Enseignement/apprentissage du français en RPDC : l’excellence est-elle possible ?
Abstract
North Korea (officially DPRK) is a State founded on the Juche ideology, a doctrine that advocates self-sufficiency. This regime founded 70 years ago by KIS, to whom succeeded by his son KJI and his grandson KJU, is the only communist dynasty in the world.
It is therefore not surprising that, in a country where excellence is established as a general objective (urban planning, sports, nuclear science, etc.), academic excellence in the field of foreign languages has sui generis characteristics.
What does University offer in this area ? Students follow a nine-semester course with a weekly volume of approximately 25 hours. The quantitative conditions seem to be acceptable, but what about the qualitative aspects ?
In DPRK, there is no free media and no access to the global internet. Foreign travel is rare and is always organized under the control of the regime. The same applies to contacts with foreigners, which are limited or even prohibited.
Under these conditions, what freedom of teaching do teachers have and what teaching/learning methods can they use ?
Language teaching in DPRK, as in many Asian countries, is based on imitation and repetition : everything and anything can be memorized provided it is in the target language. It’s a theoretical and mechanical learning.
But while this psittacism, an efficient indoctrination tool, works in some areas, cultural closure, on the other hand, limits the learning of languages and the goal of excellence that teachers set themselves.
But it doesn’t matter, because what matters is ideological obedience. Merit is understood only in this context and individual competencies do not count. Talent, if it is not scientific or able to bring glory to the regime, is useless.
This limitation of the teaching of the humanities is only the translation of the regime’s lack of humanity.
1. Le contexte politique
1.1. Une monarchie stalinienne
La Corée du Nord (officiellement République Populaire Démocratique de Corée) est
Un État avec un « Front uni » dirigé par le Parti du travail de Corée (Workers’ Party of Korea). L’idéologie officielle du pays est le Juche, doctrine basée sur l’autosuffisance développée par Kim Il-sung, fondateur du régime. […] [Kim Il-sung], mort en 1994, a eu pour successeur son fils Kim Jong-il, auquel a succédé en 2011 son fils cadet Kim Jong-un, ce qui fait du régime nord-coréen la seule dynastie communiste de l’Histoire. Kim Il-sung – proclamé après sa mort « président éternel » – et ses deux successeurs font l’objet d’un culte de la personnalité (Wikipedia).
Cette monarchie stalinienne, qui fonctionne depuis 70 ans, a « l’un des plus bas niveaux de droits de l’Homme au monde » (Wikipédia). Elle est surtout un pays fermé, qui a érigé l’autarcie en principe de survie et en règle stratégique.
1.2. Sa traduction au quotidien
Le pays est dans son ensemble soumis à un contrôle permanent et général. Les déplacements à l’intérieur du pays et à l’extérieur sont soumis à des demandes d’accord préalables. De même, les étrangers en visite ou résidant dans le pays n’ont pas la possibilité de se déplacer librement. Ceci ne favorise évidemment pas les échanges culturels ou linguistiques.
2. L’éducation en RPDC
2.1. L’Université
Les universités se trouvent principalement à Pyongyang, tout du moins, celles qui comptent. L’éducation semble être une question d’importance pour le régime même si bien sûr, comme le reste, elle suit des règles arbitraires et parfois difficiles à comprendre pour un étranger.
Figure 1 - Étudiants nord-coréens à un carrefour de Pyongyang
Les étudiants ne choisissent pas leur filière ; l’orientation se fait en fonction du statut et de la profession des parents. Un fils d’enseignant ou de diplomate ne peut pas suivre la voie paternelle, car elle pourrait mener à la création d’une dynastie ou en tout cas d’une classe bourgeoise qui s’auto-produirait.
Néanmoins, les étudiants suivent un cursus d’enseignement supérieur s’étalant sur neuf semestres avec un volume horaire hebdomadaire d’environ 25 heures. Les conditions quantitatives semblent acceptables, mais quid des aspects qualitatifs ?
2.2 L’enseignement des langues
En RPDC, l’enseignement des langues repose, comme dans de nombreux pays asiatiques, sur l’imitation et la répétition de tout et n’importe quoi pourvu que ce soit dans la langue cible. C’est un apprentissage théorique et mécanique. On apprend par cœur, par exemple, les chiffres de production pétrolière mondiale des années 1970 ou généralement les Mémoires de Kim Il Sung traduites dans la langue cible.
L’enseignement/apprentissage des langues en RPDC s’effectue totalement in vitro mais dans un in vitro bien particulier sans aucun objectif communicationnel. En Corée du nord, ni jeux de rôles, ni jeux d’imitation. Les apprenants et les contenus d’apprentissage sont délibérément déconnectés de tout contexte social ou culturel dans une situation d’apprentissage unique au monde.
3. LA METHODOLOGIE DU FRANCAIS ET SES LIMITES
3.1. Un psittacisme
L’enseignement du français ne diffère pas de l’enseignement des autres langues. Le coréen enseigné aux étrangers s’appuie sur la même méthode : cours tous les matins avec un cours de grammaire et un cours dit de conversation, où en réalité on étudie les textes du Leader ou les mémoires du père ou du grand-père. Tout contenu passe par le prisme idéologique et l’on en vient à s’interroger sur les contenus eux-mêmes qui deviennent des quasi-prétextes à la diffusion des idées du régime. Ces mêmes étudiants étrangers, venus apprendre la langue du pays, se retrouvent à devoir apprendre deux chants révolutionnaires par semestre. L’idéologie prime sur les contenus d’enseignement qui n’échappent pas à ce cadre qu’elles que soient les intentions pédagogiques de départ.
Mais dans un contexte si volontairement hermétique, peut-on réellement apprendre une langue étrangère ?
Il est, en effet, difficile de dissocier les dimensions sociologique et culturelle des aspects linguistiques ; « l’usager et l’apprenant d’une langue (sont) des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier » (Conseil de l’Europe, 2001).
En Corée du nord, il n’est pas question de compétences de communication, de découverte culturelle ni de considérations « humanistes ». Et c’est là que le pays atteint un de ses nombreux paradoxes. L’enseignement/apprentissage des langues, comme les autres enseignements doit atteindre à l’excellence, mais ce qui fonctionne pour les sciences, le sport ou les arts ne peut pas réussir pour des langues.
3.2. Pas d’humanités sans humanité
Par conséquent, si ce psittacisme, outil d’endoctrinement efficace, fonctionne dans certains domaines, la fermeture culturelle, en revanche, limite l’apprentissage des langues et l’objectif d’excellence que se fixent les enseignants.
Mais peu importe, car ce qui compte, c’est l’obéissance idéologique. Le mérite ne s’entend que dans ce cadre et les compétences individuelles ne comptent pas. Le talent, s’il n’est pas scientifique ou à même d’apporter gloire au régime est inutile.
Cette limite de l’enseignement des sciences humaines n’est-elle pas que la traduction du manque d’humanité du régime ?
4. En quoi la situation nord-coréenne nous intéresse-t-elle ?
4.1. D’un point de vue pédago-didactique
Apprendre par cœur ou traduire littéralement ne sont pas des méthodes qui nous sont étrangères. Elles nous ramènent aux années 60 voire 70 parfois, et, surtout à l’apprentissage des langues dites mortes (grec et latin). Ces méthodes d’enseignement ont longtemps constitué le modèle pour l’apprentissage des langues vivantes en Europe ; il ne s’agit évidemment pas de revenir sur ce point, mais de tirer de ces méthodes anciennes et de l’exemple nord-coréen quelques leçons. La première étant : « ça ne marche pas » ! En effet, ce qui fonctionnait pour les langues mortes ou pour les maths en RPDC ne peut pas s’appliquer à l’enseignement des langues vivantes aujourd’hui. Nous avons en effet, de nos jours, des objectifs d’apprentissage ambitieux qui ont dépassé le notionnel et même le communicationnel. Pour les atteindre, il nous faudra trouver des méthodes tout aussi ambitieuses et renoncer au confort de l’apprentissage systématique.
4.2. D’un point de vue politique
On entendra le mot « politique » dans son acception la plus large et notamment appliquée aux politiques linguistiques ou éducatives.
En effet, si les positions des enseignants et des universités nord-coréennes sont le reflet de celles du régime, elles nous amènent néanmoins à nous interroger sur nos propres opinions en matière d’enseignement des langues. Le plurilinguisme si savamment promu par l’Europe ne semble pas toujours mis en œuvre concrètement au niveau national. Ainsi, la non-reconnaissance des langues minoritaires et régionales dans certains États membres en est un bon exemple. C’est ainsi que l’on réalise que l’on est souvent dans des situations d’apprentissage bilingue avec, le plus souvent, comme seconde langue l’anglais. Il ne s’agit pas de mener une guerre déjà perdue, mais de promouvoir au maximum toutes les langues européennes pour assurer à nos élèves la plus grande diversité linguistique et culturelle possible.