L’élaboration de la perspective actionnelle et la situation méthodologique résultante en didactique des langues-cultures

Introduction

En didactique du FLE, l’ère des grandes méthodologies exclusives a pris fin chez les auteurs de manuels depuis déjà plus de trente ans, au cours des années 80, la question centrale qui se pose depuis lors n’étant plus la recherche d’une nouvelle méthodologie qui serait meilleure dans l’absolu, mais celle de la gestion de l’éclectisme, ou, plus exactement, la gestion de la complexité (voir Puren, 1998b). C’est dans ce cadre épistémologique que j’ai pour ma part pensé l’élaboration de la perspective actionnelle, et où doit être à mon avis également pensée son utilisation.

1. La situation méthodologique en DLC avant la publication du CECRL

Depuis l’émergence de l’approche communicative en Europe dans les années 1970, à la diffusion de laquelle la première grande publication du Conseil de l’Europe concernant les langues, les Niveaux-seuils, apportera une forte contribution [1], jusqu’à la publication du CECRL en 2000-2001 [2], la « situation méthodologique » existante, c’est-à-dire l’ensemble des méthodologies disponibles, étaient les suivantes :

Quelques commentaires ou renvois qui me paraissent ici indispensables pour la compréhension de ce tableau [3] :

 Je reprends sur la ligne 1 les quatre « domaines » qui apparaîtront seulement plus tard, avec le CECRL.

 La ligne 2 correspond à l’« objectif social de référence », c’est-à-dire à l’action que l’apprenant devra pouvoir effectuer en société. C’est également, en application de la « loi d’homologie fin-moyen » - on privilégie en classe la tâche d’apprentissage qui ressemble le plus à l’action sociale à laquelle on prépare les élèves -, ce que pour l’y préparer on va lui faire faire en classe (de manière réelle à partir de documents authentiques dans la méthodologie active des années 1920-1960 dans l’enseignement scolaire français des langues étrangères ; de manière simulée dans l’approche communicative des années 1970-1990) [4].

 La ligne 3 correspond aux « compétences sociales de référence », langagière et culturelle : c’est-à-dire à ce qu’on veut que l’élève soit capable de faire en langue-culture étrangère à la fin de sa formation. Lire et comprendre des textes pour entraîner ses connaissances langagières et culturelles, extraire de ces textes de nouvelles connaissances langagières et culturelles dans la méthodologie active [5] ; interagir langagièrement avec des étrangers, découvrir leur culture et prendre conscience de la sienne tout en la relativisant, dans l’« approche communicative-interculturelle » (concernant cette dernière expression, cf. infra note 7).

 La ligne 4 correspond à l’activité sociale, ou « action d’usage » de référence. En application de la loi d’homologie maximale fin-moyen citée ci-dessus, c’est aussi l’activité scolaire, ou « tâche d’apprentissage » de référence [6]. L’action d’usage de référence ne doit pas être confondue avec les « activités langagières » (compréhensions de l’oral et de l’écrit, expressions orale et écrite), qui sont des activités d’apprentissage correspondant à des découpages de la langue à finalité didactique (comme le sont aussi le lexique, la grammaire, la phonie-graphie et la culture).

 La ligne 5 correspond aux « méthodologies constituées », qui sont des macro-cohérences visant à couvrir l’ensemble de la problématique du « comment » : comment enseigner, comment apprendre, et comment mettre en relation ces deux processus [7]. On notera que l’approche communicative n’a été mise en œuvre dans les manuels que jusqu’au niveau B1. À partir du niveau B2, et parfois déjà dès le niveau B1, ce n’est plus la rencontre physique avec l’autre qui est préparée, les documents authentiques redevenant le support d’une découverte de la culture étrangère, comme dans la méthodologie précédente, active : ce n’est plus la « logique support », logique documentaire spécifique de l’approche communicative qui est alors mise en œuvre, mais celle de la méthodologie active, la « logique document » [8].

 Dès les débuts des années 1990 se sont développées de manière indépendante, et sont restées relativement isolées, des « méthodologies plurilingues ». On peut les définir comme des méthodologies prenant en compte plusieurs langues, soit pour intéresser les élèves à leur diversité (programmes d’« éveil aux langues » dans l’enseignement primaire), soit pour faciliter leur apprentissage en travaillant les synergies possibles en termes de stratégies d’enseignement et d’apprentissage (c’est le projet de la « didactique intégrée », adaptée à l’enseignement en collège et lycée), soit pour s’appuyer sur des connaissances et compétences déjà acquises dans une langue pour l’apprentissage d’autres langues « voisines » (programmes d’intercompréhension entre langues néolatines pour les adultes, par exemple).

 Depuis très longtemps, quelle que soit par ailleurs la méthodologie utilisée, les enseignants ont eu recours, en parallèle avec leur méthodologie de référence, à des démarches que l’on peut appeler « expérientielles », dans le sens où elles mettent au service de son apprentissage les expériences vécues par l’apprenant. Le principe en est énoncé de cette manière par Émile Bailly en 1903 : « Une langue […] s’apprend en vivant cette langue ! » (p. 178)
Il s’agit alors, pour ce professeur d’allemand, de promouvoir les « méthodes actives » qui sont l’un des principes fondamentaux de la méthodologie directe des années 1900-1910, et qui se heurtent dans l’enseignement scolaire aux méthodes transmissives de la pédagogie traditionnelle. Mais le recours au vécu de l’élève a toujours été indispensable dans l’enseignement aux enfants. Voilà par exemple ce que propose De Vallange en 1730 dans son Art d’enségner le latin aux petits enfans en les divertissant et sans qu’ils s’en aperçoivent :


 Manipulation de gâteaux appelés « fours grammaticaux » … destinés bien sûr à être consommés au fur et à mesure par les jeunes élèves ;
 utilisation des jeux de cartes, des images, des bracelets, des éventails, des poupées, de l’imprimerie, de la musique (la « grammaire musicale... qui enseigne le latin en chantant »), des doigts de la main (la « grammaire digitale », que l’on apprend « en badinant sur les doigts ») (cité dans Puren, 1988a, p. 29).

Ces démarches expérientielles se sont enrichies au cours de l’histoire, en faisant appel à des « composantes » dont la liste suivante donne une idée de la diversité : l’authentique, le spontané, l’affectif, l’émotionnel, le plaisir, la confiance, la convivialité, l’imagination, la créativité, le jeu, le chant, le corporel, le relationnel, l’interactif… Au cours de l’histoire aussi sont apparues de temps en temps des méthodologies alternatives, dites « non-conventionnelles » parce que s’appuyant sur la systématisation d’un ou de plusieurs de ces éléments, comme la Suggestopédie, le Silent Way, la Méthode communautaire, le Total Physical Response [9], lesquelles peuvent être en retour insérées en partie dans les méthodologies conventionnelles, soit en en reprenant certaines techniques, soit, comme proposent Kazlauskaitė et al. (2016), à l’occasion de pauses.

2. La situation méthodologique en DLC après la publication du CECRL

Même si elle avait bien sûr émergé plus tôt, le CECRL « officialise », en quelque sorte, la prise de conscience d’un changement de « situation de référence » (i.e. celle pour laquelle on se propose de donner aux apprenants les moyens de gestion langagière et culturelle), qui n’est plus la rencontre avec l’autre dans le cadre d’un voyage, en particulier touristique, mais la cohabitation permanente avec d’autres personnes de langue et de culture entièrement ou partiellement différentes dans une société multilingue et multiculturelle :

Le Chapitre 8 examine les principes de la construction curriculaire qui entraîne la différenciation des objectifs d’apprentissage des langues, en particulier dans le domaine du développement de la compétence plurilingue et pluriculturelle d’un individu, pour lui permettre de faire face aux problèmes de communication que pose la vie dans une Europe multilingue et multiculturelle (CECRL, 2001, p. 6).

Cette nouvelle situation sociale de référence génère deux enjeux différents, à savoir :
(1) le vivre ensemble, qui va exiger les compétences plurilingue et pluriculturelle :

[La compétence plurilingue est la capacité à gérer leur situation qu’ont les acteurs sociaux] qui, dans leurs langue et culture premières sont, au cours du processus de socialisation, exposés à différentes variétés linguistiques et à la différenciation culturelle interne à toute société complexe (p. 105).

(2) et l’agir ensemble, qui va être pris en charge, du point de vue méthodologique, par la perspective actionnelle :

La perspective privilégiée ici est, très généralement aussi, de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier (p. 15).

Ces deux enjeux vont faire appel à une nouvelle action sociale de référence, à savoir la médiation (langagière et culturelle), avec laquelle les méthodologies plurilingues préexistantes viennent tout naturellement s’articuler. Le tableau peut être complété de la manière suivante (voir parties en gras) :

On voit immédiatement dans la colonne de droite, lignes 3 et 4, ce qui manque pour compléter le cadre conceptuel de la perspective actionnelle : ce sont les composantes langagière et culturelle de référence, ainsi que l’activité langagière de référence.
La plupart des didacticiens ont pensé, au cours des années 2000, et certains même encore dans les années 2010, que la perspective actionnelle ne faisait que prolonger l’approche communicative. C’est le cas des auteurs du CECRL, de toute évidence, lorsqu’ils parlent, dans le passage déjà cité plus haut, des « problèmes de communication que pose la vie dans une Europe multilingue et multiculturelle » (p. 6, je souligne). J.L.M. Trim, à l’époque Directeur du projet Langues Vivantes du Conseil de l’Europe et à ce titre le principal concepteur du CECRL, écrit ainsi dans le Guide d’utilisation du Cadre européen commun de référence pour les langues publié dès 1997, l’année suivant la publication de la première version provisoire du CECRL en 1996 :

La perspective privilégiée est de type actionnel. Cette orientation est la marque des travaux du Conseil de l’Europe depuis le début des années 70 ; elle considère l’apprentissage des langues comme une préparation à une utilisation active de la langue pour communiquer. « L’apprentissage fondé sur la tâche » est, tout naturellement, une tendance forte et croissante dans le cadre de l’approche communicative.

C’est encore la position affichée, plus de dix ans plus tard, par l’un des auteurs de l’édition française du CECRL, Daniel Coste, qui écrit en 2009 : « Il ne s’agit pas de faire de "l’approche actionnelle" et d’une "centration sur la tâche" (comme naguère "sur l’apprenant") les piliers d’une méthodologie prétendument nouvelle » (p. 16).
C’est de leur part une erreur historique, comme en commettent fréquemment les acteurs eux-mêmes du changement, particulièrement mal placés pour interpréter leurs actions dans une perspective historique du fait de leur manque de recul. Celle que commettent ainsi Trim et Coste s’explique aussi par le fait qu’ils avaient déjà été des auteurs des Niveaux-Seuils, et parce que la version anglo-saxonne de l’approche communicative était une approche par les tâches (Task Based Learning).
Geneviève-Dominique de Salins, auteure de l’Avant-propos du premier manuel de FLE se réclamant de la perspective actionnelle, Rond-Point 1, paru en 2004 aux Éditions Maison des langues à Paris, n’y fait d’ailleurs pas la différence entre la perspective actionnelle et l’approche par les tâches :

Le Cadre européen commun de référence (CECR) établit les bases théoriques et fournit les outils méthodologiques nécessaires pour surmonter les carences des approches dites communicatives. Dans ce but, le CECR formule une proposition méthodologique cohérente et privilégie ce qu’il appelle une perspective actionnelle. Cela signifie que les usagers et apprenants d’une langue sont, avant tout, considérés « comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches dans des circonstances et un environnement donnés... ». C’est en ce sens que Rond-Point est la première méthode de français basée sur les tâches.

Mais dans l’approche par les tâches anglo-saxonne, il s’agissait de tâches communicatives, et non d’action sociale, comme on peut le voir dans cette description de la tâche par David Nunan, l’un des auteurs de référence du Task Based Learning :

Task : a piece of classroom work which involves learners in comprehending, manipulating, producing or interacting in the target language while their attention is principally focused on meaning rather than form (1989, p. 19).

3. L’élaboration de la perspective actionnelle

Les enjeux de l’agir avec les autres, qui exigent des conceptions partagées de l’action commune [10], sont différents de ceux de la rencontre avec d’autres, où sont en jeu les représentations préalables qu’on a de sa culture et son propre référentiel culturel ; ils sont même différents de ceux du vivre ensemble, où sont en jeu les attitudes et comportements, qui doivent être acceptables par tous dans l’espace public et professionnel.
De plus en plus de sociologues critiquent d’ailleurs le thème du « vivre ensemble », devenu à leurs yeux purement incantatoire et qui occulte les enjeux du faire ensemble. Pour Vincent Geisser [11], par exemple, ce « vivre ensemble »

[...] est une posture intellectuelle, politique et sociétale qui prône la tolérance, l’antiracisme et l’anti-discrimination. Mais la formule est devenue un fourre-tout. [...] Le discours du vivre-ensemble sert de plus en plus notre incapacité à agir ensemble. […] À titre personnel, la notion d’« en commun » me paraît plus pertinente, [c’est-à-dire] la défense de valeurs communes et le « faire-ensemble ». À savoir, bâtir des actions et des projets communs sur les questions d’exclusion et d’égalité. [...] Il est plus facile de créer une petite structure qui va défendre les siens plutôt que de construire, avec des gens différents, de l’« en-commun ». On rejette cette complexité en lui préférant la simplicité de la segmentation : l’entre-soi social, religieux, professionnel... n’a jamais été aussi fort (2018, p. 26).

Ce que promeut ainsi Vincent Gessier est souvent appelé le « faire société avec les autres », c’est-à-dire œuvrer avec tous ses concitoyens à un projet commun de société sur la base de valeurs partagées. Or c’est aussi une finalité affichée par le Conseil de l’Europe, rappelée encore précisément dans l’Avertissement du CECRL :

Le Conseil (de l’Europe) soutient également les méthodes d’enseignement et d’apprentissage qui aident les jeunes, mais aussi les moins jeunes, à se forger les savoirs, savoir-faire et attitudes dont ils ont besoin pour acquérir davantage d’indépendance dans la réflexion et dans l’action afin de se montrer plus responsables et coopératifs dans leurs relations à autrui. En ce sens, ce travail contribue à promouvoir une citoyenneté démocratique [12] (p. 4).

L’élaboration de la perspective actionnelle, telle que je l’ai impulsée pour ma part dès la publication du CECRL [13], a complété le tableau des méthodologies disponibles de cette manière (voir parties en gras).

Quelques commentaires de ce tableau :
 L’action sociale de référence, celle de l’« acteur social » dont parlent les auteurs du CECRL, est la « co-action », c’est-à-dire l’action commune à finalités et/ou objectifs partagés, dont le modèle de référence contemporain, dans tous les domaines - qu’il soit public, professionnel ou éducationnel -, est le projet. Les deux tableaux suivants, extraits de mon article intitulé « Approche communicative et perspective actionnelle, deux organismes méthodologiques génétiquement opposés... et complémentaires » (2014a), présente ainsi les « gènes », ou caractéristiques fondamentales, de l’agir touristique, pour l’approche communicative, et de l’agir social, pour la perspective actionnelle.

Il me semble vraiment difficile, si l’on partage cette analyse, de considérer que la perspective actionnelle pouvait et devait être construite dans le « prolongement » de l’approche communicative.
Avec les enjeux sociaux différents et les caractéristiques opposées des deux « agir » de référence, la troisième raison de construire la perspective actionnelle en opposition avec l’approche communicative a été d’enrichir les modèles méthodologiques à la disposition des enseignants. Il ne s’agit aucunement, en effet - en tout cas il n’en a jamais été question dans mon esprit - d’abandonner l’approche communicative pour se « convertir » à la perspective actionnelle. Il est évident qu’il faut bien communiquer pour bien agir en commun ; il se trouve simplement que (1) cela ne suffit pas (certains même communiquent au lieu d’agir, voire pour ne pas agir…), et (2) que la communication doit changer de statut : ne plus être à la fois l’objectif et le moyen, mais seulement un moyen au service de l’action : il faut passer, en d’autres termes, du paradigme de la communication au paradigme de l’action (voir Puren, 2013e). Mais pour l’enseignement-apprentissage des langues-cultures, les deux méthodologies sont opposées et complémentaires, ou plus exactement complémentaires parce qu’opposées. Le paradoxe n’est qu’apparent, et il est facilement levé par l’exemple de deux pièces contigües de puzzle :

Pour que deux pièces de puzzle se complètent et enrichissent ainsi l’ensemble de la composition, il faut que les profils de leurs deux côtés à joindre soient inverses l’un de l’autre.

 Sur la compétence informationnelle, qui est en perspective actionnelle l’équivalent de la compétence communicative dans l’approche communicative, je renvoie, pour ne pas allonger démesurément mon texte, à mon article intitulé « Les implications de la perspective de l’agir social sur la gestion des connaissances en classe de langue-culture : de la compétence communicative à la compétence informationnelle » (2009c).

 La compétence co-langagière est la capacité d’un apprenant et d’un acteur social de partager ou de se créer un langage commun d’action avec les autres. Tous les corps de métier, et même chaque entreprise, ont ainsi des éléments de langage commun qui leur servent tout autant à travailler efficacement ensemble qu’à maintenir la cohésion de leurs membres en fonctionnant comme autant de signes de reconnaissance. Dans l’enseignement, on connaît bien, par exemple, l’importance des consignes du professeur ou du manuel, et la nécessité pour les apprenants de les comprendre correctement.

 La compétence co-culturelle, enfin, est la capacité à adopter et/ou à se créer avec les autres une « culture d’action », qui est l’ensemble des conceptions partagées pour et par l’action commune. Pour plus de développements sur cette question, je renvoie à mon article intitulé « De l’approche communicative à la perspective actionnelle, et de l’interculturel au co-culturel » (Puren, 2008e).

4. Quelles implications dans la conception des manuels et des pratiques de classes ?

Je me limiterai ici aux quatre implications qui me paraissent les plus importantes :

1) La perspective actionnelle dans sa version la plus forte, celle de la pédagogie de projet, implique une conception différente de l’unité didactique (préparée dans les manuels) ou de la séquence didactique (préparée par l’enseignant lui-même). Jusqu’à présent, depuis le début du XXe siècle, toutes méthodologies confondues, le schéma canonique était le modèle « PPP » :

Le « modèle projet » peut être représenté de la manière suivante :

En perspective actionnelle, la finalité de formation à l’action sociale autonome et responsable amène :
 avant la fameuse « tâche finale », à proposer aux apprenants la prise en charge de la « tâche initiale » qui est la conception du projet (cf. « conception de l’action ») ;
 au cours de la réalisation du projet, à faire en sorte qu’ils aient à chercher, ou du moins à compléter, la documentation qui leur sert à préparer leur(s) tâche(s) finale(s) (cf. « documentation autonome ») ;
 au cours et à la fin du projet, à utiliser éventuellement les productions intermédiaires des élèves (prises de notes sur des documents, notes destinées à aider aux exposés oraux…) et leurs productions terminales comme des documents authentiques à part entière, utilisables donc comme documents de travail sur la langue-culture étrangère dans l’une ou l’autre des « logiques documentaires » disponibles en didactique des langues-cultures (rappel : cf. Puren 066) ;
 à envisager après la production finale en langue étrangère une activité de médiation, qui consisterait pour les élèves à traduire leur production en langue maternelle pour réaliser la même action sociale dans leur propre société.

2) La version forte de la mise en œuvre de la perspective actionnelle est le projet pédagogique qui, par nature, parce qu’il exige une autonomie maximale des élèves au moment de la conception de leur projet, n’est pas compatible avec l’usage d’un manuel de langue, dont une des fonctions est de préprogrammer les contenus langagiers et culturels et le travail sur ces contenus au sein de chaque unité didactique. C’est la raison pour laquelle dans l’enseignement scolaire français les projets sont organisés officiellement en parallèle avec le travail à partir du manuel (voir Puren, 2017c).

3) Cela n’invalide pas toute intégration de la perspective actionnelle dans les manuels. Je renvoie sur ce point au document Puren 050, qui présente, comme l’annonce son titre, une « Grille d’analyse des différents types actuels de mise en œuvre de l’agir dans les manuels de FLE » : la conception des « tâches finales » dans ces manuels peuvent se placer sur un continuum entre deux bornes extrêmes qui sont d’une part la tâche communicative « classique » des manuels communicatifs, jusqu’au mini-projet conçu comme un compromis entre les contraintes du manuel et les exigences de la pédagogie de projet. J’ai montré ailleurs (Puren, 2016a) qu’il était toujours possible de « manipuler génétiquement » la tâche finale proposée dans un manuel pour en faire un mini-projet, voir un projet pédagogique sur une durée dépassant celle d’une unité didactique.

4) Non seulement, comme nous l’avons vu plus haut, la perspective actionnelle doit être combinée avec l’approche communicative, ou articulée avec elle au cours des cursus, en adéquation avec l’environnement d’enseignement-apprentissage (à commencer par les finalités et objectifs institutionnels, dans l’enseignement scolaire, ou avec les objectifs des apprenants dans l’enseignement aux adultes) [14], mais ce sont toutes les méthodologies disponibles qui peuvent être pour cela mises à contribution :
 au niveau macro, celui des cohérences globales de chacune d’elles, qui constituent autant de « matrices méthodologiques » disponibles ; le tableau suivant (Puren 073) les reprend schématiquement :

Comme indiqué dans ce document, on pourra consulter deux exemples concrets de mise en œuvre conjointe de ces différentes matrices méthodologiques, sur deux sketches vidéo (Puren, 2016b) et dans un projet pédagogique plurilingue sur la poésie (Puren 053).

 et/ou au niveau méso [15], celui des « objets méthodologiques » [16], la liste ci-dessous énumérant ceux qui sont à ma connaissance actuellement disponibles (on se reportera aux références indiquées pour plus de développements) :

1) les techniques de type « apprentissage expérientiel » que l’on peut emprunter, comme nous l’avons vu plus haut, à telle ou telle méthodologie non-conventionnelle (Kazlauskaitė et al. 2016) ;

2) l’ensemble des procédés d’explication directe d’un mot inconnu des élèves (Puren 059) ;

3) la « procédure d’exercisation en langue » (Puren, 2016c) ;

4) la procédure standard de correction en temps réel des erreurs des élèves : successivement, l’enseignant cherche à ce que l’élève se corrige, sinon il sollicite ses camarades, si aucun d’eux ne donne la correction, il la donne lui-même, et dans tous les cas il fait finalement reprendre l’énoncé correct par l’élève ;

5) l’approche active et globale des textes (Puren, 2017f) ;

6) les cinq logiques documentaires (Puren 066) ;

7) le traitement didactique des documents authentiques (Puren 041).

En guise de brève (mais importante) conclusion

La perspective actionnelle doit donc être replacée dans l’ensemble de la situation méthodologique actuelle, qui offre, comme mes lecteurs ont pu le constater, une très grande liberté aux enseignants, qu’ils ont à assumer pleinement même lorsqu’ils utilisent un manuel qu’on leur a imposé (sur ce point, voir Puren, 2015e).
Mais un niveau de liberté engage forcément le même niveau de responsabilité : celle-ci est donc aussi bien plus grande que celle qui était laissée aux enseignants lorsqu’on leur demandait simplement de reproduire dans leurs pratiques de classe la macro-cohérence globale d’une méthodologie déterminée, ou, pour reprendre la métaphore informatique, de copier-coller telles quelles dans leur programme d’enseignement toutes les lignes du programme de la méthodologie la plus récente, supposée de ce fait la meilleure, et donc devant remplacer l’antérieure. Comme j’ai souvent l’occasion de le répéter - mais en tant qu’enseignants de langue, nous connaissons bien d’expérience les vertus de la répétition… - la seule méthode mauvaise est la méthode unique : c’est là une certitude qui ouvre sur la complexité didactique et sa difficile gestion quotidienne dans les classes, mais c’est au moins une certitude.