Innover en didactique du français et des langues ?
La création de « nouveautés » est affaire de perception : ainsi si l’on crée de nouveaux programmes, ils ne sont pas nécessairement innovants. L’innovation implique des formes de ruptures avec l’existant, qui s’en trouve remodelé de manière définitive et dont certains éléments disparaissent.
Or, en didactique des langues (DDL), et en particulier en didactique du français enseigné comme langue seconde ou étrangère, la tendance de longue durée est que : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » (Lavoisier). Si on laisse de côté la transformation dans cet aphorisme célèbre, ce que l’on peut constater en DDL est la permanence et la stratification : celles de la grammaire et de la forme des exercices grammaticaux (Besse) que les acquis des recherches en acquisition n’ont pas déplacées, celle de la méthodologie ordinaire (Beacco) qui n’a pas disparu avec l’approche communicative, celle de l’organisation des séquences d’enseignement autour de thèmes, champs lexicaux, points de grammaire… Les nouveautés s’accumulent et ne produisent pas de dynamiques novatrices.
Cette dynamique conservatrice est occultée par la « création » de nouveautés et des effets de mode (Martinez) non innovants : celle des manuels de FLE produits ponctuellement chaque année ou celle de l’approche actionnelle, soit disant issue du CECR, déjà présente dans la réflexion didactique depuis les années 1975, visiblement issue des méthodes actives (Freinet) et de la pédagogie de projet. La DDL thésaurise et n’est pas sujette à effets cumulatifs.
Outre ces altérations de surface, il convient cependant de relever que les dynamiques de la DDL viennent essentiellement des évolutions sociétales. Car la DDL n’est plus influencée de l’intérieur, par les évolutions des sciences du langage (par exemple), comme au temps du structuralisme. Les recherches sur la phonétique et l’intonation, le lexique (Rolland), l’analyse de discours et les genres de textes (Moirand, Beacco), l’acquisition des langues (Véronique) n’ont que de faibles effets sur les pratiques et les programmes.
Ce qui peut faire bouger les lignes est la nécessité d’adapter l’éducation aux sociétés d’aujourd’hui (UNESCO, Bolton) et de ne plus se limiter au dispositif enseignant-groupe classe. Et cela est rendu possible par les technologies de la communication, en développement exponentiel. C’est aussi la nécessité pour l’éducation de prendre en charge la diversité linguistique croissante des sociétés européennes, de rendre l’éducation interculturelle plus proche des urgences éducatives qui commandent de lui faire aborder plus nettement les problématiques des appartenances nationales (et non culturelles) et religieuses, en ce temps de fanatisme à nouveau à l’œuvre dans son programme de destruction. L’innovation est nécessaire pour que la langue de l’Ecole ne soit plus un obstacle à l’acquisition des connaissances dans le cadre des matières scolaires, pour que l’acquisition d’une nouvelle langue soit un facteur accompagnant les personnes migrantes et les réfugiés dans leur installation dans une autre société.
Et si les innovations rendues nécessaires par ces urgences sociétales peuvent toujours s’élaborer dans des interactions responsables entre didacticiens (c’est-à-dire ne répondant pas uniquement à la recherche de légitimité et de pouvoir académique, qui produit souvent de la nouveauté éphémère), il importe aussi d’identifier, de valider et de valoriser le « bricolage expert », souvent innovant, que les enseignants sont susceptibles de mettre en œuvre au jour le jour.