Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

L’interférence du malais (Bahasa Melayu) dans l’apprentissage du FLE chez les étudiants du programme de français à l’Université Malaya

Hadjar CHAIBI, Université de Lille, France
Patricia Nora RIGET, University of Malaya, Malaisie


Résumé
Cet article présente une analyse et une description des erreurs commises par les étudiants malaisiens dans l’apprentissage du FLE qui sont dues à l’interférence du malais (Bahasa Melayu). Le recueil des données s’est fait auprès de 17 étudiants du programme de français à l’Université Malaya à travers trois tests : Test de phonologie, Test de morphosyntaxe et Test de vocabulaire. Les résultats de l’analyse du corpus ont montré que les étudiants malaisiens ont des difficultés d’ordre phonologiques, morpho-syntaxiques et lexico-sémantiques dans l’apprentissage du français. De plus, le taux des interférences le plus élevé concerne les aspects morpho-syntaxiques (55 %,) suivi par les aspects phonologiques (32 %) et en dernier les aspects lexico-sémantiques (14 %). Les résultats de cette étude ont des implications sur l’enseignement et l’apprentissage du FLE aux apprenants dont la langue maternelle appartient à une famille de langue qui est différente du français.


Abstract
This article presents an analysis and description of errors committed by Malaysian students in learning French as a foreign language (FFL) due to the interference of Malay (Bahasa Melayu). Data collection was done using a sample size of 17 students pursuing the French degree program at the University of Malaya via three tests : a phonology test, a morpho-syntax test and a vocabulary test. The results of the corpus analysis showed that Malaysian students have phonological, morpho-syntactic and lexicosemantic difficulties in learning French. The study reveals that the highest interference rate concerns morpho-syntactical aspects (55 %) followed by phonological aspects (32 %) and lastly lexicosemantic aspects (14 %). The results of this study have implications on the teaching and learning of FFL to learners whose mother tongue belongs to a language family that is different from French.


1. Introduction

La Malaisie est un pays multiethnique et multilingue où 137 langues sont parlées (Ethnologue, 2018) par sa population composée majoritairement par l’ethnie malaise (54,6 %), autre Bumiputras [1] (12,8 %), l’ethnie chinoise (24,6 %), l’ethnie indienne, en particulier les Tamouls (7,3 %), ainsi que d’autres groupes ethniques (0,7 %) (Saw, 2015). En dépit de cette diversité linguistique, le malais est la seule langue nationale et officielle du pays utilisée dans les domaines officiels, tandis que l’anglais, l’ancienne langue coloniale, est de facto une seconde langue et la langue préférée pour la communication interethnique, en particulier parmi les Malaisiens éduqués (Asmah Haji Omar, 1992, 2003 ; Azirah Hashim, 2009 ; Coluzzi, 2017). La position de l’anglais est très forte en Malaisie, avec une présence solide dans les domaines des médias, de la diplomatie et du commerce. En plus de ces deux langues, le mandarin et le tamoul sont reconnus comme les langues dominantes des communautés chinoise (Wang, 2012) et indienne (Asmah, 1992), ainsi que comme langues d’enseignement dans les écoles primaires chinoises et tamoules, respectivement.

Dans le système éducatif malaisien, le malais et l’anglais sont enseignés comme des matières obligatoires dès le niveau primaire, voir dès l’école maternelle. Ainsi apprendre une langue comme L2, L3 ou même L4 n’est pas quelque chose de nouveau pour les Malaisiens plurilingues. À présent dans le contexte éducatif malaisien, les étudiants malaisiens n’ont pas seulement envie d’apprendre l’anglais mais aussi les autres langues étrangères ou internationales comme le japonais, le coréen, l’allemand, l’espagnol et le français.

En effet, l’acquisition d’une langue étrangère (LE) est très différente de l’acquisition de la langue maternelle (LM). Chaque langue est différente des autres, de la différence de prononciation et du vocabulaire jusqu’aux différences grammaticales. En outre, le processus d’apprentissage d’une langue étrangère peut être influencé plus particulièrement par des facteurs internes et externes (Zhiliang Lui, 2011). L’interférence de LM est considérée comme un facteur externe qui est peut-être dû à la divergence entre le lexique, la syntaxe et le discours entre la langue source et la langue cible. Les différences de structures entre LM et LE ont entraîné des erreurs en LE. L’erreur s’est produite lorsque les caractéristiques formelles de LM ont été incorporées dans le contexte de LE (Dulay & Kreshen, 1982).

On peut dire que l’utilisation de la langue étrangère est fortement influencée par les antécédents culturels, ethniques, dialectaux et aussi d’autres facteurs. Par conséquent, l’acquisition d’une langue peut s’opérer après l’acquisition de la LM, mais aussi sous l’influence de la LM. On parle alors d’un transfert de langue, c’est-à-dire d’une interférence de la LM où l’utilisateur mobilise ses connaissances linguistiques en LM sur son discours en LE. S’il existe des similitudes entre la syntaxe, le lexique et le discours en LM et en LE, les apprenants auront davantage de facilité à utiliser la langue. Il s’agit du transfert positif. Au contraire, les différences entre la syntaxe, le lexique et le discours de la langue maternelle et de la langue cible peuvent entraîner un transfert négatif et des erreurs interlinguales qui vont entraver les performances des apprenants dans la langue cible.
Cette étude mettra l’accent sur l’interférence du malais en tant que langue maternelle sur l’apprentissage du français par les apprenants malaisiens, en contexte universitaire. Plus précisément, cette étude cherche à examiner les erreurs dues aux différences phonologiques, morphosyntaxiques et lexico-sémantiques entre ces deux langues.

2. Revue de la littérature
2.1. Interférences

Le Dictionnaire de didactique des langues (Coste & Galisson, 1976 : 291) définit les interférences comme « Difficultés rencontrées par l’élève et fautes qu’il commet en langues étrangères du fait de l’influence de sa langue maternelle ou d’une autre langue étrangère étudiée antérieurement ». L’interférence est un point qui a été mentionné dans plusieurs recherches et par différents auteurs. Georges Mounin (2004 : 181) définit ce terme comme étant « les changements ou identifications résultant dans une langue des contacts avec une autre langue, du fait du bilinguisme ou du plurilinguisme des locuteurs », tandis que Hagège (1996 : 239) la considère comme « un croisement involontaire entre deux langues. À grande échelle, l’interférence dénote l’acquisition incomplète d’une langue seconde ». Quant à Debyser (1970 : 34), il explique que l’interférence est

l’utilisation d’éléments appartenant à une langue tandis que l’on parle ou que l’on écrit dans une autre. C’est une caractéristique du discours et non du code. Elle varie qualitativement et quantitativement de bilingue à bilingue et de temps en temps, elle varie aussi chez un même individu, cela peut aller de la variation stylistique presque imperceptible au mélange des langues absolument évident.

Il attire l’attention sur le fait que l’interférence est définie selon plusieurs points de vue. D’une part, d’un point de vue psychologique, si elle est considérée comme « contamination de comportements », « il sera utile de se référer à la psychologie du comportement, aux expériences sur le conditionnement et aux théories de l’apprentissage » (1970 : 34). D’autre part, d’un point de vue linguistique, elle sera définie comme un « accident de bilinguisme entraîné par un contact entre les langues ». Selon le même auteur « il y a interférence lorsque l’analogie entre un élément de L2 avec un élément correspondant de L1 entraîne le glissement vers L1 d’un élément concomitant ou suivant » (Debyser : 1970 : 34).

Les études antérieures sur les interférences se sont concentrées sur l’identification de l’interaction entre L1 et L2 sur la base d’un enseignement bilingue (De Bot, 1992 ; Green, 1986). En particulier, de nombreuses études ont tenté de déterminer l’influence de L1 sur L2. Elles ont également cherché à déterminer si L1 provoque un transfert positif ou négatif dans l’apprentissage de L2. Toutefois, au cours des deux dernières décennies, la notion de plurilinguisme s’est de plus en plus imposée et les chercheurs ont essayé de distinguer les acquisitions entre L2 et L3. Un certain nombre d’études récentes dans ce domaine ont montré que l’acquisition de trois langues ou plus se distinguait qualitativement de l’acquisition de la langue seconde. On s’est alors intéressés davantage à l’interférence de différentes langues sur le répertoire linguistique des apprenants, et pas seulement à la dynamique entre deux langues (Tremblay, 2006 ; Tsang, 2015). Ainsi, lorsque l’on parle d’interférences, nous faisons référence non seulement à la langue maternelle de l’apprenant, mais aussi à la langue seconde.

2.2. Interlangue

Nous ne pouvons pas considérer le recours à la langue maternelle comme étant la seule source des erreurs commises par les apprenants d’une langue étrangère, le processus de l’apprentissage peut en être une aussi. D’après Cuq (2003 : 245) : « En didactique des langues, on désigne par interlangue la nature et la structure spécifique du système d’une langue cible intériorisée par un apprenant à un stade donné ». L’interlangue est une étape transitoire entre l’apprentissage et l’acquisition de la langue. Prenons par exemple la mémorisation des mots de vocabulaire ou des points grammaticaux : l’apprenant va utiliser soit sa langue maternelle soit une autre langue pour mémoriser ou pour comprendre une notion dans la langue cible. Vogel (1995 : 20), quant à lui, définit l’interlangue comme étant

la langue qui se forme chez un apprenant d’une langue étrangère à mesure qu’il est confronté à des éléments de la langue cible, sans pour autant qu’elle coïncide totalement avec cette langue cible. Dans la constitution de l’interlangue entrent la langue maternelle, éventuellement d’autres langues étrangères préalablement acquises, et la langue cible. Son impact, son stade de développement, ses aspects idiosyncratiques dépendent notamment de variables individuelles, sociales, en rapport avec la situation d’apprentissage ainsi que, le cas échéant, par des variables didactiques (méthodologiques).

Toutefois, selon Besse et Porquier (1991 : 216), ce terme possède plusieurs dénominations : « Compétence transitoire » chez Corder (1967) ; « Système approximatif » chez Nemser (1971) ; « Dialecte idiosyncrasique » chez Corder (1971) ; « Système intermédiaire » chez Porquier (1974) ; « Interlangue » chez Selinker (1972) ; « Système approximatif de communication » / « Langue de l’apprenant » / « Système approché » chez Noyau (1976) ».

Chaque apprenant construit son propre système lors de son apprentissage. Ce système évolue au fur et à mesure de sa maîtrise de la langue en question. Lors de cette phase, plusieurs erreurs peuvent apparaître, ce sont ces erreurs qui vont permettre à l’apprenant d’avancer.

3. Contexte de l’étude et étude
3.1. Enseignement/apprentissage du français dans le contexte universitaire en Malaisie

De nos jours, en Malaisie, le français est enseigné dans la plupart des universités publiques ou privées en tant que cours facultatifs. Selon le recensement effectué en 2017 par le bureau de Coopération pour le français de l’Ambassade de France à Kuala Lumpur, il y a environ 5 000 apprenants qui ont choisi le français comme option dans les 30 établissements d’enseignement supérieur dans le pays. Il existe deux universités publiques malaisiennes qui offrent le programme de licence en français, à savoir l’Université Malaya (UM) avec sa licence en langue et linguistique française depuis 1998 et l’Université Putra Malaysia (UPM) avec sa licence en langue française et communication depuis 2001. Le français détient la première position en termes de choix de langues européennes enseignées et apprises dans les universités en Malaisie. Concernant les crédits académiques, le nombre d’heures de cours par semaine et la durée de ces cours, les offres changent d’un établissement à un autre. En général, le nombre de crédits varie entre 2 à 4, les heures de cours entre 2 et 4 heures de cours hebdomadaires pour chaque niveau. Concernant les niveaux, la plupart des établissements dépassent rarement le niveau A2.

Maitriser une ou plusieurs langues étrangères comme le français est considéré comme un atout pour les étudiants malaisiens, puisque cela constitue un avantage concurrentiel pour les choix de carrière. En effet, l’objectif des établissements d’enseignement supérieur, énoncé dans le National Graduate Employability Blueprint 2012-2017, est « de veiller à ce que les diplômés, des établissements d’enseignement supérieur possèdent les qualifications essentielles de la profession et puissent donc être employés à la fois localement et globalement » (NGEB 2012-2017 : 30). En d’autres termes, les établissements d’enseignement supérieur malaisiens devraient former des diplômés concurrentiels, non seulement sur le marché du travail local, mais aussi sur le marché du travail international.

3.2. Distinctions/divergences entre le malais et le français

Le malais et le français appartiennent à deux familles de langues différentes : le malais appartient aux langues austronésiennes tandis que le français est une langue romane appartenant à la famille des langues indo-européenne. À cet égard, de nombreux aspects et structures grammaticales diffèrent entre ces deux langues. En voici les distinctions principales au niveau de la phonologie, de la morphosyntaxe et la lexico-sémantique.

3.2.1. Phonologie

Selon la Prononciation du français dans le monde de Detey (2016 : 171), « le malais emploie un système d’écriture alphabétique où un son est représenté par une lettre, système qualifié de transparent ». Les malaisiens prononcent [2] toujours « les lettres » et « groupes de lettres » de la même façon : le mot « makan  » est prononcé [makan]. On met l’accent sur l’avant dernière syllabe, ce qui peut se reproduire au niveau de la prononciation des mots français par les apprenants comme par exemple [kat] au lieu de « quatre ». D’autres difficultés phonétiques sont dues notamment à l’absence de voyelles antérieures arrondies et de voyelles nasales en malais :

Voyelles nasales
Les voyelles nasales n’existent pas en langue malaise ; la prononciation du mot kosong sera : [kosoŋ].

Voyelles arrondies
La voyelle « u » est prononcée de deux manières :
 [u] s’il s’agit d’une syllabe ouverte comme par exemple :

Batu [batu] (pierre)
Bulu [bulu] (poil)

 [o] s’il s’agit d’une syllabe fermée :

Tutup [tutop] (fermer)
Perut [pərot] (estomac)

Le « tu » français sera prononcé [tu]

Consonnes
 Le « g » est prononcé [g] : le prénom Gérard peut être prononcé [gərad]
 Le « h » est prononcé [h] : homme est prononcé [hɔm], hôpital : [hopital]
 Le « r » est roulé est prononcé [ʁ] fricative
 Le « c » est prononcé [ʧ]

Le mot « comme » est prononcé [ʧom], mais la plupart du temps les étudiants le prononcent [k] à cause de l’influence de l’anglais : par exemple, dans le mot anglais « car » [kaR]

3.2.2. Morphosyntaxe

Conjugaison
La conjugaison n’existe pas en malais. Pour indiquer le temps, on utilise le verbe à l’infinitif + un adverbe de temps, comme par exemple :

Au présent :

Saya makan nasi
*Je manger riz
Je mange du riz

Il existe deux manières se référer au futur ou au passé :
Au futur :

Saya makan esok
*Je manger demain
Je mangerai demain

Ou avec un marqueur de temps (akan) + verbe à l’infinitif

Saya akan makan
Je mangerai

« Akan  » est un marqueur qui indique qu’il s’agit d’une action qui n’a pas encore eu lieu.
Au passé : verbe à l’infinitif + adverbe du temps

Saya makan epal semalam
*Je manger pomme hier
Hier, j’ai mangé une pomme

Marqueur du temps (sudah/telah) + verbe à l’infinitif

Saya sudah makan
J’ai mangé

« sudah  » et « telah  » sont deux marqueurs qui indiquent qu’il s’agit d’une action achevée. La voix active et la voix passive existent en malais.

Prépositions de lieu
En malais, seule la préposition « ke  » est utilisée pour indiquer les noms de ville, de pays ainsi que d’autres noms de lieux correspondant à une destination.

Saya pergi ke Portugal
Je vais au Portugal
Saya pergi ke Perancis
Je vais en France
Saya pergi ke Filipina
Je vais aux Philippines
Saya pergi ke panggung wayang
Je vais au cinéma
Saya pergi ke masjid
Je vais à la mosquée

Pour parler de la provenance, on utilisera les prépositions « dari  ».

Article
Les articles n’existent pas en langue malaise. Ainsi :

Roti
*Pain
Le pain

Kucing
*Chat
Un chat

Pour exprimer un pluriel, il suffit de redoubler le mot. Par exemple :

Kereta-kereta
*Voiture voiture
Les voitures

Négation
En malais, la négation du verbe se fait avec « tidak  », qui signifie « non » :
Négation simple : tidak

Saya tidak makan
*Je non manger
Je ne mange pas

La négation de « quelque chose » : tidak … apa-apa

Saya tidak ada apa-apa
*Je non avoir rien
Je n’ai rien

La négation de « quelqu’un » : tidak … sesiapa

Saya tidak nampak sesiapa
*Je non voir personne
Je ne vois personne

La négation de « toujours » : tidak … pernah

Saya tidak pernah melancong
*Je non jamais voyager
Je n’ai jamais voyagé

Pour la négation des noms, les Malais utilisent « bukan  ».

Saya bukan Fatimah
*Je non Fatimah
Je ne suis pas Fatimah

3.2.3. Lexique

Les apprenants malais sont susceptibles d’avoir recours au calque sémantique ou plutôt à la traduction littérale du malais au français. Il s’agit d’une problématique rencontrée généralement par tout type de public. Le calque est défini selon le dictionnaire de didactique des langues (Coste & Galisson, 1976 : 181) comme « un emprunt de type particulier consistant à extraire un élément d’une langue et à le faire passer, sous une forme traduite, dans une autre ». Les phrases suivantes en sont quelques exemples :

* J’ai pris une bonne note pour dire j’ai eu une bonne note.
* J’apporte Kamil au congrès pour dire j’emmène Kamil au congrès.
* Je te donne un message pour dire je t’envoie un message.

Nous pouvons également émettre l’hypothèse que les erreurs liées aux interférences orthographiques sont dues à la ressemblance orthographique qui existe entre le français et l’anglais. Il est tout à fait possible de constater des ajouts, des substitutions ou des suppressions de lettre.

4. Méthodologie
4.1. Choix du public

Les participants à l’étude étaient 17 étudiants de première et de deuxième année de licence en langue et linguistique française du département des « Langues asiatiques et européennes » à l’Universiti Malaya. Le facteur le plus déterminant dans le choix du public a été le niveau de langue des apprenants, ainsi que l’origine de ces apprenants : tous devaient avoir un niveau A1 voire A2, et avoir la même langue d’origine, le malais. Contrairement aux étudiants de première année, à partir du niveau B1, les apprenants ont une certaine aisance à l’écrit. C’est la raison pour laquelle, nous avons choisi de travailler avec deux groupes de jeunes adultes de niveaux A1-A2, à raison de deux heures et demie par semaine.

4.2. Recueil des données

Concernant notre sujet, il a été décidé de tester les compétences grammaticales, les compétences phonétiques et les compétences lexicales des apprenants pour déceler les interférences. Donc, nous avons testé ces différents domaines de compétences pour relever les interférences qui existent entre le français et le malais. Ensuite, le recueil des données s’est fait en 3 parties, d’une heure et demie chacune :
 test de phonologie,
 test de morphosyntaxe,
 test de vocabulaire.

Les étudiants n’étaient pas prévenus du jour où le test allait avoir lieu et aucun temps de révision préalable ne leur a été accordé. Nous précisons ici que chaque notion évoquée dans le test a été au préalable abordée par un autre enseignant avant notre arrivée. Les tests ont été réalisés dans l’anonymat.

5. Résultats et discussion
5.1. Erreurs fréquentes dans le corpus

Les erreurs d’ordres phonologique, morphosyntaxique et lexico-sémantique les plus fréquentes dans le corpus sont résumées dans les trois tableaux ci-dessous :

Tableau 1 – Erreurs phonologiques

Tableau 2 – Erreurs morphosyntaxiques

Tableau 3 – Erreurs lexico-sémantiques

5.2. Statistiques des interférences les plus récurrentes

À partir des résultats obtenus, nous avons pu déterminer le type d’interférence le plus récurrent chez nos apprenants malais.

Graphique 1 – Types d’interférences

Sur le graphique 1 ci-dessus, nous remarquons que le taux des interférences le plus élevé concerne les aspects morpho-syntaxiques (55 %). Cela peut être expliqué par la différence qui existe entre les règles grammaticales de la langue malaise et celles du français. Ce taux est largement supérieur aux autres types d’interférences (32 % pour les interférences phonologiques et 14 % pour les interférences lexico-sémantiques).

5.3. Analyse des erreurs
5.3.1. Erreurs phonologiques

À partir de ces données, nous remarquons que les interférences phonologiques concernent essentiellement les voyelles nasales, ainsi que les sons [y], [ʒ] et [g].


Inexistence des voyelles nasales dans le système malais
Les voyelles nasales n’existant pas dans le système phonologique du malais, les confusions entre les différents sons sont fréquentes :
 Les sons [ɑ̃] et [ɔ̃] sont confondus chez une grande partie des apprenants malais :

*pant [pɑ̃]

 Les sons [ɛ̃] et [ɑ̃] aussi :

*croyince [krwajɛ̃s]
*chincelier [ʃɛ̃saljə]

Inexistence du son [y] dans le système malais
Étant donné que le son [y] n’existe pas en langue malaise, ni en langue anglaise, cela pose un réel problème pour nos apprenants malais. Cela se traduit par le remplacement du son inexistant par un son qui existe déjà dans la langue maternelle, voire dans la langue seconde.

*Labureur [Labyrœr]
*buton [bytɔ̃]

On observe également une confusion entre les sons [y] et [o] :

*Durtoir [dyrtwar]

Cela s’explique par le fait que le son [y] n’est pas seulement confondu avec le son [u], mais il l’est également avec le son [o].

Sons [ʒ] et [g]

La confusion entre le [ʒ] et [g] existe également. Cela peut être dû à un manque de précision concernant ces deux sons, mais aussi concernant l’écriture de ces deux sons. Ce qui explique notamment les erreurs suivantes :

*Jraphique [ʒrafik]
*jrenouille [ʒrənuj]

5.3.2. Erreurs morpho-syntaxiques

Prépositions de lieu
Les erreurs rencontrées se résument dans les points suivants : l’absence de la préposition et/ou le mauvais choix de cette dernière. Comme nous l’avons déjà souligné, cela est dû au fait qu’en malais, le seul mot « ke » correspond aux prépositions françaises « à », « au », « en » et « aux », etc.

Comme ces différences n’existent pas dans leur langue, ils ne ressentent pas le besoin de faire la distinction telle qu’elle existe en français.

*À Malaisie
*Au boucherie

Article
La répartition de l’emploi des articles semble montrer que malgré l’absence de l’article en langue malaise, les apprenants semblent avoir compris l’importance accordée à l’article dans la phrase en français. Le problème reste dans le choix de l’article :

*Une problème

Dans certains cas, on observe l’omission des articles, mais cela reste minoritaire.

*A boucherie

Quant aux noms de pays, ils sont également écrits sans article :

*Malaisie est un pays

Négation
Concernant ce type d’interférence, la langue malaise utilise la particule unique « tidak » afin d’exprimer la négation des verbes. Dans les copies de nos apprenants, nous avons remarqué qu’une partie des étudiants n’utilise la négation qu’avec la particule « pas », tandis que l’autre partie utilise « ne... pas » incorrectement.

*Je ne pas suis malade
*Je ne suis chinois
*Je ne suis partir à Allemagne

Il nous a semblé important de souligner le problème de l’utilisation d’une seule particule, bien que ce phénomène ne soit pas très courant. Les apprenants connaissent bien la manière dont la négation est exprimée en français et le problème demeure dans sa bonne utilisation.

Conjugaison
Au niveau de la conjugaison, il existe plusieurs erreurs :
 L’omission du verbe

*Les Pays-Bas loin

 L’utilisation du verbe à l’infinitif alors que le verbe doit être conjugué et la conjugaison incorrecte des verbes

*J’étudier ….
*Il faut que tu boire


Il s’agit d’une erreur majeure que nous retrouvons dans beaucoup de copies et cela s’explique, comme nous l’avons vu, par l’utilisation de l’infinitif en malais pour tous les verbes à tous les temps : passé, présent et futur.

Étant donné que la langue française utilise plusieurs temps, ceci perturbe les apprenants, qui eux, ont l’habitude d’utiliser uniquement l’infinitif. On constate qu’ils essayent d’appliquer les différents temps existants en français, mais le problème demeure dans la bonne utilisation de ces temps et des conjugaisons.

Comme nous l’avons expliqué dans la partie théorique, l’inexistence de la conjugaison en malais est la source de tous ces problèmes.

5.3.3. Erreurs lexico-sémantiques

Concernant les interférences lexico-sémantiques, nous avons retrouvé dans les copies des apprenants deux catégories d’erreurs différentes :
 les erreurs liées à la traduction automatique (sans réfléchir) du malais vers le français.
 les erreurs liées à la ressemblance orthographique entre l’anglais et le français.

Le recours au calque
Afin de créer des réalisation morphosyntaxiques en français, les apprenants font appel à leur langue maternelle. Prenons l’exemple du verbe « envoyer », il correspond à « donner » en malais. Il y a aussi le verbe « avoir/obtenir » correspondant à « prendre ».

*Prendre un message
* J’ai pris 20/20

Les interférences avec l’anglais
Dans l’analyse du corpus, sur le plan lexico-sémantique, on a constaté que l’anglais prend le pas sur le malais. Cette langue a une grande influence auprès des apprenants malais, notamment par la ressemblance orthographique de certains mots. Nous retrouvons les mots suivants dans les copies de nos apprenants :

*Example
*Apartment

5. Conclusion

À partir de l’analyse de ce corpus, on constate que les apprenants ont des difficultés d’ordre phonologiques, morphosyntaxiques et lexico-sémantiques. Ces erreurs sont parfois dues à différentes interférences causées par la langue maternelle ou bien par l’anglais mais aussi par la méconnaissance du fonctionnement de la langue cible. Ainsi, dans un contexte d’enseignement et d’apprentissage du FLE, il est important de préciser que la connaissance de la structure linguistique de langue du public en question est primordiale. Il s’agit de l’élément qui va permettre de comprendre les erreurs effectuées par les apprenants, et également nous aider à faire le lien entre les deux langues lors des explications, et lors des activités mises en place.

Dans le cas de ces étudiants malaisiens, il semble maintenant assez clair que le manque de vocabulaire chez les apprenants proviendrait principalement du fait que la langue utilisée en classe est le malais. Si le malais était banni de la classe de français, la situation encouragerait les apprenants à chercher des mots, à essayer d’expliquer leur point de vue et à pratiquer de plus en plus la langue française, car pour une bonne maîtrise de la langue, il est indispensable de développer sa pratique et cela est rendu possible par l’utilisation de l’oral en classe. Toutefois, on pourrait avoir recours à la langue maternelle dans certains cas mais son utilisation doit être limitée ; le professeur a, à sa disposition, divers moyens pour mener à bien son cours sans pour autant avoir besoin de la langue maternelle des apprenants, par d es procédés verbaux et non verbaux à l’oral. L’objectif de l’enseignant serait de proposer des activités spécifiquement ciblées pour résoudre les erreurs récurrentes afin de les aider à ne plus les commettre. Ces activités pourront offrir également la possibilité aux apprenants d’avancer dans leur apprentissage linguistique, tant au niveau morpho-syntaxique, lexico-sémantique, que phonologique. Mais, elles permettent aussi de développer la confiance en soi et l’aisance à l’oral chez l’apprenant.


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