Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

Mettre en place un dispositif hybride en classe de FLE, basé sur la classe inversée et le SPOC : un cas de l’Université de Zhejiang Gongshang (Chine)

Yigong GUO, ENS Lyon, UMR 5191 ICAR, France
Liping ZHANG, Université de Zhejiang Gongshang, Chine


Résumé
Cet article a pour but de présenter une démarche et des réflexions illustrant la conception d’un dispositif de formation hybride, adressé à des étudiants faux-débutants n’ayant aucune expérience préalable de l’apprentissage du FLE. Le travail de conception est précédé par une démarche d’analyse des besoins destinée à fournir des informations pour mieux adapter l’offre d’enseignement à la demande des étudiants.


Abstract
The purpose of this paper is to present reflections and a design that illustrates the construction of a blended learning course for the students-beginners without any previous knowledge of French. Its construction is based on a survey of needs analysis, which produces information to better adapt the offer of training to the students’ demand.


Introduction

Un changement initié et accompagné par le développement numérique transforme le paysage de l’enseignement des langues en Chine : des approches pédagogiques innovantes, telles que la formation hybride et la classe inversée, commencent à être intégrées dans bien des dispositifs de formation (Rong et Peng, 2015, p. 109).
Le terme de formation hybride se caractérise par l’articulation, à des degrés divers, des phases de formation en présence et à distance dans un scénario pédagogique commun (Nissen, 2014 ; Peraya, Charlier et Deschryver, 2014, p. 15). La classe inversée est une approche pédagogique qui relève de la philosophie propre à la formation hybride (Horn et Staker, 2014, p. 37), dans laquelle la partie transmissive est déplacée hors de la classe pour redonner à cette dernière son potentiel d’apprentissage et de co-apprentissage (Lebrun, 2015, p. 43). Dans cette approche, les contenus du cours sont livrés au moyen de ressources consultables sur une plate-forme SPOC (Small Private Online Course) (Wang, Chen et Zhang, 2016), qui permet aussi de gérer le parcours d’apprentissage et de mettre en place des évaluations.
Dans le contexte de l’enseignement-apprentissage des langues en Chine, le recours au dispositif pédagogique innovant pour améliorer l’expérience d’apprentissage des étudiants suscite un intérêt croissant chez les chercheurs chinois. Une analyse de la littérature (Deng, 2016, p. 92) a identifié une augmentation remarquable du nombre d’articles scientifiques, publiés depuis 2014, portant sur la classe inversée en enseignement de l’anglais à l’université. Pourtant, on constate que la plupart des dispositifs de formation concerne plutôt l’enseignement de l’anglais en LANSAD au sein duquel le public cible a déjà un niveau de langue élevé. On ne trouve que très peu d’expérimentations visant les apprenants faux-débutants. Dès lors, se pose la question : comment concevoir un dispositif de formation hybride basé sur la classe inversée et le SPOC, qui soit adapté aux besoins des étudiants chinois faux-débutants en FLE (français langue étrangère) ?
Cet article a pour but de présenter une démarche et des réflexions illustrant la conception d’un tel dispositif, dans le cadre du cours optionnel « Français essentiel » à l’Université de Zhejiang Gongshang. Ce cours est ouvert à tous les étudiants provenant de diverses filières, la plupart d’entre eux n’ayant aucune expérience d’apprentissage du FLE au préalable. S’agissant d’un public sur lequel la littérature actuelle porte encore très peu, il s’avère impératif de décrire son profil, d’identifier ses besoins et attentes concernant l’apprentissage du français avant l’implantation du dispositif. Cette démarche s’inscrit dans l’analyse des besoins, les informations collectées à partir d’un questionnaire permettant d’alimenter les réflexions sur le choix des approches pédagogiques et sur la forme d’organisation de la formation.

1. Identification des besoins des apprenants faux-débutants

Selon Coste (1977, p. 51), la notion de « besoin » n’est pas très claire. Nous retenons, dans cette étude, la distinction entre « besoins cibles » (target needs) et « besoins d’apprentissage » (learning needs) identifiée par Hutchinson et Waters (1987, p. 54-58). Les besoins cibles (i.e. what the learner needs to do in the target situation) comprennent trois composantes :
 nécessités (necessities) : what the learner has to know in order to function effectively in the target situation ;
 lacunes (lacks) : the gap between the existing proficiency of the learners and the target proficiency ;
 désirs (wants) : learners’ idea of the “necessities” of the target situation.
Cette définition rejoint, la notion de « besoin langagier » donnée par Richterich (1973), qui considère que « l’analyse des besoins [langagiers] doit aboutir à la définition des objectifs qui, opérationnellement, devront être traduits en actes langagiers et en actes d’apprentissage ».
Les besoins d’apprentissage (i.e. what the learner needs to do in order to learn) concernent les facteurs qui influent sur le processus d’apprentissage, par exemple la personnalité, l’attitude et la motivation des apprenants, les stratégies et les styles d’apprentissage, etc. (Kormos, Kontra et Csölle, 2002, p. 519).
Les résultats, obtenus à partir du travail d’identification, relèvent des informations relatives aux besoins cibles et d’apprentissage des futurs apprenants, permettant à l’enseignant-concepteur de « prendre conscience, avec des degrés d’explication divers dépendant des nécessités et des possibilités, de certains facteurs et de certaines données qui peuvent avoir de l’influence, soit sur l’entrée [et la finalité] en apprentissage, soit sur l’apprentissage lui-même » (Richterich et Chancerel, 1977, p. 10).
Dans notre étude, la démarche d’analyse des besoins a été conduite avant la conception du dispositif de formation. La méthode de collecte des informations s’appuie sur le principe de triangulation, c’est-à-dire le recours à plusieurs méthodes de recueil de données, en vue d’avoir des résultats plus fiables. L’approche se fonde donc sur l’enquête par questionnaire adressée aux futurs apprenants ayant déjà demandé l’inscription au cours. Celle-ci est complétée par l’observation de l’enseignant et par l’entretien informel avec d’anciens étudiants ayant suivi ce cours dans les années précédentes.
Il convient de rappeler que dans notre étude, les futurs apprenants n’ont aucune expérience d’apprentissage du français, donc ils ne se font qu’une idée très vague des objectifs qu’ils voudraient atteindre. L’objectif du questionnaire est de donner des indications plutôt sur leurs besoins subjectifs, c’est-à-dire leur vision générale des besoins en langue et en apprentissage. Le questionnaire est composé de 16 questions formulées par le chercheur à partir des questionnaires utilisés dans les études précédentes (Wang et Liu, 2003 ; Zhao, Lei et Zhang, 2009). Ces questions sont organisées en 5 rubriques (cf. Annexe) : informations générales, motivation d’apprentissage du français, besoins pour les contenus d’apprentissage, besoins d’activités en classe et hors classe, besoins concernant le rôle de l’enseignant et les attentes de la formation. La validité du questionnaire est évaluée par la relecture d’autres enseignants-chercheurs. Pour faciliter la compréhension des apprenants sinophones, le questionnaire est administré en chinois. Le questionnaire a été distribué deux mois avant le déroulement du cours à tous les futurs étudiants (n=69) s’étant inscrits à ce cours par le biais du service de la scolarité. Les réponses du questionnaire ont été analysées selon une méthode descriptive, qui consiste à dénombrer les réponses obtenues en affichant les valeurs en effectifs et/ou en pourcentages.
Dans notre enquête, nous avons reçu 56 questionnaires, soit un taux de retour de 81,2 %, ce qui s’est avéré représentatif. L’analyse et l’interprétation des données obtenues montrent qu’il est possible d’établir une typologie des besoins, classés selon les catégories de Hutchinson et Waters (1987, p. 54-58).

1.1. Description du public

Soulignons tout d’abord que ce cours est ouvert à tous les étudiants de l’université. On trouve donc un public venant de diverses spécialités universitaires (commerce, droit, art, sciences dures…). 89,3 % d’entre eux n’ont aucune expérience d’apprentissage du français au préalable, et les autres n’ont suivi qu’un petit nombre d’heures de formation en FLE. Nous avons donc affaire à un public sans ou avec des connaissances fragiles en français, ayant à affronter des target situations très différentes de ce qu’ils connaissent.
Presque la moitié de notre public (53,6 %) a au moins une expérience d’apprentissage en ligne. Tous les étudiants possèdent un smartphone et 98,2 % sont équipés d’un ordinateur personnel ou d’un Mac, avec accès à Internet. De plus, 85,5 % prévoient d’apprendre le français hors classe, mais avec un nombre d’heures modeste (moins de 2 heures par semaine pour 63,6 % des étudiants). Cela signifie que, d’un côté, le travail à distance ne représente pas une étrangeté pour la plupart, et que d’un autre côté, les étudiants sont prêts, sur le plan matériel et organisationnel, à s’investir dans la classe inversée.

1.2. Analyse des besoins cibles : pour la valorisation personnelle

Pour spécifier les besoins cibles, les informations collectées par le questionnaire ont été traitées selon deux axes : la motivation relative aux finalités d’apprentissage et la nécessité perçue concernant les compétences de langue.
L’analyse montre que le cours de français est une occasion d’accéder à un complément de formation et de valoriser son intérêt personnel. Si on considère les réponses à la question 8 (cf. Figure 1), on trouve plus d’importance accordée aux réponses axées sur la motivation intrinsèque, telles que « pour m’ouvrir d’une manière générale vers le monde extérieur » (cf. Figure 1, item b), « je veux parler plusieurs langues » (cf. Figure 1, item e) et « je m’intéresse à la culture française » (cf. Figure 1, item f). En fait, ce constat manifeste que l’apprentissage du français ne constitue pas, pour la plupart des étudiants, un atout pour le marché du travail (cf. Figure 1, item c). Ces témoignages renvoient à l’idée que les étudiants s’intéresseraient peu à un enseignement axé sur les objectifs académiques, scientifiques ou professionnels d’un domaine particulier.

Figure 1 - Motivation pour l’apprentissage du français

En matière de besoins pour les compétences en langue (cf. Annexe, Q9), la production orale s’avère comme le besoin le plus important, suivi par la compréhension orale et la grammaire/le vocabulaire. L’importance de l’oral se manifeste également par les réponses à la question 12 (cf. Annexe, Q12), où 64,3 % des étudiants affirment que « apprendre en communiquant » est la meilleure stratégie d’apprentissage pour les faux-débutants. Ce privilège accordé à l’oral pourrait peut-être s’expliquer par la pensée commune que parler aisément une langue étrangère permet d’interagir avec les locuteurs natifs, et d’accéder à une autre culture (Germain et Netten, 2005, p. 7). Ces témoignages nous amènent à définir des objectifs d’enseignement davantage centrés sur les compétences communicatives orales axées sur des domaines personnels, que nous présenterons dans les chapitres qui suivent.

1.3. Analyse des besoins d’apprentissage : nécessité des aides sur le plan linguistique

Les étudiants ont été invités à exprimer leurs besoins concernant les activités dans et hors la classe et les fonctions du futur enseignant, au moyen d’une échelle de Likert allant de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord). Les moyennes des scores attribuées à chaque réponse sont calculées pour établir une échelle par ordre d’importance.

Tableau 1 - Réponses des étudiants sur les besoins d’activités en classe

Si la raison principale à l’apprentissage du français est « pour s’ouvrir vers le monde extérieur », il n’est pas étonnant que les activités culturelles et interculturelles en classe, telles que regarder des vidéos et/ou des films francophones (=4,36) (cf. Tableau 1), soient celles qui sont préférées par les étudiants. Néanmoins, leurs besoins pour la communication orale, que l’on a déjà évoqués, semblent en contradiction avec les réponses données : ils considèrent que les activités centrées sur la communication orale, telles que le tour de table (x̅=3,25), la discussion en groupe (x̅=3,48), les jeux de rôle (x̅=3,55) et les exposés (x̅=3,64), ont moins d’importance que la transmission du savoir par l’enseignant (x̅=4,20). Nous retrouvons des résultats similaires concernant les besoins d’activités hors classe (cf. Annexe, Q13) : ils préfèrent les exercices de systématisation (x̅=3,96) aux activités axées sur la communication, telles que tâches et/ou projets en groupe (x̅=3,59) et Tandem avec des locuteurs francophones pour pratiquer l’oral (x̅=3,78). On pourrait faire l’hypothèse que cette contradiction relève de l’anxiété face à la prise de parole et du sentiment d’auto-efficacité des apprenants (Liu et Jackson, 2008). En effet, les étudiants chinois, influencés par leurs habitudes culturelles d’apprentissage, se sentiraient plus à l’aise lors de la prise de parole s’ils maîtrisent de manière explicite tous les points de grammaire au préalable. (Wen et Clément, 2003, p. 30).
Cette appétence pour les savoirs de grammaire est, par ailleurs, confirmée par les réponses à la question ouverte (cf. Annexe, Q16 : Quelles sont vos attentes concernant le cours de « Français essentiel » de ce semestre ?) : certains étudiants éprouvent « la peur d’apprendre une langue inconnue » et souhaitent recevoir des soutiens de remédiation sur le plan linguistique, par exemple des corrections phonétiques, la révision régulière de points de grammaire, etc. Alors, ne serait-ce que proposer des travaux fréquents de grammaire, accompagnés de rétroactions régulières en amont des tâches communicatives, cela constituerait-il une mesure d’aide psycho-affective propre à réduire leur anxiété langagière ?
Concernant les besoins pour les fonctions du futur enseignant, nous avons eu des résultats similaires à ceux obtenus dans les études précédentes (Wang, 2007 ; Zhao et al., 2009) : les trois premiers rôles les plus appréciés par les étudiants sont « conseiller » (x̅=4,67), « soutien » (x̅=4,67) et « animateur » (x̅=4,63). En fait, il convient de souligner que les items qui relèvent des rôles plus autoritaires de l’enseignant, par exemple « évaluateur » (x̅=4,24) et « organisateur » (x̅=4,19), ont obtenus par ailleurs des scores remarquables. Cela veut dire que ses rôles doivent être multiples : l’enseignant devrait endosser à la fois le rôle d’un « guide », d’un « animateur » et d’un « expert du contenu », qui apporte les aides demandées, encourage les apprenants dans leur travail et transmet un savoir, puis évalue pour vérifier si les objectifs d’apprentissage sont atteints.
Ainsi, cette démarche d’analyse des besoins fait ressortir d’une part le désir des étudiants de développer leur compétence en communication orale, et d’autre part la nécessité de se voir offrir des aides de renforcement linguistique. La prise en compte de ces besoins nous oriente donc vers la construction d’un dispositif, centré davantage sur les objectifs communicatifs, avec la mise en place d’aides de remédiation régulières sur le plan linguistique. Ce choix pédagogique nous incite à opter pour un cadre théorique mixte qui se situe au carrefour de deux approches d’enseignement différentes (Production-oriented approach et Mastery learning), illustrant la demande d’apprentissage identifiée.

2. Cadre théorique : vers une approche pédagogique mixte

Notons que ce cadre théorique, qui s’appuie sur deux approches pédagogiques, sert de cadre de référence pour piloter la démarche de conception.

2.1. Production-oriented approach

Production-oriented approach (POA) est une perspective pédagogique de l’anglais adaptée au contexte d’enseignement universitaire en Chine (Wen, 2016, p. 1). Cette perspective est basée essentiellement sur deux principes pédagogiques, dite output-driven et input-enabled. Le principe output-driven affirme que toutes les activités de réception doivent avoir pour finalité de conduire l’apprenant vers la production. Les matériels d’input reçus en amont par les apprenants deviennent ainsi - selon le principe input-enabled - des éléments constitutifs qui peuvent être réutilisés dans des activités d’output. Le mode d’apprentissage de la langue étrangère des adultes représente donc un processus inductif où l’apprenant « plagie » des éléments provenant de l’input, qui seront réinvestis dans les activités de l’output.
L’approche POA représente un processus d’enseignement composé de trois démarches successives : motivating, enabling et assessing.
 Dans la phase motivating, l’enseignant informe l’apprenant sur la situation de communication dans le but de susciter son intérêt pour la tâche à réaliser
 Dans la phase enabling, l’apprenant travaille sur des matériels de compréhension écrite et/ou orale, de sorte qu’il puisse repérer des éléments linguistiques qui seront réutilisés pour réaliser la tâche de production.
 Dans la phase assessing, la tâche est réalisée et est évaluée collectivement par les groupes d’apprenants et puis par l’enseignant, qui poursuit ensuite avec des conseils d’amélioration.

2.2. Mastery learning

Mastery learning est un ensemble de stratégies d’enseignement conçues pour amener le plus grand nombre possible d’élèves à un niveau de réussite très élevé dans des situations scolaires (Bloom, 1968 ; Block et Burns, 1976, p. 4). Il s’agit de mettre en place un enseignement collectif auquel s’ajoutent de fréquentes rétroactions et des accompagnements individualisés (Matteau, 1988, p. 15). Son organisation repose sur des séquences de gestes d’enseignement successifs et programmés :
 Identification des objectifs de l’enseignement. L’enseignant définit d’abord le niveau d’apprentissage qui doit être atteint par tous les élèves. Il subdivise ensuite le contenu à acquérir en plusieurs unités d’enseignement successives.
 Évaluation fréquente des acquis. L’enseignant vérifie la maîtrise des acquisitions à la fin de chaque unité dans une perspective d’évaluation formative, l’évaluation étant considérée comme un feedback afin d’informer à la fois l’enseignant et l’élève sur ce qui est acquis et ce qui reste à apprendre.
 Mise à disposition des instruments de remédiation. Un ensemble de matériels et de mesures de correction sont donnés aux élèves ayant des difficultés, en tant qu’instruments de remédiation leur permettant de corriger leurs erreurs et de combler leurs lacunes.
 Évaluation globale en fin de formation. L’enseignant procède enfin à l’évaluation sommative pour vérifier le niveau d’acquisition de l’ensemble des cours.

2.3. Mixer les approches pour construire le dispositif de formation hybride

Implanter une approche mixte au sein de notre dispositif de formation consiste à respecter les trois démarches de POA tout en intégrant, en phase enabling, un parcours de renforcement linguistique avec des rétroactions régulières hébergées par la plate-forme SPOC.
Une partie de la phase enabling peut se dérouler à distance (Wen, 2015, p. 554) : il convient pour l’apprenant de consulter, avant la classe, un ensemble des matériels d’input relatifs à la thématique de la tâche d’output au moyen de capsules vidéo, suivis d’exercices de systématisation et d’un test diagnostic qui évalue la maîtrise des connaissances sur la langue. De cette manière, l’apprenant repère des éléments linguistiques qui seront ensuite mobilisés pour mener des tâches de production en classe.
L’implantation de la plate-forme SPOC facilite la mise en place de mesures rétroactives régulières (Tian, 2014), du fait que la fonctionnalité de la plate-forme permet à l’enseignant de consulter facilement les statistiques sur la performance au test du plus grand nombre possible des apprenants. Les difficultés qu’éprouvent la majorité des apprenants sont donc appréhendées par l’enseignant, qui peut aborder ensuite des mesures de remédiations individualisées.

3. Organisation du dispositif de formation

Après avoir présenté le cadre théorique, nous aborderons, dans les lignes qui suivent, la façon selon laquelle se concrétise le dispositif de formation.
Rappelons que notre dispositif se déroule dans le cadre du cours « Français essentiel », proposé comme une formation optionnelle, à raison de 2 heures par semaine. Ce cours est dispensé sur un semestre, ce qui représente environ 22 heures d’enseignement au total.
Les objectifs généraux de l’enseignement sont d’abord élaborés et adaptés aux besoins des faux-débutants. Il s’agit de permettre à l’apprenant de :
 pouvoir communiquer dans des situations quotidiennes, par exemple pouvoir saluer, se présenter, inviter, exprimer ses goûts et centres d’intérêt et parler de ses projets personnels ;
 maîtriser l’alphabet phonétique, le vocabulaire et la grammaire de base ;
 avoir des connaissances générales sur la civilisation de la France et de la Francophonie ;
 développer l’intérêt pour la langue et la culture françaises.
Les contenus à apprendre sont ensuite subdivisés en 4 modules d’enseignement, dont chacun est orienté vers l’acquisition d’une ou plusieurs compétence(s) communicative(s). À titre d’exemple, le module 1 a pour objectif principal d’amener les apprenants à pouvoir se présenter. Cet objectif est ensuite décomposé - selon le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) - en plusieurs sous-objectifs linguistiques et sociolinguistiques. Dans ce module, par exemple, l’apprenant va maîtriser la prononciation de certaines voyelles et consonnes et l’utilisation des pronoms personnels sujets. Il va aussi connaître les nuances pour se présenter en fonction des registres applicables à différentes situations.

Figure 2 – Déroulement de la formation

Un module représente deux semaines de travail et est dispensé sur 2 séances pédagogiques (cf. Figure 2). Une séance s’organise autour d’un thème particulier, qui se compose de différents éléments articulés entre des modes présentiel et distanciel, formant un ensemble cohérent (cf. Figure 4) : les étudiants apprennent d’abord, à distance, les formes linguistiques liées à la thématique de la séance pédagogique au moyen de courtes vidéos et d’exercices de systématisation, dans lesquels ils retrouvent les éléments linguistiques qui seront ensuite réutilisés lors des activités de production en classe.
Il convient d’ajouter que la première semaine est conçue comme une séance introductive présentielle, où l’enseignant donne des explications sur le déroulement de la formation, la modalité d’évaluation et le fonctionnement de la plateforme.

3.1. Travail sur la langue à distance

Le travail à distance est hébergé par une plate-forme SPOC, Fanya qui présente des fonctionnalités similaires à celles de Moodle, mais avec une interface plus simple. Administré par le service de la scolarité de l’université, l’espace de cours n’est accessible qu’aux étudiants qui sont inscrits à la formation. L’interface de la plate-forme s’apparente à un espace de travail virtuel, constitué de 2 colonnes (cf. Figure 3) : s’affiche sur la colonne latérale une liste des cours disponibles ; le bloc central affiche l’ensemble des éléments du cours (textes, vidéos et exercices). Ce choix de la plate-forme Fanya est justifié par sa facilité d’usage, du fait qu’elle présente un nombre limité de fonctionnalités simples à utiliser pour que les étudiants puissent s’en servir d’une manière autonome.

Figure 3 – Espace de travail virtuel de la plate-forme Fanya

Pour que les étudiants puissent échanger avec leurs pairs ou l’enseignant à tout moment lorsqu’ils rencontrent des difficultés, un groupe de WeChat (une application mobile de messagerie instantanée utilisée quotidiennement en Chine) est créé et sert d’espace d’entraide tout au long du cours.
Selon les réponses au questionnaire, les étudiants prévoient environ deux heures par semaine pour la réalisation en autonomie des différentes activités, ce qui détermine la quantité de travail hebdomadaire à distance. Une semaine avant le démarrage de la séance présentielle, l’enseignant rend accessible, sur la plate-forme, la liste des supports liés à la préparation de cette séance. Ces supports, comme matériels d’input, comportent en général 3 ou 4 leçons enregistrées par l’enseignant sous forme de courtes vidéos, suivies par des exercices d’entraînement auto-corrigés, qui ont pour objectif de développer les compétences linguistiques des apprenants. Le travail à distance se termine par le passage d’un test diagnostic informatisé qui évalue les étudiants sur la maîtrise des connaissances grammaticales et lexicales introduites dans les vidéos.
À l’issue du test, les étudiants obtiennent de manière instantanée un bilan qui indique les mauvaises réponses. De cette manière, ils peuvent se rendre compte des notions linguistiques qui leur posent des difficultés et solliciter l’aide auprès de l’enseignant. Par ailleurs, sur la page d’administration de la plate-forme, la performance des étudiants au test est présentée sous forme d’un tableau synthétique des indices de réussite, à l’aide duquel l’enseignant peut comprendre les lacunes de chaque apprenant et prévoir des aides. En guise d’indication pour compléter ces activités, la participation au travail à distance avant la classe compte pour 20 % de la note du cours.

3.2. Activités de communication en présence

Au début du cours présentiel, sont d’abord proposés de nouveaux exercices d’entraînement, qui visent à combler les lacunes identifiées à partir des résultats obtenus du test diagnostic. Il faut noter que cette activité de remédiation ne doit pas dépasser 20 minutes pour pouvoir accorder ensuite suffisamment de temps aux activités de production. Co-animées par un lecteur français et un enseignant chinois, ces activités sont organisées autour d’un thème précis issu d’une situation authentique, par exemple faire de nouvelles connaissances amicales. Les étudiants doivent mobiliser les connaissances linguistiques acquises pendant le travail à distance pour réaliser diverses formes d’activités : jeux de rôle, simulation ou conversation entre pairs ou avec l’enseignant.
À la fin du cours, l’enseignant évalue la performance des apprenants dans les activités de production avec des remarques et conseils d’amélioration. Il peut fournir, à la demande des étudiants, des exercices complémentaires à des fins de révision.
Après le cours, l’enseignant peut proposer, sur le groupe WeChat, de manière ponctuelle, une liste des ressources portant sur les aspects culturels en accès libre sur Internet, telles que des vidéos ou films, des chansons francophones, etc. Ce qui vise à susciter ou à maintenir l’intérêt des étudiants pour la langue et la culture françaises.

Figure 4 – Organisation de la séance pédagogique

4. En guise de conclusion : perspectives d’avenir

Nous avons présenté une démarche et des réflexions illustrant la conception d’un dispositif de formation hybride basé sur la classe inversée et sur une plate-forme SPOC, qui s’adresse à un public sans aucune expérience préalable d’apprentissage du FLE. Pour piloter la conception du dispositif, la démarche de conception a été précédée d’une analyse des besoins qui a permis de produire des informations concernant les besoins cibles et d’apprentissage des étudiants : apprendre le français par le biais d’activités de communication ; besoins du travail régulier sur la langue afin de mener plus efficacement les activités de production.
Alors, ce dispositif répond-il aux besoins des étudiants faux-débutants concernant l’apprentissage du français ? Ce travail de conception pourrait s’inscrire, dans le futur, dans une perspective évolutive : il est possible de recueillir, en aval de la formation, des données concernant le ressenti des apprenants sur l’ensemble des éléments de la formation, des compétences et des connaissances acquises par le biais de cette formation, afin de déterminer si la conception correspond bien à leurs besoins, et ensuite de « mieux adapter l’offre d’enseignement à la demande d’apprentissage » (Richterich, 1985, p. 27).


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Annexes