Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

Suggestion didactique pour l’enseignement de la morphologie altérative/modificative en italien langue étrangère

Omar COLOMBO, University of Malaya, Malaisie


Résumé
Trois enquêtes sur l’usage et le traitement de la morphologie modificative de l’italien confirme notre hypothèse sur la nécessité de son enseignement en italien langue étrangère. Une pré-enquête sur l’usage de la cible par des italiens natifs montre la préférence pour les diminutifs -ino/-etto/-ello, l’augmentatif -one et les altérés lexicalisés. Selon les déclarations des enseignants d’italien interviewés, le traitement de la dérivation s’adapte aux niveaux de langue et le matériel existant sous-estime la dérivation modificative. L’analyse de manuels révèle la nécessité de travailler en didactique sur la dérivation modificative. Suggestion didactique : introduire la cible en réception au niveau A1, l’approfondir avec les niveaux avancés ; cibler les suffixes et les mots les plus fréquents chez les italophones et la construction prototypique base+suffixe ; construire un vocabulaire contextualisé ; proposer une formation hybride (exercices interactifs et individuels).


Abstract
Three surveys on the use and the form processing of the modifying morphology confirm the necessity of its teaching in Italian as a Foreign Language. A pilot study on the target use by native Italians shows a preference for the diminutive suffixes -ino/-etto/-ello, the augmentative -one, the lexicalized modifying forms, the dimensional sense. According to Italian language teachers, its teaching depends on learner level and the teaching material underestimates its importance. Textbook analyses confirm the need for a study focused on the teaching of the modifying derivation. Teaching suggestions : Introduce the modifying morphology of level A1 oral/written comprehension, to be developed in advanced levels ; target the most frequent words and suffixes in the native Italian speaker discourses as well as the prototypical form basis+suffix ; build a contextualized vocabulary ; conceive a blended learning program (interactive an individual exercises).


1. Introduction : l’objet morphologique de notre étude

L’objet de notre étude est la morphologie altérative, évaluative ou modificative (Mutz, 1999) italienne qui est très riche et complexe du point de vue morphosémantique. Ces suffixes modifient :
 la dénotation dimensionnelle de la base : la petitesse (diminutif) vs. la grandeur (augmentatif), par exemple om-ino « petit homme » vs. om-one « homme grand » ;
 la qualité dans le sens négatif/péjoratif ou positif/mélioratif : par exemple ragazz(o)-accio « mauvais garçon » vs. mamm(a)-ina « (ma) chère maman ».
Le modificatif ne change pas le signifié de la base, mais il l’altère en créant son hyponyme : camicetta « chemisette/chemisier » est un hyponyme de camicia « chemise » qui, à son tour, est l’hyperonyme de camicetta.
Souvent une formation à l’origine modifiée subit un procès de lexicalisation, lorsqu’elle assume, à terme, une indépendance lexico-sémantique de la base d’origine, ce qui enrichit certains champs lexicaux, comme les vêtements (camic(ia)-etta) ou la cuisine (pomodor(o)-ino « tomate cerise »).

2. Les questionnements : champs d’étude, problématique et hypothèse

Nous partons du postulat que tout apprenant d’italien langue seconde (dorénavant, L2) peut être exposé à la morphologie modificative de l’italien compte tenu de sa productivité dans cette langue.
Afin de confirmer l’hypothèse de la nécessité d’enseigner la morphologie modificative en L2, nous avons effectué une pré-enquête sur l’usage que les italophones natifs font de la dérivation modificative.
Par la suite, nous nous sommes plongés dans la problématique didactique dont l’objectif était de comprendre comment enseigner avec efficacité la morphologie modificative. Nous avons ainsi effectué deux enquêtes exploratoires afin de comprendre les besoins de formation existant à l’heure actuelle.
Au moyen d’un questionnaire semi-dirigé, nous avons demandé des informations à des enseignants sur leur expérience directe dans l’enseignement de la modification : quelle pédagogie ont-ils mise en place ?
L’analyse de quelques manuels de l’italien L2 de référence nous a permis de répondre à la question suivante : comment la dérivation modificative y est-elle abordée ? Nous avons observé les morphèmes, les contextes d’application et les sémantismes traités par ces manuels.

3. Les enquêtes exploratoires

3.1. La pré-enquête sur l’usage de la morphologie modificative par des natifs

Notre pré-enquête s’inscrit dans le projet de recherche VINCA (Varietà di Italiano di Nativi Corpus Appaiato) de l’Université de Turin, qui consiste en un recueil de textes écrits par des locuteurs natifs italophones à partir d’un ensemble de dessins. L’image intitulée Scontro choc » : Fig. 1) cible l’emploi des formes modificatives en mettant en relief des oppositions parmi les référents, de nature quantitative/dimensionnelle (petit vs. grand) sur le physique et/ou les vêtements des personnages principaux (les deux hommes et les deux chiens) et quelques objets (des ballons, des aliments, etc.) ; et dans une moindre mesure, de nature qualitative/appréciative (positive vs. négative).

Figure 1 – Scontro (« choc »), projet de recherche VINCA

Les constructions relevées dans 141 textes écrits par des Italiens affichent les résultats suivants :
 dans le corpus, il y a au total 48 404 mots, dont 3,4% (1 661/48 404) sont des formes modificatives : un total de 116 mots qui ont dérivé 147 formes modificatives, ce qui n’est pas à négliger si l’on tient compte que, dans les 48 404 formes, il y a également la ponctuation et les mots fonctionnels, généralement les plus fréquents dans une langue et occupant ainsi une place importante dans un corpus lexical ;
 les suffixes les plus fréquents sont, par ordre décroissant, les diminutifs -ino, -etto, -ello et l’augmentatif -one ; ils devraient être prioritaires en italien L2 ;
 la catégorie nominale est la plus représentée (90,5%) ; certains noms sont beaucoup plus productifs que d’autres, comme calza chaussette ») qui a dérivé six constructions modificatives (calzette et calzettini « petites chaussettes », etc.), cane chien ») en dérive cinq (cagnaccio « chien gros et méchant » ; cagnolino et cagnetto « petit chien », etc.) et uomo homme ») quatre mots (ometto et omino « petit homme » ; omone « homme grand », etc.) ;
 la priorité a été donnée à la valeur sémantique quantitative/dimensionnelle : 79 des 147 mots (53,7%) sont des constructions modificatives lexicalisées, comme bicicletta « vélo », palloncino « ballon de baudruche », pallone « ballon », etc. Étant donné que de nombreuses constructions modificatives sont lexicalisées, donc des désignateurs uniques de référents spécifiques, la connaissance de ces constructions devrait être prioritaire en italien L2, au moins pour les formes les plus fréquentes.

3.2. Du côté des formateurs : enquête sur l’enseignement de la morphologie modificative

Au moyen d’un questionnaire semi-dirigé, nous avons demandé à six formateurs des informations sur leur expérience directe dans l’enseignement de la dérivation modificative. Il s’agit de deux hommes et quatre femmes de nationalité et de langue maternelle italiennes, vivant en France, ayant enseigné ou enseignant dans des universités françaises. Le nombre réduit d’enseignants est dû aux réticences de quelques collègues, liées principalement, soit au manque d’expérience directe dans l’enseignement des modificatifs, soit au manque de temps à disposition pour répondre questionnaire. Quant à ce dernier, il est composé de onze questions sur l’enseignement des modificatifs et tout particulièrement sur :
 le public visé, la méthodologie adoptée et les documents utilisés ;
 les suffixes enseignés et les raisons de ce choix ;
 les difficultés des étudiants dans la manipulation morphosémantique des formes modificatives ;
 les avis des enseignants sur la pertinence de travailler en classe sur la morphologie cible.
Il en découle qu’il s’agit d’une analyse purement qualitative et descriptive des opinions des enseignants, qui nous donne toutefois la possibilité de formuler un ensemble de considérations à l’égard de notre objet d’étude.
Les enseignants affirment qu’ils ont introduit la dérivation modificative en reconnaissance dans des classes de langue de niveau A2 et qu’un travail plus approfondi a été fait principalement avec des étudiants en formation B1/B2. Étant donné qu’ils ont des compétences linguistiques plus développées (phonétiques, lexicales, syntaxiques), ils peuvent accéder plus facilement à la manipulation morphosémantique, à l’interprétation et à la mémorisation des constructions modificatives. À ce propos, l’enseignante Y. affirme que dans les niveaux avancés « les apprenants commencent à nuancer les expressions, à choisir leur style, le ton qu’ils vont adopter et les modificatifs peuvent jouer un rôle important ».
À l’égard du choix des documents, la plupart des formateurs ont utilisé des articles tirés de la presse (des quotidiens en ligne) en visant la compréhension écrite. Dans quelques cas, le professeur a utilisé des vidéos ou des documents audios tirés, là encore, du web ou des méthodes d’italien. L’utilisation du manuel implique parfois la représentation d’un schéma suffixal au tableau et des exercices de production écrite. Toutefois, les formateurs remarquent un manque de ressources pédagogiques en italien L2, et que lorsqu’un manuel cite les modificatifs, cela est fait de façon très théorique, d’une façon qui reste aride, avec très peu d’exercices et assez simpliste pour un phénomène si complexe :

Les manuels de grammaire et de morphologie font souvent des listes des principales catégories sémantico-fonctionnelles [des formes modificatives] et des modalités de suffixation et affixation. Mais peu d’exercices sont proposés et cela demande à l’enseignant un travail de repérage important de ces phénomènes sur les documents qu’il veut utiliser (Enseignant E.).

Ces difficultés peuvent impliquer également la naissance de doutes pédagogiques : l’enseignante Y. nous a affirmé, « je crois qu’il n’y a pas assez de matériel. C’est pour cette raison que je n’ai pas voulu proposer un travail sur ce sujet ».
Pour le choix des suffixes, les enseignants s’accordent sur la nécessité de se baser sur la fréquence d’usage déjà évoquée dans notre pré-enquête sur les italophones natifs. La fréquence permet aux étudiants de repérer assez facilement les suffixes en compréhension (écrite ou orale). Les catégories syntaxiques nominale et adjectivale sont ainsi intuitivement sélectionnées dans le choix effectué par l’enseignant.
La méthodologie adoptée pour accéder à la manipulation morphologique est variable :
 l’enseignant a parfois proposé des couples de mots qui présentent une opposition morphologique synonymique (donn(a)-etta et donn(a)-ina « petite femme/femme mince ») ou antonymique (ragazz(o)-ino « petit garçon/garçon jeune » vs. ragazz(o)-one « garçon grand, robuste ») ;
 d’autres fois, il fait modifier une histoire selon des consignes incitant l’apprenant à employer les modificatifs connus ;
 les exercices de compréhension orale/écrite et de production écrite ciblent un champ lexical et sémantique précis, par exemple le lexique culinaire (linguine, spaghetti...). Ceci confirme la nécessité de contextualiser les formes modificatives pour leur rendre leur sens d’origine et leur utilité socioculturelle.
Selon les formateurs, les apprenants montrent une compréhension passive de la dérivation modificative et beaucoup moins un savoir-faire en production. Leurs difficultés sont liées à la typologie morphosémantique suffixale : les suffixes les plus ambivalents et les moins récurrents sont ceux qui créent le plus de difficultés dans le traitement morphosémantique des formes modificatives. De plus, la modification quantitative (dimensionnelle), soulève moins de problèmes que la qualitative en raison de son objectivité, c’est-à-dire que la modification pragmatico-émotionnelle (hypocoristique vs. péjoratif) beaucoup plus aléatoire, car touchant à la sphère subjective du locuteur.

3.3. Les matériels : enquête sur la morphologie modificative dans les manuels de l’italien L2

Nous avons remarqué une certaine divergence concernant les approches de la morphologie modificative dans les sept manuels pour étrangers de niveau A1/B2 que nous avons sélectionnés. De plus, ces approches prennent en compte seulement en partie les variables et les facteurs morphosémantiques et cognitifs entrant en jeu dans l’apprentissage et la didactique de la cible morphologique, notamment la fréquence et la familiarité de quelques mots ainsi que l’importance de l’étude analytique des constructions modificatives. Ces remarques confirmeraient la nécessité de travailler davantage sur la dérivation modificative en italien L2.
Souvent, les manuels d’italien traitent la modification de manière relative, sous la forme de listes de mots thématiques et décontextualisés, en minimisant ainsi le phénomène morphosémantique visé. La simplification du phénomène morphosémantique a également été constatée dans l’étude menée par Benucci (1994) sur les textes, les grammaires et les manuels d’italien L2 apparus entre 1982 et 1992. D’après l’auteure, la plupart des textes analysés prêtent une attention faible à l’importance du contexte d’utilisation et des formes en concurrence (Benucci, 1994, p. 185).
Prenons comme exemple Espresso 1 (Rizzo et Ziglio, 2001), une méthode adaptée au niveau A1 : les seules formes modificatives prises en considération sont les diminutifs répandus -ino et -etto dans le chapitre conclusif du volume (chapitre 10). Le manuel ne propose qu’un seul et bref exercice en production écrite dans lequel l’apprenant doit utiliser les formes modificatives des noms précédés des adjectifs petit, léger, étroit ou bas (qui demandent nécessairement un diminutif).
Parmi les méthodes qui abordent la dérivation modificative de façon plus argumentée, citons à titre d’illustration Progetto Italiano 2 (Magnelli et Marin, 2003, p.153-154) de niveau A2/B1 : les suffixes présentés sont les diminutifs -ino, -etto, -ello et l’augmentatif -one, c’est-à-dire les plus fréquemment utilisés en italien (par conséquent, les plus productifs et familiers), ainsi que le péjoratif -accio. Les auteurs n’ont pas traité l’opposition entre les valeurs sémantiques quantitative et qualitative en rapport à un même suffixe (par exemple, cos(a)-ina « une petite chose, sans importance », valeur diminutive et mamm(a)-ina « (ma) chère maman » valeur hypocoristique/affective). Un apprentissage ainsi défini peut sembler réducteur (et du point de vue linguistique, il l’est sans aucun doute), mais il s’agit cependant d’une manière transparente et simple d’aborder un phénomène morphosémantique particulièrement complexe.
Une autre méthode d’italien L2, Contesti Italiani (Pichiassi et Zaganelli, 1992), qui est un recueil de textes littéraires adaptés pour un public avancé (B2/C2), aborde la suffixation modificative en exploitant le texte d’Italo Calvino, Il bosco sull’autostrada Le bois sur l’autoroute », p. 64-73). Contesti, comme Progetto Italiano 2, propose des exercices en production écrite, en demandant en particulier de repérer dans le texte les mots modificatifs et d’en indiquer le mot dérivatif. Un autre exercice propose une tâche de décision lexicale, où l’apprenant doit déterminer si la cible est un mot modificatif (comme alberello « petit arbre » : alber(o)-ello) ou un mot non modificatif (comme modello « mannequin ; modèle »).
Les manuels d’italien ne prennent pas uniquement en considération la modification d’une manière explicite, des noms et des adjectifs modificatifs sont cités tout au long des manuels. Ceci nous permet de poser deux remarques importantes :
 isoler les cibles dans les manuels pour étrangers, en les insérant dans une liste de mots, implique un apprentissage ciblé sur le sens du mot pris globalement, c’est-à-dire le sens dû à la somme des signifiés des morphèmes composant le mot, sans nécessairement devoir réfléchir explicitement sur l’apport sémantique de chaque suffixe, et donc sur les procédés de dérivation sous-jacents. D’après nous, cette approche n’aide l’étudiant à réfléchir ni sur la structure morphologique des mots, ni sur l’apport sémantique des morphèmes aux constructions linguistiques qui les contiennent ;
 souvent, des mots particulièrement fréquents dans le discours des italophones ne sont pas cités dans les manuels pour étrangers. Ces mots devraient cependant être exploités dans le traitement de la dérivation modificative par les manuels, étant donné que tout apprenant peut leur être exposé et, éventuellement, avoir besoin de les produire à l’oral ou à l’écrit.

4. Discussion : des résultats aux suggestions pédagogiques

À la lumière des résultats obtenus quant à l’usage des natifs et aux pratiques d’enseignement (formateurs et manuels d’italien L2), quelques réflexions s’imposent sur la pertinence didactique et les activités pédagogiques souhaitables en classe de langue autour de la morphologie modificative.
Les trois enquêtes exploratoires nous suggèrent d’abord que la morphologie cible et son apprentissage relèvent à la fois de la dimension culturelle/civilisationnelle et de la dimension linguistico-cognitive (compétences morphosémantiques des apprenants, fréquence et familiarité lexicales).
En ce qui concerne la première, d’après Vigner (1999, p. 63),

Réfléchir à ce que peut être une nouvelle thématique dans l’enseignement des langues est la condition de réussite d’une telle approche, non pas en remettant en circulation les thématiques trop larges (la jeunesse, les loisirs), mais un mode d’ancrage thématique qui serait plus proche du niveau de base pour l’abstraction des événements, objets, individus, etc. La dimension culturelle de ces apprentissages résidera donc dans la mise à jour des représentations du monde qui sous-tendent l’utilisation de ce lexique, tout en montrant encore que ces représentations peuvent évoluer, se complexifier tout en s’actualisant par un matériel lexical relativement stable […].

Galisson désigne le lien lexique/culture par l’expression lexiculture et, par la suite, pragmatique lexiculturelle (voir Galisson, 1999a, p. 477-478 ; Galisson, 1999b, p. 96). De même, selon Cuq (2004, p. 61) « l’originalité du lexique est qu’il est à la fois lié à la grammaire, et justifie donc une certaine focalisation sur la forme, mais aussi à la culture, et justifie donc tout autant une focalisation sur le sens » : l’auteur envisage un enseignement/apprentissage du lexique fondé sur les relations extrinsèques ou associatives du mot (les co-occurrences, les connaissances culturelles qu’il véhicule) et non seulement intrinsèques (morphologiques/dérivationnelles et sémantiques) (Cuq, 2004, p. 67). Ainsi, depuis les premières phases de l’apprentissage, il est important d’attirer l’attention de l’étudiant sur les usages appropriés d’un mot en dirigeant l’action didactique vers la dimension culturelle, au-delà de l’aspect désignationnel de l’unité lexicale (Mezzadri, 2003, p. 210-211). La réflexion sur l’aspect connotatif des mots permet de percevoir le caractère de la langue et sa vitalité, par conséquent les différences culturelles entre la L1 et la L2 de l’étudiant (Mezzadri, 2003, p. 210).
Quant à la dimension linguistico-cognitive, l’enseignement des mots familiers aux apprenants est indispensable « car en ignorant [ceux-ci] on risque de placer l’élève en position de récepteur passif » (Calaque, 2000, p. 22). De façon générale, la construction d’un vocabulaire, c’est-à-dire les « mots utilisés par un locuteur donné dans des circonstances données » (Calaque, 2007, p. 45), fréquent et familier à la fois, ne sera appris ni sous forme de listes ni au hasard (Vigner, 1999, p. 62), mais selon une programmation à long terme qui ciblerait une analyse métalinguistique en profondeur sur le sens comme le veut la théorie dite Levels of Processing (Niveaux de Traitement, Craick et Lockart, 1972, cité par Bogaards, 1994, p. 91), ce qui aiderait l’apprenant à intégrer les morphèmes dans sa mémoire lexicale à long terme.
En ce qui concerne le public d’apprenants à viser, nous rappelons que les formateurs et les manuels d’italien indiquent que l’apprentissage de la morphologie modificative italienne serait plus adapté aux étudiants de niveau intermédiaire/avancé : ils peuvent accéder plus facilement à l’interprétation et à la mémorisation des constructions modificatives, grâce à une compétence lexicale et à une sensibilité phonétique et morphosémantique en L2 plus développées que les apprenants débutants (voir 3.2/3.3). Il reste néanmoins pertinent d’affirmer que tout apprenant peut être exposé à la morphologie cible. Ces morphèmes devraient être ainsi introduits en réception (compréhension) déjà au niveau A1, car savoir communiquer implique au préalable de savoir comprendre ce qui est dit (Mezzadri, 2003, p. 124). De plus, nous constatons que le manque de vocabulaire représente l’un des plus grands obstacles à la compréhension, que ce soit de l’écrit ou de l’oral (Prince, 2007, p. 13) : « […] les connaissances lexicales sont une condition nécessaire à la compréhension et à la production des textes » (Lepoire-Duc, 2004, p. 143-144). C’est ainsi que l’enseignant en italien L2 devrait répondre aux besoins de formation des apprenants en les aidant à reconnaître et à produire les suffixes et les mots modificatifs les plus fonctionnels dans le discours, c’est-à-dire les plus fréquents et productifs. Parmi les instruments à disposition des enseignants pour établir les formes modificatives comme étant les plus fréquentes dans le discours italophone, nous conseillons les corpus de l’italien oral existants comme, par exemple, le LIP (Lessico di Frequenza dell’Italiano Parlato ; De Mauro et al., 1993) et le LABLITA (Corpus di italiano parlato ; Cresti, 2000). L’enseignant pourrait sélectionner une liste des mots les plus fréquents en se basant sur sa propre expérience de locuteur italophone. En revanche, ce choix comporterait le risque de mettre en avant la subjectivité du formateur (Corda et Marello, 2004, p. 30-31 ; Boriosi Katerinov et Katerinov, 1994, p. 195-196) et les variables sociolinguistiques (diatopiques) qui le distinguent, dans le cas où il est locuteur natif. Les suffixes sélectionnés devraient être analysés selon le sémantisme prioritaire de chacun d’entre eux :
 la dimension quantitative de diminution pour les diminutifs -ino et -etto (pour lesquels il faudrait préciser l’aspect qualitatif-mélioratif dans des contextes discursifs spécifiques et ponctuels) et de grande taille pour l’augmentatif -one ;
 la qualité péjorative pour le suffixe -accio.
 Pour encourager l’accès au lexique, il nous semble nécessaire de valoriser aussi les paramètres morphosémantiques et syntaxiques qui facilitent la manipulation des cibles. En L2, toutes sortes de segments et de constructions morphosémantiques complexes peuvent comporter des difficultés dans la gestion cognitive de la cible, notamment :
 les variantes morphologiques ou les formes élargies (cane-cagnetto « petit chien ») ;
 l’insertion d’infixe qui est d’ailleurs un non-morphème (Dardano et Trifone, 1985, p. 335-337 ; par exemple, libr(o)-ic-ino « petit livre ») ;
 les cumuls de suffixes (fogli(a)-ett(a)-ina « (une toute) petite feuille »).
Par conséquent, nous pensons qu’il serait souhaitable d’enseigner surtout le modèle prototypique de la dérivation modificative base+suffixe, beaucoup plus productif, fréquent et simple à apprendre (comme pour cas(a)-etta « petite maison/maisonnette »).
Les formes modificatives devraient être mises en relief et élaborées par l’apprenant, par des activités et des exercices (de repérage, d’anticipation, de compensation) portant sur la manipulation des composants morphologiques, effectués de façon interactive en classe de langue et individuelle en autonomie. Ceci afin de permettre à l’apprenant de mémoriser un éventail d’exemples lexicaux et de règles dérivationnelles qui puissent être imités et reproduits en cas de besoin. À ce propos, Cuq (1996, p. 47-48) nous rappelle la notion d’assimilation mémorielle proposée par Frei, selon laquelle les apprenants modifient ou créent un élément par imitation d’un modèle linguistique. Notion que Cuq préfère nommer instinct analogique tout en considérant la faute interférentielle comme une manifestation de cette analogie (formelle et sémantique) de la L1 à la L2. À la compréhension orale et écrite (identification des formes) doivent donc succéder des activités en production (récupération des formes) qui prévoiront des contextes variés. Selon Chini (2005, p. 110),

[Cette technique] s’inscrit donc clairement dans la logique méthodologique qui a pour objectif d’aider l’élève à construire des méthodes d’action transférables lui permettant de gérer de manière plus autonome à la fois son apprentissage et les activités langagières […]. [L’apprenant est ainsi] engagé dans une démarche de pratique raisonnée portant sur les règles de […] dérivation […].

L’objectif ultime de ces techniques serait d’amener l’apprenant, à terme, à un emploi procédural (automatisé et implicite) de la dérivation modificative, en opposition à l’emploi déclaratif (explicite et contrôlé), selon la dichotomie proposée par Anderson :

L’apprentissage déclaratif est direct et abrupt : nous pouvons encoder presque instantanément une nouvelle unité. Néanmoins, une nouvelle unité, pour subsister à long terme, devra être consolidée. L’apprentissage procédural est, en revanche, plutôt lent et graduel. Il est le fruit de l’exercice : on apprend en faisant, pour reprendre la formule d’Anderson (1983). Avec l’exercice, les procédures peuvent s’automatiser. Nous avons ainsi une distinction, théoriquement fondée, entre deux mécanismes souvent présents dans le discours pédagogique mais rarement bien différenciés : la consolidation et l’automatisation. (Grégoire, 1996, p. 92).

Comme selon l’hypothèse dite du degré d’implication (Involvement Load Hypothesis ; Hulstijn et Laufer, 2001, p. 539-558), afin de servir l’objectif de faciliter la rétention ou la mémorisation des items lexicaux par les apprenants, l’enseignant devrait cibler les besoins, la recherche et l’évaluation (subjective) des étudiants.
 Les besoins concernent les motivations dans l’apprentissage ; par exemple, réfléchir de façon autonome et métalinguistique sur le sens d’un mot modificatif ou chercher le sens d’un mot dans le dictionnaire. Selon les auteurs, le degré d’implication est maximal lorsque les apprenants choisissent eux-mêmes de chercher le sens d’un mot (ce qui est cohérent avec la théorie Levels of Processing), il est minimal lorsque c’est l’enseignant qui le fait à leur place.
 La recherche est intimement liée aux besoins de l’apprentissage, car elle constitue l’effort pour trouver le sens d’un mot inconnu.
 Finalement, l’évaluation désigne l’analyse contrastive et comparative entre les sens de deux mots sémantiquement et formellement proches (par exemple, ragazzino vs. ragazzone), afin de pouvoir déterminer le signifié des morphèmes et éventuellement réactiver les acquis/les représentations dans un contexte donné ; par exemple, les étudiants pourront accomplir des tâches en production écrite en remplissant des phrases à trous, insérées dans un contexte précis, avec des mots cibles présentés dans un ordre aléatoire. Cette tâche sollicitera la mise en œuvre d’associations entre signifiant/signifié, mot cible/mots proches et mot cible et sa collocation, tout en renforçant les liens représentationnels. Les cours de langue mettent en œuvre le métalangage de l’apprenant, parfois inconscient, qui ne coïncide pas forcément avec celui de l’enseignant : pour cette raison, la réflexion implicite (ou épilinguistique ; Culioli,1979) sur un point linguistique doit devenir explicite (ou métalinguistique) pour aider réellement l’étude de la L2 (Debrenne, 2007, p. 56). D’où la nécessité d’une procédure analytique prévoyant une analyse contrastive parmi les morphèmes formellement similaires, mais sémantiquement en opposition entre eux (par exemple, des antonymes : deux mots dérivés respectivement par -ino et par -one).
En partant du postulat selon lequel il est nécessaire de dessiner un nouveau contexte dans lequel l’erreur, l’évaluation des compétences et l’autoévaluation soient proposées de façon positive et fassent partie du développement de l’interlangue en L2 (Mezzadri, 2003, p. 268), l’apprenant devrait prendre conscience de ses erreurs et des moyens pour les corriger, et éviter toute sorte de fossilisation. La pertinence de cette approche est d’ailleurs amplement reconnue par les récentes théories ou approches de la didactique des langues qui interprètent l’erreur comme une variable devant être intégrée dans le processus d’apprentissage : aujourd’hui, l’apprenant est en mesure d’évaluer ses erreurs en les mettant ainsi au centre de son apprentissage (Casini et Zucchi, 2009, p. 225).


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