Les examens de langues auxquels nous préparons nos élèves évaluent souvent « autre chose »
Ce slam s’adresse surtout à mes collègues, enseignants des langues.
Vous savez ce qu’est la docimologie ? Δοκιμή ?... Épreuve ! Λόγος ?.... Science ! Oui, c’est en quelque sorte la science… des examens.
C’est principalement dans le cadre de la docimologie que se situent les recherches que j’entreprends cette année dans le cadre de mon mémoire de master, à l’université Aristote de Thessalonique... Waouh !
Aujourd’hui, j’aimerais simplement vous montrer à quel point les examens de langues proposés à nos élèves sont mal conçus… même les examens plus modernes, mêmes les tests de niveau en ligne !
Prenons un exemple. Considérons cette activité d’évaluation classique :
Cette activité figure dans une épreuve d’examen dont l’intitulé est « mise en exercice du système de la langue ». Que mesure, selon vous, cette activité d’évaluation ? L’emploi des pronoms relatifs ?... Hahaha ! Quelques remarques s’imposent.
Partons de la consigne : « Complétez ces phrases… par le pronom relatif qui convient », pourquoi y intégrer ce métalangage ? … quand on sait qu’un francophone natif communique fort bien … sans pourtant nécessairement savoir qu’il utilise des « pronoms »,… des pronoms « relatifs », de surcroît ?
Et puis, pourquoi proposer une liste fermée de pronoms ? Est-ce bien ainsi que nous construisons nos phrases au moment de communiquer ?
Vous imaginez la scène ? Un jeune Grec s’adressant en français à son ami :
« C’est ce restaurant… (stop ! …bouton pause : je vais placer un pronom relatif … voyons … ah ? tiens ! un Deus ex machina me propose justement une liste avec trois pronoms ?... lequel vais-je choisir ?...)
Mais ce n’est pas tout. Mesure-t-on vraiment la capacité à choisir le bon pronom relatif ? Est-ce qu’on ne mesure pas plutôt la connaissance de constructions syntaxiques ? la syntaxe des verbes constituant chacun des énoncés ?
Je t’ai parlé « de quelque chose » ? J’emploierai « dont » !
Je connais quelque chose ? Je choisirai « que » !
Je mange quelque part ? J’utiliserai « où » !
Vous l’avez compris, la compétence de mise en œuvre, de mise en exercice du système de la langue ne peut pas être facilement évaluée : les mesures réalisées par ces activités d’évaluation sont souvent peu valides.
Peu valides ? Oui, parce que quand on communique, on ne choisit pas ses mots dans des paradigmes tout prêts, surgis d’on ne sait où. Et ces paradigmes ne sont certainement pas une liste de mots d’une même nature grammaticale. À preuve, le fait que l’énoncé 5, par exemple, comportait un « que », qui n’était pas un pronom relatif. Cet écart a d’ailleurs échappé aux rédacteurs de l’examen, eux-mêmes !
Peu valides ? Oui oui ! Savez-vous quelles stratégies utilisent la plupart des candidats aux examens pour choisir entre ces maudits pronoms personnels ? Prenons l’énoncé No 1. Leur prof leur a dit : « si tu dois choisir entre des pronoms relatifs et si un verbe suit directement la lacune à combler, tu inscris QUI ». Plus besoin donc, de comprendre le sens ou la syntaxe de la phrase.
Ici, on a demandé aux examinés de sélectionner dans une liste préconstituée de mots, celui qui convient au contexte syntaxique donné. Ces mêmes examinés pourront-ils faire la médiation des phrases suivantes, fournies dans leur langue première ? L’examiné se demandera en grec : « Zut ! Comment je vais traduire ce damné που ? ». Vous l’avez compris, la situation de communication est ici bien plus réaliste, naturelle, probable.
Au plan didactique d’abord : pour chaque énoncé, il est demandé à l’évalué de fournir les équivalents en français (qui, que, dont, où, etc.) d’un mot courant qui aurait pu toujours rester le même dans l’usage grec (που).
Au plan cognitif ensuite : pour l’évalué, il n’est plus question de choisir, dans une présélection de mots, celui qui convient au contexte syntaxique, mais bien de sélectionner dans son propre bagage linguistique, une façon – il peut y en avoir plusieurs ! – de réaliser en français la médiation d’un message précis, proposé dans sa langue première.
Puisse ce slam avoir inspiré mes collègues enseignants dans leurs pratiques évaluatives. Puisse ce slam donner aux collègues quelques nouveaux critères de qualité à considérer au moment de choisir les examens auxquels ils prépareront leurs élèves.
Merci à tous !