du texte… ».

[12Sur ce sujet, voir notamment Coste et Cavalli (2015) pour une discussion plus approfondie.

[13Au sens de συντάσσω, c’est-à-dire donner un ordre logique aux mots dans une phrase.


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