Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

Préface

Silvia ADLER, Université Bar-Ilan, Israël
Isabelle DOTAN, Université Bar-Ilan, Israël


Ce numéro 4 de la Revue du Laboratoire ouvert, interuniversitaire et interdisciplinaire pour la méthodologie de l’enseignement/apprentissage des langues (Méthodal) s’inscrit dans un contexte spécifique – l’enseignement du français langue étrangère en milieu universitaire – et s’articule autour d’une thématique spécifique : celle des divergences entre la langue source (L1) des étudiants et la langue cible (L2). Les dix articles de ce numéro se veulent des réflexions et des présentations de méthodes d’enseignement du français. Ils cherchent des solutions aux nombreux problèmes des écarts entre la L1 et le français L2.

Cette thématique s’est imposée à nous suite à la constatation que les étudiants ne sont pas toujours conscients des écueils qui les attendent en choisissant le français comme langue d’apprentissage : selon le contexte géographique et la/les langue(s) du pays concerné, les différences entre le français et la/les langues locale(s) varient à différents degrés. Les écarts peuvent s’avérer dérisoires (par exemple entre une L1 romane et une autre L2 romane), ou bien de taille (par exemple, si la L1 est une langue balto-slave, hellénique, sémitique, etc.). Ces écueils relèvent de domaines divers :

– le système temporel des verbes,
– le système des déterminants,
– l’emploi des pronoms,
– l’emploi des prépositions,
– des considérations d’ordre lexical (locutions, expressions idiomatiques, etc.),
– la phonétique,
– la ponctuation,
– les divergences culturelles.

Outre la réflexion sur le décalage entre le français, langue cible et la/les langue(s) source(s), nous nous sommes intéressées aux méthodes et aux stratégies d’enseignement ainsi qu’à leur motivation face aux contraintes qui surgissent en contexte universitaire. Aussi, les contributions de ce numéro s’articulent-elles sur des axes divers : réflexions, méthodes, analyses d’erreurs et méta-regards sur la rencontre des langues.

Ainsi, Kordoni et Wehbe s’intéressent aux interférences langagières et notamment aux emprunts et calques de l’arabe et de l’anglais chez des étudiants bilingues apprenant le français à Sorbonne-University Abu-Dhabi. Une analyse d’erreurs leur a permis de dégager l’origine des interférences syntaxiques et sémantiques des apprenants, inconsciemment influencés par l’une ou l’autre langue et leur tendance à traduire de l’arabe ou de l’anglais au français. Dans la même lignée, Chaibi et Riget ont étudié les interférences du malais (Bahasa Melayu) chez les étudiants du programme de français à l’université de Malaya. L’analyse d’erreurs s’est basée sur trois tests et révèle que les difficultés des étudiants malais sont d’ordre phonologiques, morphosyntaxiques et lexico-sémantiques.

Grabowska et Ucherek de l’Institut d’Études romanes de l’université de Wrocław ont concentré leur recherche sur le traitement de la locution temporelle il y a dans 10 méthodes de FLE et dans 35 dictionnaires bilingues français-polonais. Ils constatent que si certaines méthodes introduisent le il y a temporel relativement tôt et restent fidèles à l’approche onomasiologique, le traitement lexicographique du il y a temporel souffre de plusieurs défauts. Leur analyse est accompagnée de suggestions d’amélioration de la pratique actuelle. Pour sa part, Ziouani s’est intéressée à l’utilisation de dictionnaires numériques dans les travaux de réécriture d’étudiants de français de l’université Amar Télidji de Laghouat. Les étudiants ont été invités à reproduire des textes à l’aide d’un dictionnaire numérique, le but étant de découvrir des substituts lexicaux appropriés au contexte. Les productions indiquent un net enrichissement lexical et une plus grande aisance des étudiants à l’écrit.

Dans son article, Masset-Martin présente une démarche interculturelle par l’observation d’expressions idiomatiques pour travailler les divergences culturelles avec des étudiants étrangers de programmes d’échanges internationaux apprenant le français à l’Université d’Artois. Le volet culturel est également présent dans l’article de Górecka et Orchowska. Les auteures s’intéressent à l’exploitation de critiques littéraires en tant que moyens pour combler l’interculturel chez des étudiants polonais de français niveau B2 de l’université Adam-Mickiewicz de Poznań. Elles constatent que la critique littéraire d’ouvrages francophones constitue une ressource importante, à potentiel didactique en ce qui concerne le développement de la capacité de médiation inter- et métaculturelle des apprenants.

Dotan propose une réflexion relative à la prosodie fluente du français à des apprenants de l’université Bar-Ilan dont la L1 est sémitique (hébreu ou arabe). Le défi est d’autant plus grand puisqu’à l’opposé du français, les langues sémitiques comprennent des sons saccadés et gutturaux. Elle propose un apprentissage intensif ciblant spécifiquement la fluence de la structure phrastique dès le début de l’apprentissage.

Pour Tifour, Ait-Machdal et Dzait , c’est la ponctuation qui est observée chez les apprenants de FLE de l’université Amar Téledji de Laghouat. Cet article tente de remodeler l’enseignement-apprentissage de la ponctuation en classe de FLE et de repérer sa place institutionnelle parmi le vaste champ des contenus pédagogiques mis à la disposition des partenaires du contrat didactique.

Bendennoune de l’Université hébraïque de Jérusalem apporte un méta-regard sur la rencontre des langues. Se basant sur des théories philosophiques, cet auteur observe les fossés linguistiques et s’interroge sur la possibilité même des « passages linguistiques » aussi bien dans le domaine de la traduction, que dans le processus d’apprentissage des langues étrangères. Il s’interroge aussi sur la capacité même pour un individu d’être bilingue.

Boufflers traite de la place de l’enseignement/apprentissage des langues étrangères et spécifiquement du français dans un pays où les habitants n’ont que très peu de chance de pratiquer la langue acquise. C’est le cas de la Corée du Nord où les langues étrangères sont enseignées de manière plutôt efficace en dépit de méthodes d’apprentissages basées sur la mémorisation et la répétition.
Les contributions de ce numéro abordent donc la question des décalages entre L1 et L2 sous des angles variés et apportent une réflexion méthodologique pour répondre aux erreurs émanant de ces décalages.