Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

Pour initier les étudiants à une rédaction de qualité : quelle méthodologie adopter ?

Fatima ZIOUANI, Université de Laghouat, Algérie


Résumé
L’objectif de cet article consiste à proposer une réflexion sur l’apprentissage de l’écrit à l’université algérienne, notamment en matière de production.
Pour mener cette réflexion, notre intérêt porte essentiellement sur les productions écrites des étudiants de troisième année de licence à l’université de Laghouat, amenés à préparer un projet de fin d’études. En effet, un assez grand nombre d’étudiants éprouvent des difficultés pour rédiger des mémoires ou des rapports de stage.
D’abord, on mettra l’accent sur les différents obstacles rencontrés, pour pouvoir ensuite proposer des approches qui servent de remédiation. Enfin, nous verrons le degré d’efficacité de ces approches sur la pratique de l’écrit chez ces étudiants.


The aim of this article is to offer a reflection about the learning of writing skill at the Algerian university in general and as a productive skill in particular.
In order to achieve this reflection, we focused mainly on the written products of third-year students at the University of Laghouat as they were supposed to prepare projects for their graduation. In fact, quite a large number of students always seem to have difficulty when it comes to writing memoirs and/or reports.
Hence, for this reason, we will try to highlight the most common problems that students usually face so that we would be able to find proper approaches to reduce them. Finally, after using some of the approaches, we will test the effectiveness of one of these approaches on students’ written products.


1. Introduction

L’écriture est une notion complexe qui se situe au croisement des pratiques culturelles et sociales. Pendant longtemps, les chercheurs considéraient l’écriture comme un code représentatif du langage oral. Dans ce sens, Saussure, cité par Vigner (1982, p. 10), explique que « langue et écriture sont deux systèmes de signes distincts : l’unique raison d’être du second est de représenter le premier ».
Dans un contexte d’apprentissage, la production écrite est envisagée comme un acte signifiant qui porte l’apprenant à formuler ses idées, ses sentiments, ses besoins, ses intérêts, en vue de les communiquer à d’autres. Cette forme de communication requiert la mise en œuvre des dispositifs et de stratégies que l’apprenant sera invité à maîtriser progressivement au cours de sa scolarité.

Le processus de la production écrite
La production écrite est un mécanisme constitué de plusieurs phases : la conception d’idées, la délimitation du sujet par l’organisation des idées dans un schéma, la rédaction, la révision, le partage et la diffusion. Ce procédé est décrit par Akmoun (2009, p. 26) : « les différentes activités mentales, appelées aussi processus rédactionnels, sont mobilisées dans l’acte d’écrire : la planification, la mise en texte et la révision ».
Écrire suppose le passage par toutes ces étapes qui conduisent ainsi à la communication pertinente d’un message. Il est indispensable que l’apprenant puisse élaborer la rédaction dans le respect des contraintes de chaque étape du processus, quelle que soit la forme de communication utilisée. Comme le préconisent Simonet et Marret (2002, 78) : « avant de passer à la rédaction à proprement parler, il importe de savoir d’où l’on part, où l’on va et par quelles étapes l’on passe ».
Avant de donner plus de détails sur la production écrite à l’université, nous avons jugé utile d’évoquer les critères de qualité susceptibles de caractériser l’apprentissage des langues à l’université notamment.

Les critères de qualité dans l’enseignement académique
Dans son ouvrage Pour une pédagogie de qualité, Nichtingale et O’Neil (1994, p. 20, cités par Leclercq, 1998) énumèrent des suggestions didactiques pour un apprentissage de qualité. Ce dernier doit installer les capacités suivantes chez l’étudiant :
 appréhender des savoirs d’une manière autonome,
 retenir d’une manière durable un ensemble de savoirs,
 établir des liens entre les connaissances antérieures et de nouveaux savoirs,
 se créer son propre savoir,
 se servir de ce savoir dans la résolution des problèmes,
 communiquer ce savoir à d’autres,
 vouloir apprendre de nouveaux savoirs au long de sa vie.
Ces compétences ne peuvent être installées que par le biais d’une démarche pédagogique axée sur l’autonomie de l’étudiant : elle le responsabilise tout en alliant les bonnes stratégies aux dispositifs adéquats, selon la finalité du module et les objectifs de chaque séance de travail.

L’écrit à l’université
Dans le milieu universitaire, l’écrit s’avère important dans la perspective de favoriser l’enseignement-apprentissage du FLE. Il est le prétexte pour créer un espace de communication entre les enseignants et les étudiants.
Bien que le travail universitaire repose sur l’oral, l’écrit a aussi sa part dans ce processus. Ainsi, Derive et Fintz (1998, p. 42) pensent que « l’étudiant est considéré "a priori comme un lecteur confirmé" qui est censé savoir lire et réagir rapidement à des textes longs et complexes ».
Lors de l’activité de rédaction, l’étudiant est convié à exploiter des savoirs spécifiques en lecture pour pouvoir produire des textes ou des dissertations de différents types et suivant différents axes.

L’objectif de la production écrite
La maitrise de l’écrit dans une société instruite est en effet un facteur déterminant de la réussite scolaire, que ce soit au plan pré-universitaire ou à l’université. D’abord, la production écrite mène l’étudiant à maitriser une compétence de la communication écrite ; ce qui constitue son premier objectif.
Par ailleurs, l’étudiant peut développer des savoirs linguistiques par le biais des différentes pratiques rédactionnelles (rétention du vocabulaire, respect des normes grammaticales, etc.).
Cette activité permet également à l’étudiant d’extérioriser ses connaissances culturelles et langagières, en exprimant correctement ses idées, ses réactions face à des situations. Il s’agit pour lui de commenter, d’argumenter, de communiquer son point de vue dans une situation particulière, etc.
Ces productions, quant à elles, seront objet d’évaluation par les enseignants, qui à leur tour pourront identifier les obstacles rencontrés par les étudiants face à l’écrit.
En dernier lieu, c’est le moment où l’étudiant se prépare à rédiger des écrits scientifiques (mémoires, articles, etc.) et cela, en suivant les directives de l’encadrant.

Problèmes constatés chez les étudiants lors la pratique de l’écrit
Suite au constat d’une carence linguistique chez des étudiants de licence, nous avons recensé auprès d’enseignants les problèmes majeurs que rencontrent ces étudiants notamment en matière de production. Voici quelques témoignages :

Beaucoup d’étudiants manifestent des réticences et des blocages notamment pendant les tests et les examens. Quant aux travaux faits à la maison, ils sont, la plupart du temps, plagiés ou réalisés par une autre personne ou mal faits.
Lorsque je leur demande de réaliser des exposés, mes étudiants ont tendance à se procurer des exposés déjà prêts dans des cybercafés.
Les étudiants ne lisent pas… Comment voulez-vous qu’ils sachent écrire ou rédiger, s’il n’y a pas une source d’inspiration ?
Paragraphes mal formulés, vocabulaire usé, redondance…En somme, la majorité des productions écrites s’écartent des règles et des usages en vigueur.
Nos étudiants ne peuvent même pas rédiger une lettre de motivation, un CV ou pour le moins remplir un formulaire ou un chèque.

Suite à ces déclarations, que d’ailleurs les enseignants réitèrent lors des réunions pédagogiques, nous tentons de proposer une approche qui consiste à réduire les obstacles rédactionnels chez les étudiants de la 3e année de licence, compte tenu du fait qu’ils devraient être en mesure de préparer un mémoire de fin d’étude.

Recherche en situation
Afin d’avancer des propositions pour diminuer les difficultés de l’écrit et pour aider les étudiants à la rédaction, nous avons engagé un échantillon de ces étudiants dans une pratique rédactionnelle, qui se déroule en plusieurs étapes, supervisée par leur enseignant.

2. Méthodologie

Pour mener notre observation, nous avons choisi vingt étudiants. Une analyse de leurs productions, réalisée à deux moments différents permettra de déterminer puis de comparer la nature et l’importance des lacunes et des déficiences.

Phase 1
Il s’agit de prime abord de demander aux étudiants de composer l’introduction d’un mémoire de licence en se basant seulement sur les mots clés fournis par l’enseignant. Les étudiants doivent rédiger l’introduction en y mentionnant les éléments essentiels, à savoir le cadre de l’étude, la problématique, les questions de recherche, les hypothèses et l’annonce d’un plan.
Limités par une durée de 90 minutes, les étudiants entreprennent leur travail en toute autonomie ; il sera évalué par la suite. Le travail s’articule sur l’apport des réseaux sociaux à l’apprentissage de l’écrit chez des étudiants algériens. Le recours aux dictionnaires numériques est permis puisqu’il s’agit d’un moment d’apprentissage.
Le choix s’est porté sur les médias sociaux car, d’une part, il s’agit d’un sujet d’actualité dans le domaine de la didactique et, de l’autre, la majorité des étudiants sont abonnés à ces réseaux. Pour eux, cette tâche est porteuse de sens.

Évaluation de la première rédaction
Après remise et correction de la première version de la production, il a été remarqué que les étudiants prennent les choses à la légère. Ainsi, les écrits manquent de cohérence et semblent présenter des idées très disperses. Par ailleurs, l’analyse rigoureuse des productions nous a permis de révéler ce qui suit :
 non-respect de la concordance des temps,
 fautes d’orthographe,
 mêmes articulateurs logiques revenant tout au long de la production,
 vocabulaire repris et style monotone,
 ponctuation mal placée,
 idées confuses et propos contradictoires,
 problématique mal formulée,
 progression non-respectée (des éléments avancés, d’autres reculés).

Ces remarques nous incitent à penser que les étudiants sont égarés et ne savent pas par où commencer ni quel itinéraire suivre. C’est pour cette raison que nous avons envisagé de changer de stratégie et de fournir plus de moyens aux étudiants, avec un contrôle plus strict par l’enseignant.
Pour cela, nous avons transposé du contexte scolaire au contexte universitaire, la théorie de Vygotski, à propos de la Zone Proximale de Développement. Selon Vygotski, il s’avère que

L’étude de la zone du développement le plus proche […] nous permet d’augmenter de façon significative l’efficacité, l’utilité, le bienfait de l’utilisation du diagnostic du développement intellectuel pour la résolution des tâches scolaires établies par la pédagogie ». (1933/2012b, 188, cité par Venet et al. 2016).

Phase 2
Cette démarche consiste à apporter un étayage important aux étudiants tout en étant exigeant dans l’évaluation de leurs productions. Ainsi, la consigne reste la même, puisque nous allons procéder à une comparaison entre les deux productions.
Les étudiants élaborent un travail de rédaction en ayant recours, cette fois, aux ressources fournies par l’enseignant :
 liste comportant le jargon de la recherche et notamment celui de la didactique du FLE (noms, verbes, adjectifs, tournures impersonnelles, etc.) ;
 formules toutes faites (phrases introductives, transitions) ;
 éventail de connecteurs logiques variés et fréquents dans la rédaction scientifique ;
 plan, écrit au tableau, à respecter lors de la rédaction (ordre bien déterminé) ;
 dépliants reprenant des règles simples sur la concordance des temps.

Sachant qu’ils ont le privilège de consulter un modèle d’introduction (sur un thème différent) pendant la rédaction, les étudiants se sentent motivés pour l’activité. L’enseignant, de son côté, reste à la disposition des étudiants pour les éventuels questionnements méthodologiques.

Évaluation de la seconde rédaction
Une fois le temps écoulé, l’enseignant corrige les copies en tenant compte des critères de rédaction préalablement organisés dans une grille d’évaluation (clarté des idées, complexité des structures, adéquation du vocabulaire, cohérence textuelle, pertinence de la problématique, appropriation du style, etc.).

3. Résultats

Dans la majorité des rédactions, il a été constaté que le deuxième jet revêt une nouvelle vigueur, est mieux organisé et d’une plus grande richesse lexicale.

Comparaison des deux démarches
Il est clair que la deuxième démarche a été plus fructueuse. Cela est dû, d’une part, à la conduite plus stricte de l’enseignant lors du deuxième jet, aux moyens fournis par ce dernier et, d’autre part, au sérieux des étudiants et à leur volonté de réaliser un travail meilleur.

Synthèse et propositions
Rédiger l’introduction d’un mémoire était une proposition indicative. L’enseignant pourra appliquer cette démarche avec d’autres parties que le mémoire comporte : conclusion, introductions partielles, description du protocole expérimental, analyse et discussion des résultats, etc.
L’ensemble des propositions qui suivent constitueront la synthèse de cette réflexion :
 ne pas laisser les étudiants livrés à eux-mêmes pendant la rédaction,
 faire lire et consulter des modèles de rédaction par les étudiants qui y trouvent une source d’inspiration,
 contrôler la conduite des étudiants même à distance en leur demandant de rester en contact par mail avec l’enseignant,
 consacrer un module aux « techniques de rédaction »,
 profiter de l’apport des TICE pour gagner du temps lors de la rédaction (dictionnaires numériques, téléchargement d’ouvrages non accessibles en PDF, etc.).

4. Conclusion

Au terme de cette réflexion, et au fil des pratiques décrites supra, nous avons pu constater que les étudiants font de leur mieux quand ils sont placés sous le contrôle de l’enseignant. En outre, ils manifestent une grande motivation sur des sujets qui ont trait à leur quotidien (comme les réseaux sociaux, les applications, etc.).
Sachant que cette époque est marquée par le retour à l’écrit (à travers les conversations électroniques via Facebook notamment), les chercheurs et les pédagogues doivent saisir cette occasion et profiter des atouts des réseaux sociaux pour initier les étudiants à la rédaction, et cela en favorisant tous les moyens et toutes les techniques possibles.
Pour ce qui est du vocabulaire, les exercices de reproduction à l’aide des dictionnaires numériques peuvent aussi augmenter avec le temps le capital linguistique des étudiants. Il suffit de donner des passages courts aux étudiants pendant les séances de travaux dirigés et de leur demander d’en faire la reformulation ou la synthèse.
Nous pouvons dire que cette petite expérience a donné lieu à des démarches plus élaborées de la part de l’enseignant et des étudiants, et cela pour mener à mieux la pratique de l’écrit chez ces derniers et les préparer à d’autres formes de rédaction dans le contexte professionnel et académique.


Références bibliographiques

Akmoun, H. (2009). Mieux enseigner les stratégies de planification. Le Français dans le Monde, 365. Revue de la Fédération internationale des professeurs de français. Paris : CLE International.

Derive, M.-J. et Fintz, C. (1998). Quelles pratiques implicites de l’écrit à l’université ? Dans C. Fintz (Dir.). La didactique du français dans l’enseignement supérieur : Bricolage ou rénovation ? 41-51. Paris : L’Harmattan.

Leclercq, D. (1998). Pour une pédagogie universitaire de qualité. Sprimont-Liège : Éditions Mardaga.

Nightingale p. et O’Neil M. (1994). Achieving quality in learning in higher education. Londres : Kogan.

Simonet, R. et Marret, A. (2002), Écrire pour agir au quotidien. Paris : Éditions d’Organisation.

Venet, M., Correa, E. et Saussez, F. (2016). Pédagogie universitaire et accompagnement dans la zone proximale de développement des enseignants et enseignantes en formation initiale et continue. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation. 19(1).

Vigner, G. (1982). Écrire : Éléments pour la pédagogie de la production écrite. Paris : CLE International.

Vygotski, L.S.(1933/2012b). La dynamique du développement intellectuel de l’enfant en lien avec l’enseignement. Dans F. Yvon et Y. Zinchenko (Dir.), Vygotsky, une théorie du développement et de l’éducation.172-204. Moscou : MGU.