Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

L’Éveil aux langues à la maternelle : une approche pour le développement de la compétence plurilingue et pluriculturelle chez les jeunes enfants

Evangelia MOUSSOURI, Université Aristote de Thessalonique, Grèce
Magdalini KOUKOULI, Université Aristote de Thessaloniki, Grèce


Résumé
Notre article vise à présenter une partie de résultats d’une recherche action portant sur l’impact des activités d’Éveil aux langues auprès d’un jeune public d’apprenants dans le but de proposer des pistes favorisant le développement de leurs compétences plurilingues et pluriculturelles, ainsi que celui de leurs compétences d’inclusion dans une Europe se caractérisant par une diversité langagière et culturelle. À ces fins, nous avons conçu et créé du matériel pédagogique se basant sur les approches plurielles. Par la suite nous avons mis en place des séances d’Éveil aux langues dans une école maternelle de Thessalonique (Grèce) pour une période d’environ six mois. L’échantillon de la recherche est constitué de 35 élèves. Les séances ont été enregistrées, transcrites et traitées en termes d’analyse de contenu. De l’analyse qualitative des données résultent des conclusions quant aux représentations des apprenants sur les langues et les cultures, ainsi que sur les relations inter-langagières et interculturelles.


Abstract
The aim of this paper is to present part of the results of an action research on the impact of Awakening to languages activities to a young audience of learners in order to propose outline ways encouraging the development of their plurilingual and pluricultural competence, as well as their inclusion competences in a Europe characterised by a linguistic and cultural diversity. To that end, we have designed material based on pluralistic approaches and implemented an Awakening to languages programme in a nursery school of Thessaloniki (Greece). The programme took place for a period of approximately six months and comprised weekly sessions of one hour. The sample of our research consists of 35 pupils. The sessions have been recorded, transcribed and treated in terms of content analysis. The findings of the qualitative analysis allow us to draw conclusions in regard to the representations of the pupils concerning languages and cultures, as well as regarding the interlingustic and intercultural relations.


1. INTRODUCTION

L’étude qui sera présentée dans cette contribution fait partie d’un programme de recherche-action réalisé par l’équipe de recherche PLURALITÉS [1] du département de langue et de littérature françaises de l’Université Aristote de Thessalonique portant sur l’impact des approches plurielles auprès d’un jeune public d’apprenants de la maternelle en Grèce, dans le but de proposer des pistes favorisant le développement de leurs compétences plurilingue, pluriculturelle et interculturelle.

À ces fins, nous avons conçu, produit et mis en place des activités combinant les approches plurielles [2], susceptibles de servir d’appui aux enseignants de langues et d’autres disciplines de l’enseignement primaire. À partir de cette expérience et en nous basant sur un travail réflexif, nous avons, aussi, tenté d’examiner les impacts de ces activités sur la formation des enseignants.

2. CADRE THÉORIQUE

Pour l’Europe de l’après-guerre la pluralité des langues et des cultures, loin d’être considérée comme un élément de diversification, constituerait le pilier sur lequel reposerait l’inclusion sociale dans le nouveau contexte sociopolitique. À cette fin, une série de travaux ont eu lieu au niveau politique [3], aspirant à cultiver le respect mutuel des identités plurielles (langagières et/ou culturelles) en Europe dans le but d’assurer la cohésion sociale.

Conforme à cet esprit humaniste, toute politique éducative européenne viserait à promouvoir la mise en place d’une éducation plurilingue, interculturelle et inclusive, c’est-à-dire d’

Une éducation langagière globale, transversale à toutes les langues de l’école et à tous les domaines disciplinaires, qui fonde une identité ouverte à la pluralité et à la diversité linguistique et culturelle, en ce que les langues sont l’expression de cultures différentes et de différences au sein d’une même culture (Cavalli et al., 2009 : 8).

Ainsi définie, l’éducation plurilingue inclusive préconiserait le développement de la compétence plurilingue et interculturelle, c’est-à-dire la capacité à mobiliser, selon les circonstances, le répertoire plurilingue et pluriculturel des apprenants afin qu’ils soient capables d’interagir avec l’Autre (Beacco et al., 2010 : 19).

De telles initiatives, tentant de mettre en place une éducation à la citoyenneté démocratique, ont été entreprises en Grèce par le biais du projet Ja-Ling. Pourtant, Candelier (2003 : 93) remarque qu’elles étaient initiées sous la forme des projets interculturels en s’orientant plutôt vers la diversité culturelle que vers la diversité linguistique. Il conviendrait, aussi, de signaler que, se référant à l’implantation du projet Ja-Ling en Grèce, Candelier (2003 : 95) évoque, parmi les difficultés rencontrées, le manque de supports pédagogiques adaptés aux besoins d’un jeune public.

Bien que les curricula du système éducatif grec s’inspirent des travaux du Conseil de l’Europe et se dirigent vers une perspective favorisant la diversité linguistique et culturelle, les interventions didactiques réalisées auprès d’un jeune public ne prennent pas toujours en compte les valeurs indispensables pour assurer la construction des identités plurielles, privilégiant le plurilinguisme en tant que « manière d’être en Europe », si l’on reprend l’expression qui sert de titre au premier Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe (Beacco, 2005), et instaurant une éducation plurilingue, pluriculturelle et interculturelle, susceptible de favoriser l’acceptation et le respect mutuel des langues et des cultures au sein de l’Europe, la reconnaissance de la richesse des répertoires linguistiques et l’identification collective et affective avec cette pluralité, conduisant, ainsi à la fondation d’une société démocratique, conviviale et inclusive.

Depuis l’époque où Ja-Ling a été expérimenté dans certaines écoles élémentaires en Grèce, la société grecque a subi des mutations diverses, relevant de ce que Cavalli et al. (2009 : 4) appellent le « multilinguisme exogène », lié surtout à la mobilité professionnelle et économique. Ainsi, l’adoption d’une éducation plurilingue et pluriculturelle s’impose aujourd’hui plus que jamais comme une nécessité dès le plus jeune âge.

Par ailleurs, l’instauration d’une telle éducation à l’école maternelle nécessiterait l’implication dynamique de tous les acteurs du système éducatif et elle engendrerait :

 la conception d’outils méthodologiques susceptibles d’orienter l’enseignement vers une approche didactique qui exploiterait, valoriserait et prendrait en compte le répertoire plurilingue et le capital pluriculturel des apprenants,
 la conception et la production d’un matériel didactique, susceptible d’être utilisé par les enseignants afin qu’ils puissent trouver un appui pour sensibiliser les apprenants à la diversité à la fois linguistique et culturelle et développer leur compétence plurilingue et pluriculturelle,
 la réorganisation de la formation initiale et/ou continue des enseignants en matière de plurilinguisme, de pluriculturalisme et d’interculturalité, afin qu’ils puissent revêtir le rôle du médiateur entre les langues et les cultures.

L’avantage de l’application des approches plurielles réside dans le fait qu’elles redonnent « droit de cité aux usages et aux expériences des enfants » et qu’elles contribuent au foisonnement de leurs optiques, en développant leur réflexivité et en favorisant la prise de conscience des pratiques plurilingues de leurs apprenants (Castellotti et Moore, 2010 : 14).

2. MÉTHODOLOGIE

Notre recherche action comprend trois étapes : la conception, la production et la réalisation des activités combinant les approches plurielles avec un travail réflexif pour activer et faire émerger les représentations des élèves sur les relations inter- et trans-langagières ainsi que sur les relations interculturelles.

Les outils méthodologiques adoptés favorisent des observations réalisées par les apprenants sur le fonctionnement des différentes langues et cultures et des relations qu’elles entretiennent. Par ailleurs, l’interaction – discussion entre les apprenants sur leurs observations et aussi les auto- et hétéro-confrontations des apprenants face à leurs propres réflexions mais aussi face à celles de leurs camarades sont encouragées lors du recueil des données.

Plus précisément, la recherche s’est appuyée sur les activités de réflexivité et le dessin réflexif, associés à des supports ludiques, tels que les jeux de sociétés conçus et créés à ces fins, des images/photos, des vidéos et des chansons, adaptées aux jeunes enfants.

Le dessin réflexif favorise la manifestation et la constatation des déterminants sociolinguistiques, leur transmission dans le milieu de l’apprenant et en parallèle encourage la verbalisation, la mutualisation et la prise en conscience de ces déterminants en permettant la remédiation et en contribuant à la construction de nouvelles représentations (Molinié, 2011 : 153-154).

Les activités de réflexivité s’avèrent constituer une démarche « aidante pour accompagner des individus à produire un regard interprétatif, interrogeant, analytique sur leur projet » (Bretegnier, 2009 : 8). La réflexivité, découlant surtout des approches biographiques, désigne « le lien dynamique entre langage et pensée, entre pratique langagière située et activité cognitive » (Ibid.). Il s’agit d’une démarche à la fois d’introspection et de rétrospection de la part des élèves, qui leur permet de se distancier d’eux, en contribuant, ainsi, à l’encouragement de la compréhension, à leur relance dans le processus d’apprentissage et au développement de leurs compétences (Molinié, 2011 : 461, 149).

Pour la réalisation des activités, nous avons tenté d’intégrer dans le curriculum de l’école maternelle privée « Le Petit la Salle » à Thessalonique (Grèce) des séances-pilotes combinant trois approches plurielles : l’éveil aux langues et aux cultures, l’intercompréhension entre les langues parentes et l’approche interculturelle.
Les séances étaient assurées pendant six mois, une fois par semaine, divisées en séquences d’une heure. Toutes les séances, à part les deux premières, étaient mises en conformité avec les thématiques du programme de l’école. Les séances ont été enregistrées et transcrites, afin de pouvoir recueillir des données observables à partir des interactions parmi les élèves ainsi qu’entre les élèves et les chercheuses.
Par la suite, nous avons opéré une analyse de contenu basée sur les transcriptions des séances effectuées et portant sur l’interprétation des interactions des élèves entre eux, les interactions des élèves avec les chercheuses et les auto- et hétéro-confrontations des élèves sur leur réflexions.

Cette analyse de contenu nous a aidées à arriver à des constatations concernant non seulement les réflexions des élèves sur les relations inter- et trans-langagières et interculturelles mais aussi sur les représentations qu’ils se forgent quant aux langues et aux cultures.

La notion de représentation sociale premièrement introduite par S. Moscovici (1961) fait l’objet de nombreuses recherches soulignant le rôle capital des images des apprenants quant aux langues, à leurs locuteurs et aux pays où elles sont pratiquées (Muller, 1998 ; Candelier & Hermann-Brennecke, 1993 ; Castellotti & Moore, 2002). Il semble que, malgré leur jeune âge, les élèves se soient déjà forgés des images favorables ou défavorables, relevant de leurs expériences personnelles, de leurs contacts avec des locuteurs des langues utilisées lors des séances ou des images transmises par leur environnement familial proche ou plus éloigné.

L’échantillon de la recherche est constitué de 35 élèves (5-6 ans), dont 21 filles et 14 garçons. En ce qui concerne les langues qu’ils côtoient, tous les élèves sont en contact avec l’anglais et le français par le biais des cours dans le cadre formel de l’école maternelle. Il s’agit plutôt d’une sensibilisation des élèves à ces langues que d’un enseignement précoce, dont le but consiste en la mémorisation et la reproduction orale de mots ou expressions figées dans la langue cible, tandis que l’écrit (compréhension ou production écrite) est fortement déconseillé conformément au programme de l’école.

Certains élèves sont en contact avec l’albanais ou le bulgare par le biais des contacts avec des locuteurs de cette langue [4]. Un nombre restreint d’élèves est en contact avec d’autres langues, telles que l’allemand et le russe par le biais de leur environnement familial proche ou plus lointain, tandis qu’une élève est en contact avec le coréen par le biais de ses activités extrascolaires [5]. Dans ces classes, nous remarquons une absence d’élèves allophones issus de l’immigration ainsi que d’élèves ayant une nationalité ou une origine différentes.

Enfin, l’école maternelle étant une école privée avec des frais de scolarité assez élevés, on notera que ses élèves proviennent de familles aisées qui pourraient leur procurer des expériences personnelles qui ne sont pas partagées par la plupart des enfants du même âge, telles que des voyages à l’étranger, créant déjà un terrain fécond favorisant leur sensibilisation à la diversité linguistique et culturelle.

4. CONCEPTION ETROULEMENT DES ACTIVITÉS

Les activités d’Éveil aux langues présentées ici font partie de la quatrième et de la septième séance réalisée à l’école maternelle.

La séance intitulée « Dessinons en Europe » [6] vise, entre autres, à faire connaître aux élèves que les langues sont liées entre elles par des relations de parenté et qu’il existe des familles de langues (savoirs K 4.1) [7], à les sensibiliser aux similitudes langagières et/ou culturelles (savoir-être A-2.3) et à les amener à émettre des hypothèses concernant la proximité ou la distance linguistique et/ou culturelle (savoir-faire S 3.1.2).

La séance porte sur la thématique « Figures » du programme de l’école maternelle et sa durée s’élève à deux heures. Les élèves ont été introduits à la thématique de la séance sous le prétexte que deux de leurs amis qui viennent de l’Europe, Polyglossos (ce nom signifie plurilingue en grec) et Polyglossia (plurilinguisme), sa sœur jumelle, nous ont envoyé des photos qu’ils ont prises au cours de leurs voyages en Europe.
Sur les photos figurent des endroits des dix-huit villes en Europe : Paris (France), Sienne (Italie), Madrid (Espagne), Barcelone (Espagne), Lisbonne (Portugal), Bucarest (Roumanie), Oslo (Norvège), Stockholm (Suède), Copenhague (Danemark) Amsterdam (Pays-Bas), Londres (Royaume Uni), Berlin (Allemagne), Moscou (Russie), Minsk (Biélorussie), Prague (Tchéquie), Bratislava (Slovaquie), Varsovie (Pologne) et Sofia (Bulgarie).

Les élèves ont été appelés à observer les photos, à émettre des hypothèses sur leur lieu de provenance ainsi que sur les langues qui y sont parlées (Activité 1). En parallèle, ils étaient encouragés à décrire les bâtiments qu’ils voyaient sur les photos en termes de géométrie, dans le but d’établir une liaison avec la thématique « Figures » du programme de l’école maternelle. L’objectif de l’activité consiste à activer leur réflexivité et à faire émerger leurs représentations sur les langues/cultures.

Par la suite, nous avons demandé aux élèves de dessiner la ville qui les a impressionnés le plus. Lors de et après la réalisation de cette activité (Activité 2), les élèves étaient encouragés à s’exprimer sur leur dessin, à réfléchir et à expliquer leur choix. Le but de ce dessin réflexif consiste en la conscientisation de leurs propres représentations.

Enfin, pour la troisième activité (Activité 3), les élèves ont été appelés à observer le mot « maison » écrit dans dix-huit langues différentes. Les langues utilisées appartiennent à trois familles de langues rencontrées en Europe :

 les langues romanes représentées par le français, l’italien, l’espagnol, le catalan, le portugais et le roumain,
 les langues germaniques avec le norvégien, le suédois, le danois, le néerlandais, l’anglais et l’allemand,
 les langues slaves représentées par le russe, le biélorusse, le tchèque, le slovaque, le polonais et le bulgare.

Dans un premier temps, nous avons demandé aux élèves de deviner la signification des mots écrits sous les photos, et par la suite d’émettre des hypothèses à propos des relations inter-langagières que ces mots entretiennent en se basant sur l’observation de leurs similitudes sonores. Le but de l’activité est l’identification des familles de langues. Signalons que les élèves n’entendaient pas la prononciation des mots au moyen de supports sonores et qu’il a fallu que nous les lisions, en nous appuyant sur une recherche que nous avions réalisée sur leur prononciation et en nous basant sur l’Alphabet phonétique international.

La séance intitulée « Les Petits Chaperons Rouges et Grand’tante tigre » [8] vise, entre autres, la connaissance de quelques familles de langues et des langues qui en font partie (K 4.1.1), l’encouragement de la curiosité des élèves envers la découverte du fonctionnement de leurs propres langues et cultures mais aussi celles d’autrui (A-3.2) et l’incitation à établir des mises en relation des ressemblances et des différences entre les langues ou les cultures, à partir de l’observation, de l’analyse, de l’identification ou du repérage de certains éléments lexicaux (S 3.1.1).
La durée de la séance s’élève à deux heures et elle est associée à la thématique « Contes » du programme de l’école maternelle.

Les élèves ont été appelés à regarder des vidéos tirées de YouTube [9] présentant le conte du Petit Chaperon rouge dans les langues romanes (roumain, français, italien, espagnol, catalan, portugais) et d’identifier les langues des vidéos par le biais de cartes en couleur portant le nom de chaque langue et qui leur ont était distribuées au début de la séance.

En raison de la similitude sonore entre le nom du conte en grec, prononcé [kokkinoskufitsa] et celui en roumain, prononcé [skufitsarosie], la projection des vidéos a commencé par la vidéo en roumain, d’abord sans image, pour que les élèves aient l’occasion de deviner de quel conte il s’agissait. En parallèle, les élèves étaient encouragés à exprimer leurs impressions sur les langues de l’activité et à partager les stratégies auxquelles ils ont eu recours afin d’identifier la langue. Cette première activité (Activité 1) vise la discrimination auditive des langues parentes appartenant à la famille de langues romanes, en s’appuyant sur leur prosodie.
Dans un deuxième temps, il a été demandé aux élèves de regarder à nouveau les vidéos, mais cette fois-ci dans le but de repérer les séquences « Petit Chaperon rouge » et « loup » dans les langues romanes présentées afin de les comparer entre elles et de rechercher les similitudes ou différences au niveau lexical. L’objectif, donc, de la deuxième activité (Activité 2) est le renforcement de la réflexivité des élèves, dans le but de les rendre capables à établir des mises en relation de ressemblances entre les langues, à partir de l’observation et du repérage de certains mots.

À la suite de cette activité, les élèves ont eu une visite imprévue : nos amis Polyglossos et Polyglossia ont rendu visite à la classe. Ils venaient de rentrer de leur voyage en Asie, où ils avaient entendu deux contes qu’ils ont souhaité partager avec les élèves. Il s’agissait du conte iranien « Shenel Quermezi », se référant à l’histoire d’un petit garçon qui portait un chaperon rouge et du grand méchant loup, et du conte taiwanais « Grand’tante tigre », évoquant l’histoire de deux sœurs et du grand méchant tigre.

Les contes ont été racontés par Polyglossos et Polyglossia par le biais d’un spectacle de marionnettes dans la langue de scolarisation des élèves (le grec). L’activité (Activité 3) vise le renforcement de la réflexivité des élèves, dans le but de les rendre capables d’établir des mises en relation de ressemblances ou de différences entre les cultures, à partir de l’analyse, de l’identification ou du repérage de certains éléments culturels.

Lors du spectacle, les élèves ont été encouragés à comparer l’histoire du « Petit Chaperon Rouge » avec celles racontées dans ces deux derniers contes et à émettre des hypothèses concernant l’origine des ressemblances et/ou des différences entre elles.

5. ANALYSE DESSULTATS

La première activité (Activité 1) de la séance intitulée « Dessinons en Europe » permet la formulation d’hypothèses de la part des enfants, même si ces hypothèses sont par la suite infirmées et ne sont pas justifiées par les élèves.

Ne disposant pas de points de référence, les élèves recherchaient à trouver des similarités entre les villes présentées sur les photos et des endroits en Grèce, en s’appuyant sur leurs expériences personnelles. Même si nous avions bien précisé dès le début qu’il s’agissait de photos prises par Polyglotte et Polyglossia lors d’un voyage en Europe et que sur ces photos figureraient des villes de divers pays du continent européen, les élèves insistaient pour répondre que sur un grand nombre de photos, figuraient des endroits ou des villes grecs.

L’exemple 1 est indicatif des ressemblances établies par les élèves entre une ville grecque, Xanthi, et Bucarest, ainsi qu’entre le roumain et l’allemand, affirmation qui n’a pas été pourtant justifiée de la part de l’élève.

Exemple 1
Ch. : Qu’est-qu’on voit sur cette photo ?
E. : La Grèce.
Ch. : Pourquoi est-ce que tu penses que c’est la Grèce ?
E. : Je pense que c’est Xanthi.
Ch. : Tu as déjà visité Xanthi ?
E. : Oui.
Ch. : Et elle était comment ? Les maisons étaient comme ça ? Comment sont ces maisons sur cette photo ?
E. : Carrées.
Ch. : Et celle que tu m’as montrée ?
E. : C’est une tour.
Ch. : Cette ville est Bucarest, en Roumanie. Quelle langue parle-t-on ici ?
E. : Allemand.
Ch. : Roumain. Pourquoi tu as dit que c’est l’allemand ? Tu crois que l’allemand et le roumain se ressemblent ?
E. : Oui.
Ch. : Tu en as déjà entendu parler le roumain ?
E. : Non.

En outre, il semble que les stéréotypes fonctionnent comme mobilisateurs de la manifestation de la compétence inter- et pluriculturelle des enfants de cet âge. Ainsi, un élève n’arrive à discriminer l’origine de la photo présentée ci-dessous dans l’exemple 2 qu’en l’associant avec une image stéréotypée de la France, celle de la Tour Eiffel.

Exemple 2
Ch. : Où pourrait se trouver cette ville ? Où seraient-ils allés Polyglotte et Polyglossia ?
E : En Grèce.
Ch. : Et ça, à gauche, sur la photo, qu’est-ce que c’est ?
E. : La tour Eiffel.
Ch. : Bravo ! Donc, cette photo, où a-t-elle été prise ?
E. : En France.

D’ailleurs, ces activités, comme cela a déjà été mentionné, encouragent les témoignages des élèves, relevant de leurs expériences personnelles ou de contacts avec des locuteurs d’autres langues et font activer leurs représentations quant aux langues et aux locuteurs qui les parlent. Dans l’exemple 3, l’élève ressent le besoin de témoigner son contact avec un locuteur du bulgare. Ce besoin serait dû à l’association de la photo avec ses propres expériences personnelles.

Exemple 3
Ch : Comment tu trouves cette ville ? Tu veux nous dire ce que tu vois sur la photo ?
E. : La Grèce.
Ch. : Pourquoi la Grèce ? [Il ne répond pas] Comment sont les bâtiments ?
E. : Grands et petits.
Ch. : C’est quoi qui ressemble à la Grèce ? [Il ne répond pas]. C’est Sofia les enfants, en Bulgarie.
E. : Mon village est là-bas !
Ch. : C’est vrai ? Qui vient de là-bas ?
E. : Un ami de mon père.
Ch. : Tu parles un peu bulgare ?
E. : Non.

Enfin, il faut remarquer que, malgré l’opacité des éléments utilisés pour cette activité, elle a fait émerger les représentations des élèves quant aux pays. Ainsi, dans l’exemple 4, même si l’élève ne peut pas reconnaitre qu’il s’agit d’une photo de l’Allemagne, dès qu’il l’aperçoit, il manifeste une attitude positive envers le pays.

Exemple 4
Ch. : Quelle pourrait être cette ville ? [Personne ne répond]. C’est Berlin, en Allemagne. […]
E. : Je le visiterai, parce que je veux y habiter pour toujours.

En ce qui concerne la conscientisation des représentations des élèves au moyen du dessin réflexif de l’Activité 2, il semble qu’à part leurs impressions, les élèves se sont appuyés sur des critères plutôt personnels, relevant de leurs expériences ou de leurs préférences personnelles.
Ainsi, dans l’exemple 5, la préférence de l’élève pour Madrid est liée à un élément artistique : les couleurs claires et vives des immeubles figurant sur la photo allaient de pair avec la préférence de l’élève pour ces couleurs.

Exemple 5
E. : Je ne me souviens pas, Madame, dans quel pays y avait-il des maisons en couleur qui m’ont plu ?
Ch. : Je pense que c’était l’Espagne, Madrid.
E. : Je dessinerai l’Espagne.

Les expériences personnelles des élèves constituent un autre critère dictant leurs préférences. Ainsi, un séjour en Allemagne incite un élève à dessiner ce pays (exemple 6).

Exemple 6
Ch. : Quelle ville tu dessines ?
E. : L’Allemagne. J’y suis allée avec mon grand-père.

Ces expériences personnelles ne relèvent pas toujours des séjours à l’étranger, mais elles sont souvent liées aux contacts quotidiens des enfants. Les exemples 7 et 8 sont indicatifs de cette tendance. Les élèves décident de dessiner des éléments culturels de leur ville et les monuments qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne, tels que la Tour Blanche, l’Arc de Galère ou le fort de l’Heptapyrgion à Thessalonique.

Exemple 7
Ch. : Tu dessines quelle ville ?
E. : La Grèce. Ça c’est la Tour.
Ch. : Ici à Thessalonique ? [Référence à la Tour Blanche de Thessalonique]
E. : Oui, et ça c’est la porte. [Référence à l’Arc de Galère à Thessalonique].
Ch. : Pourquoi tu as choisi la Grèce ?
E. : Parce qu’elle me plaît.

Exemple 8
Ch : Qu’est-ce que tu dessines ?
E. : La Grèce.
Ch. : Et où se trouvent ces châteaux ?
E. : Ici. [Elle se réfère probablement au fort de l’Heptapyrgion, à Thessalonique].

Enfin, dans l’Activité 3, les élèves ont pu repérer la proximité linguistique parmi les mots signifiant « maison » dans les langues de l’activité, qu’ils ont divisés en trois catégories selon leur similitude sonore.
En ce qui concerne les langues slaves, les élèves les ont associées à un élément artistique, la note de musique « do », qui fait partie de leur vie scolaire. Ils ont donc trouvé l’occasion de mettre en relation l’éveil avec les matières scolaires.

Exemple 9
E. : Dans trois pays on dit [dom] !
Ch. : Trois, hein ? Quelles langues est-ce qu’on a vues ?
E. : Celle-ci.
Ch. : Celle-ci, le bulgare, celle-ci, le polonais et le biélorusse. Et en slovaque, c’est [dum].
E. : Ah, il ressemble, il est comme cette note de musique, le [du]
E. : Il ressemble à cette langue-là, mais ce n’est pas le même.

Quant aux langues romanes, à part le repérage des similitudes sonores, nous constatons l’élaboration de la part des élèves d’une association de la langue, le portugais, avec le pays, le Portugal. Cette association est, cependant, mal fondée, car il existe des variations de cette langue pratiquées ailleurs, comme par exemple au Brésil.

Exemple 10
Ch. : Et voilà en roumain, [caza]. Vous souvenez-vous s’il ressemble à un mot que nous avons vu ?
E. : Au Portugal.
Ch. : Bravo ! En portugais !

Les similitudes sonores, selon les déclarations des élèves, s’expliqueraient par le voisinage géographique des pays où ces langues sont parlées (exemple 11) ou par le multilinguisme qui les caractérise.

Exemple 11
Ch. : Donc, qu’est-ce que vous observez ?
E. : Que beaucoup de langues ressemblent entre elles.
Ch. : Pourquoi cela ?
E. : Parce que ces pays sont près l’un de l’autre.
E. : Parce que dans ces pays, on parle peut-être deux langues.
E. : Je pense que ces pays se trouvent très près.

À partir des questions guidées, les élèves ont été amenés à des conclusions concernant l’origine de la similitude lexicale entre les langues de l’activité et ils ont pris conscience de l’appartenance des langues à des familles.

Exemple 12
Ch. : Est-ce que vous ressemblez à quelqu’un ?
E. : Oui, moi je ressemble à mon père.
E. : Je ressemble à mon frère.
Ch. : Vous voyez, donc, qu’on ressemble à des personnes de notre famille. Comme nous, nous ressemblons à papa, à maman, à nos frères et sœurs et nous sommes des membres d’une famille, c’est la même chose avec les langues, que vous avez divisées en trois catégories selon leurs similitudes. Quelles sont-elles ?
E. : Ce sont trois familles !

Il faut, pourtant, remarquer que le nombre de langues appartenant à chaque famille présentée (six langues de chaque famille) a provoqué de la confusion chez les élèves qui ont eu l’impression erronée que chaque famille de langue comprend le même nombre de langues, une impression qui n’aurait pas été clarifiée, en raison d’une intervention de l’institutrice lors de nos explications aux élèves, qui a réorienté le sujet de la discussion vers l’origine de la langue grecque (voir exemples 13 et 14).

Exemple 13
E. : Madame, les familles ont les mêmes langues, parce que j’ai compté six langues ici, six langues ici et six langues là.
Ch. : Non, nous avons dit qu’il y a d’autres langues que nous n’avons pas vues.
E. : Oui, mais elles seront les mêmes ? [Elle veut dire : Elles auront le même nombre de langues ?]
Ch. : Pas nécessairement. Comme nous, quelqu’un peut avoir un frère ou une sœur, quelqu’un d’autre en a deux, quelqu’un n’en a pas, ainsi les…

Lors de la conception des activités et la réalisation de la séance, l’omission du grec était consciente, car nous n’avons pas souhaité apporter dans une classe composée d’enfants de cet âge des dialectes qui s’écartent du « grec standard », une approche peut-être mal fondée. D’ailleurs, le grec moderne, étant le seul « survivant » de la famille des langues helléniques, sa présence ne répondait pas à l’objectif de l’activité qui consistait à savoir qu’il existe des familles de langues.

Exemple 14
I. : Moi, je veux demander quelque chose, excusez-moi, la langue grecque à quelle catégorie appartient-elle ?
Ch. : La langue grecque appartient à la famille des langues helléniques.
I. : Cela ne va pas être mentionné pour que les enfants sachent où se trouve leur langue à eux ? Dans quelle catégorie ?
Ch. : Ça serait la question suivante, vous m’avez devancée.

Enfin, il faudrait souligner que ces activités, mises à part les représentations des élèves, font émerger les représentations des enseignants. Cette séance serait indicative de nos représentations quant à la primauté du grec moderne en tant que langue de scolarisation ainsi que quant aux langues en Europe.
Comme nous l’avons déjà cité auparavant, nous avons hésité à apporter en classe des dialectes qui s’écartent du grec moderne, langue de scolarisation, que le système éducatif grec a si fortement favorisé à partir de la fondation de l’État grec moderne. Cette affirmation pourrait être interprétée par une attitude négative de notre part envers les dialectes grecs, qui dans la société grecque moderne continuent d’être revêtus d’un statut défavorable.

Par ailleurs, notre désir de faire développer un sentiment d’appartenance en Europe nous a amenée inconsciemment à laisser à la marge les langues d’immigration, ce qui pourrait conduire les élèves à des conclusions erronées quant au caractère pluriel des sociétés européennes. Il est bien clair que la société européenne, comme d’ailleurs toute société, est plurielle, composée de cultures différentes, de langues officielles, de langues d’origine, de langues minoritaires, de langues régionales, de langues d’immigration, de dialectes. Nous n’avons pas aperçu la manifestation de nos représentations lors de la conception de l’activité ni lors de la réalisation de la séance. Il aurait fallu proposer une activité réflexive de notre part peu de temps après la réalisation de la séance pour pouvoir apercevoir cette omission à la fois inconsciente et éloquente.

Quant à la séance intitulée « Les Petits Chaperons Rouges et Grand’tante tigre », l’objectif de l’Activité 1 a été partiellement atteint car les élèves ont pu discriminer le français, qui est enseigné dans le cadre formel de l’école, le roumain et l’italien, tandis que pour la discrimination de l’espagnol, du catalan et du portugais ils ont eu recours à d’autres stratégies, faisant appel à la logique des cartes de langues restantes.

Quant aux impressions des élèves sur les langues présentées, ils ont montré en général une disposition favorable envers ces langues. Même s’ils n’ont pas aimé une langue, ils ne se sont pas exprimés en termes négafits, comme « moche », un terme qui a été prononcé dans des séances précédentes par un petit nombre d’élèves. Il faut, pourtant, souligner que pour certains élèves la « bizarrerie » et l’« étrangeté » impliquent et expliquent la non-préférence d’une langue.

Exemple 15
E. : J’ai aimé tous les moments que nous avons passés dans tous ces cours, et ces images et ces langues que nous venons de voir.
Ch. : Cette langue que nous venons de voir, comment tu la trouves ? (l’italien)
E. : Fantastique !

Exemple 16
Ch. : Comment vous trouvez cette langue ? (le portugais)
E. : Je ne l’ai pas aimée. Elle était bizarre.
E. : Moi non plus, elle est comme ci comme ça.

Par ailleurs, ces activités font émerger les représentations des élèves quant au « statut » d’une langue. Selon leurs déclarations, le roumain jouit du même statut que le russe. Ces deux langues, toujours selon les représentations des élèves, entretiennent des relations étroites. Il serait utile de remarquer que les élèves ne se souvenaient pas que le roumain appartient à la famille de langues romanes, avec le français, l’italien, l’espagnol, le catalan, le portugais. L’objectif donc de la quatrième séance portant sur certaines familles de langues – présentées ci-dessus – n’a été que partiellement atteint. En plus, cette défaillance inconsciente de la mémoire des élèves pourrait s’expliquer par leurs représentations quant au statut du roumain, qui constitue une langue de l’immigration en Grèce, et il ne pourrait pas avoir ainsi de rapports avec des langues qui, selon les représentations des élèves, ont du prestige, comme par exemple le français.

Exemple 17
E. : Madame, nous n’avons pas de russe, mais nous avons du roumain. (L’élève se réfère aux cartes de langues distribuées).

Si l’identification des langues des vidéos n’est atteinte qu’en partie, les élèves ont pu repérer les ressemblances sonores portant sur le nom du Chaperon rouge et du loup et ils ont pu mettre en relation leurs connaissances linguistiques pré-acquises dans une langue afin d’arriver à des conclusions par rapport à une autre langue parente, comme il résulte de l’Activité 2.

Exemple 18
(Vidéo en catalan)
Ch. : Il l’a appelé comment ?
E. : [lacaputsetamelja]
Ch. : [lacaputsetavermelja].
Ch. : Quel pourrait être le mot pour le rouge ?
E. : [vermelja].
Ch. : Pourquoi [vermelja] ?
E. : Je soupçonne que c’est comme en français le [ruz].
Ch. : Et comment est-ce qu’il a appelé le loup ?
E. : [rop]
E. : [lok]
Ch. : Vous êtes très proche !
E. : [lob] (C’est llop [ʎop]).

Exemple 19
(Vidéo en espagnol)
Ch. : Il l’a appelée comment ?
E. : [elibosedos]
E. : [kaperuθitaneno]
Ch. : [kaperuθitaroha], et quel serait le mot pour le rouge ?
E. : [roha].
Ch. : Pourquoi [roha] ?
E. : Parce qu’on dit [ruz] le deuxième en français, c’est pourquoi ici il serait aussi le deuxième.

Exemple 20
(Vidéo en portugais)
E. : [sapezivermel]
Ch. : [ʃapɛwziɲuvɨɾme(j)ʎu]. Et quel serait le mot pour dire rouge ?
E. : [veɾme(j)u]

Il est, donc, bien clair que ces activités font activer la réflexivité des élèves à propos du fonctionnement des langues, en les aidant à développer des compétences cognitives langagières qui facilitent l’apprentissage des langues et qui font construire des bases solides pour le développement des compétences plurilingues.

De même, dans la troisième activité (Activité 3), par le biais de d’observation et de la comparaison de différents contes, les élèves ont essayé de mettre en relation les éléments relevant des cultures différentes pour arriver à des conclusions concernant les relations interculturelles.

Dans le conte iranien, il serait inapproprié qu’une jeune fille se promène toute seule dans la forêt, ce qui relève de la culture iranienne. Les élèves ne sont pas toujours capables à repérer les différents éléments culturels, ainsi, ils cherchent à apporter des explications logiques quant au sexe des héros des contes.

Exemple 21
E. : Je n’aime pas le petit Chaperon rouge !
Ch. : Mais ce conte n’était pas le petit Chaperon rouge, c’était l’histoire de Shenel Quermezi.
E. : Ça l’était ! C’était le petit Chaperon rouge, mais c’était un garçon !
Ch. : Donc, ces deux contes se ressemblent-ils entre eux ?
E. : Non, ils sont les mêmes !
Ch. : Pourquoi pensez-vous que dans le conte iranien le héros est un garçon ?
E. : Parce qu’il y a plus de garçons là-bas.

Cependant, il semble que les élèves peuvent apercevoir que la géographie, les conditions naturelles d’un pays, ainsi que l’échange entre les peuples pourraient avoir un impact sur la création des contes.

Exemple 22
Ch. : Comment trouvez-vous ce conte ?
E. : Chouette !
Ch. : Est-ce qu’il ressemblait avec les autres contes ?
E. : Oui, mais dans celui-ci il n’y avait pas de loup, il y avait un tigre.
Ch. : Pourquoi pensez-vous qu’il y avait un tigre ?
E. : Parce que… je pense qu’il y a plus de tigres là-bas.

Exemple 23
Ch. : Les autres ? Qu’en pensez-vous ? Pourquoi les contes se ressemblent-ils ?
E. : Parce qu’il y a un échange des langues. C’est-à-dire les langues ne sont pas les mêmes et dans un pays il y aurait deux langues, une langue, trois langues.

Enfin, il faudrait souligner que les élèves ont montré un désir ardent d’interagir avec les marionnettes Polyglossos et Polyglossia, en leur posant des questions sur elles, sur leurs voyages et sur les langues qu’elles parlent.

Exemple 24
E. : C’est quand votre fête ? Parce que je n’ai jamais entendu parler de Saint Polyglossos.
Ch. : Le 26 septembre c’est la fête des langues. C’est notre fête aussi. Il n’y a pas de Saint Polyglossos et de Sainte Polyglossia, nous fêtons avec toutes les langues le 26 septembre.
E. : Avez-vous voyagé en Italie ?
Ch. : Oui, nous sommes allés partout. Vous ne vous en souvenez pas ? On vous a envoyé des photos d’Italie. […]
E. : Avez-vous voyagé sur une autre planète aussi ?
Ch. : Non, nous n’avons pas voyagé sur une autre planète. Nous avons traversé la Terre.
E. : Avez-vous voyagé au Pôle Nord ? […]
Ch. : Il [papa Noël] nous a donné un plan du monde, pour que nous voyagions facilement.
E. : Pouvez-vous l’apporter et nous le montrer la prochaine fois ?

Nous constatons, donc, que les séances combinant les approches plurielles ont déjà apporté des fruits quant à l’ouverture des élèves envers les langues et leurs locuteurs, en suscitant chez eux la curiosité et le désir d’apprendre d’autres langues, de connaître d’autres pays, d’autres traditions et coutumes, d’autres cultures.

6. CONCLUSIONS

L’appropriation des langues et le développement des attitudes favorables envers l’Autre sont encouragés par la création des ponts entre les différentes langues et cultures et l’établissement des liens entre elles, en autonomisant les apprenants, en optimisant leur perception de la diversité linguistique et culturelle, en renforçant leur compétence réflexive, en forgeant des identités multiples, en enrichissant leur vocabulaire et en structurant leur système linguistique.

À ces fins, il s’avère nécessaire de reconnaître les identités plurilingues et les plurilinguismes des apprenants, ainsi que la pluralité linguistique et culturelle de la société qui les entoure ; concevoir des matériaux didactiques appropriés à cet âge et exploiter les supports numériques ; mettre en place des propositions curriculaires ; former les enseignants de langues mais aussi ceux des matières non linguistiques ; inciter les parents à s’impliquer activement en rentrant dans l’école pour participer aux activités plurielles, puisque ils constituent un facteur capital de l’éducation de leur enfants ; et enfin mettre en relation les activités plurilingues avec la biographie langagière des apprenants.

Ainsi, nous proposons que des séances se basant sur les approches plurielles soient implémentées dans le programme de l’école maternelle grecque. Elles pourraient être intégrées dans la Zone d’Innovations Interdisciplinaires, prévue par le curriculum, dont le but consiste à instaurer une éducation de qualité, qui vise le développement chez les apprenants des aptitudes et des compétences qui les rendraient capables de réagir efficacement dans « la société de l’information et du savoir » dans laquelle ils vivront dans l’avenir.

Il serait, également, essentiel que l’enseignant dispose d’une formation qui lui permettrait de gérer tout ce capital afin de faire développer chez les apprenants la compétence plurilingue et pluriculturelle, pour qu’ils soient capables de communiquer langagièrement et d’interagir culturellement en tant qu’acteurs sociaux, mais surtout pour que des valeurs comme la solidarité sociale, la compréhension mutuelle, le respect et la valorisation de l’altérité linguistique et culturelle leur soient transmises et soient ancrées en eux.


Notes

[1Des informations sur l’équipe de recherche figurent sur le site
http://pluralites.web.auth.gr/fr/accueil/

[2Il s’agit des approches définies par le CARAP/FREPA http://carap.ecml.at/CARAP/tabid/2332/language/en-GB/Default.aspx

[3Citons à titre indicatif la Convention culturelle européenne (1954), ratifiée par 49 états membres du Conseil de l’Europe ; la recommandation N°R (82)18 du 24 septembre 1982 du Comité des Ministres aux États membres concernant les langues vivantes ; la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, élaborée en 1992 et entrée en vigueur en 1998 ; la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000), où le respect de la diversité culturelle, religieuse et linguistique figure en tant que droit fondamental.

[4Nous citons les témoignages des élèves qui déclarent : « Quand j’étais petit, nous sommes allés quelque part où nous avons rencontré Mme Candia, qui était Bulgare. Elle me parlait en bulgare, mais j’étais petit et je ne comprenais pas ». « Notre femme de ménage vient d’Albanie. Elle est sympa, je l’aime beaucoup. Je l’entends parler albanais ».

[5Nous citons le témoignage de l’élève qui affirme : « Moi je sais compter en coréen jusqu’à dix. [Elle compte]. On apprend au cours de Tae Kwon Do, la Corée en est le pays d’origine ».

[6Le titre grec de l’activité « Ζωγραφί-ζουμε στην Ευρώπη » provient d’un jeu de mots entre le verbe « ζωγραφίζουμε », qui signifie « nous dessinons », et le verbe « ζούμε », qui signifie « nous vivons » et qui est compris dans le mot « ζωγραφίζουμε », en renvoyant ainsi à la thématique des activités qui seront présentées par la suite, portant sur des familles de langues rencontrées en Europe.

[7Il s’agit des descripteurs du CARAP.

[8La séance est intitulée en grec « Η Κοκκινοσκουφίτσα, ο Κοκκινοσκουφάκης και η Θεία τίγρης ». Le genre des deux chaperons rouges étant indiqué par l’article défini, nous apercevons dès le début qu’il s’agit de deux contes différents : dans le premier l’héroïne est une fille, dans le deuxième le héros est un garçon.

[9Les liens des vidéos utilisées lors de la séance sont les suivants : https://www.youtube.com/watch?v=G1cQQoykPik (en français), https://www.youtube.comwatch?v=DXqUICuUbHg (en roumain),
https://www.youtube.com/watch?v=Yf5fj-c1kuQ (en italien),
https://www.youtube.com/watch?v=Kxqgn3nDEdU (en catalan),
https://www.youtube.com/watch?v=bidheE8Ur28 (en espagnol),
https://www.youtube.com/watch?v=77IP-eQIBDQ (en portugais), (consultées le 21/01/2016).


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