L’argumentation écrite, les TICE à la rescousse ?
Sylvaine GAUTIER, University of Cyprus, Chypre
Résumé
La rédaction d’une argumentation élaborée, enseignement typique des cours de Français sur objectifs universitaires, constitue une tâche complexe, d’autant plus lorsque les apprenants ne pratiquent pas ce type de discours académique dans leur langue maternelle, du moins tel que l’entend la tradition française. Au vu des difficultés spécifiques rencontrées par les apprenants de FLE/FOU, nous avons mis en place une approche pédagogique alliant divers courants méthodologiques : pédagogie inversée, enseignement explicite, approche collaborative, pédagogie différenciée, évaluation par les pairs et autocorrection basée sur un feedback régulier de l’enseignante. Nous avons également opté pour certains outils numériques : Powtoon, Google Drive, Bonpatron, screencast-o-matic, Pearltrees, et Blackboard.
Dans cet article, nous nous interrogerons sur les gains que retirent les apprenants de l’utilisation des TICE et nous verrons quels outils numériques ils perçoivent comme particulièrement facilitants.
Argumentation écrite - Classe inversée - Français sur objectifs universitaires (FOU) - Innovation - Rétroaction - TICe
Abstract
The writing of a coherent persuasive essay, typically taught in courses of French for academic purposes, is a complex task. This is especially true for learners who do not practice this type of academic discourse in their mother tongue, at least as understood in the French tradition. In view of the specific difficulties encountered by learners of French as a foreign language and French for academic purposes, we have implemented a pedagogical approach combining various methodological trends : flipped classroom, explicit teaching, collaborative approach, differentiated pedagogy, peer evaluation and self-correction, based on regular feedback from the teacher. We also opted for some digital tools : Powtoon, Google Drive, Bonpatron, screencast-o-matic, Pearltrees, and Blackboard.
This paper examines what learners gain from the use of ICT and which digital tools they perceive as being particularly facilitating.
Feedback - Flipped classroom - French for academic purposes - ICT - Innovation - Persuasive essay
Introduction
L’école et l’université visent à former des citoyens conscients et agissants. Dans cette perspective, l’apprentissage/enseignement de l’argumentation, écrite et orale, semble pertinent : l’apprenant, locuteur-acteur tel que défini par le CECRL, apprend à déconstruire les discours argumentatifs qui l’entourent - et donc à rester vigilant - mais également à convaincre et persuader son/ses interlocuteur(s) - et donc à agir sur son environnement.
Or, la rédaction d’une argumentation élaborée, telle que définie par Caroline Masseron (1997, p. 36), enseignement typique des cours de Français sur objectifs universitaires, constitue une tâche complexe qui sous-tend la mobilisation de « ressources internes (culture, capacités, connaissances, vécu...) et externes (aides méthodologiques, protocoles, fiches techniques, ressources documentaires…) » (Eduscol, 2010, p. 1).
La rédaction d’une argumentation requiert notamment la mobilisation de nombreuses ressources cognitives et méthodologiques telles que :
– la méthodologie de recherche d’informations, la sélection et la hiérarchisation des sources et/ou la mobilisation des connaissances sur un sujet donné ;
– la capacité à analyser un sujet et à formuler une problématique ;
– la capacité à trouver des arguments pertinents, à les hiérarchiser, les regrouper, les organiser en un plan cohérent et pertinent, et à les illustrer d’exemples ;
– la capacité à rédiger des paragraphes cohérents, en tenant compte des contraintes de rédaction du paragraphe, en respectant les règles de cohésion de texte, et en utilisant des techniques de persuasion adéquates ;
– la capacité à rédiger dans un niveau de langue démontrant un bon contrôle morphosyntaxique et lexical.
Rédiger une argumentation dans sa langue maternelle est complexe. Dans le système éducatif français, l’apprentissage de cette combinaison de compétences s’effectue tout au long du secondaire où les élèves apprennent progressivement à développer les compétences nécessaires à la rédaction de textes argumentatifs et dissertations. Le degré de difficulté s’accentue quand il s’agit de rédiger une argumentation dans une langue étrangère/seconde, d’autant plus si les apprenants ne peuvent transférer leurs compétences de la langue maternelle vers la langue cible, ce qui est souvent le cas, puisque les exigences méthodologiques de rédaction en langue maternelle ne coïncident pas forcément avec celles l’argumentation écrite en France. L’approche pédagogique en FOU doit donc se différencier de celle généralement pratiquée en langue maternelle.
Face aux difficultés des étudiants, et suite à des tentatives régulières de réajustement, nous nous sommes interrogée sur la méthodologie à mettre en place, sur une possible remédiation visant à permettre au maximum d’étudiants d’atteindre les objectifs d’apprentissage fixés, la remédiation étant « un dispositif plus ou moins formel qui consiste à fournir à l’apprenant de nouvelles activités d’apprentissage pour lui permettre de combler les lacunes diagnostiquées lors d’une évaluation formative » (Raynal et Rieunier, 1998). C’est ainsi que notre pratique pédagogique, alliant divers courants méthodologiques, a peu à peu évolué vers une exploitation d’outils numériques qui nous semblaient pertinents. Dans cet article, nous nous interrogerons sur les gains que retirent les apprenants de l’utilisation des TICE et nous verrons quels outils numériques ils perçoivent comme particulièrement facilitants.
Après avoir formulé le cadre théorique de l’expérimentation menée, nous en présenterons le contexte, ainsi que la méthodologie suivie. Nous résumerons ensuite les résultats de l’enquête post-expérimentation menée auprès des étudiants et tenterons d’interpréter les représentations des apprenants concernant l’efficacité des outils numériques utilisés.
1. Quels choix didactiques et pédagogiques ?
1.1. La classe inversée
Nous avons opté pour une approche pédagogique s’inspirant de divers courants méthodologiques.
L’élaboration d’un plan et la rédaction s’avérant, comme l’expérience nous l’a montré, être une tâche très complexe pour nos apprenants FLE, nous avons décidé de mieux encadrer en classe les sous-tâches les plus difficiles, selon le modèle de la pyramide de Bloom inversée, adapté de B. Williams (Fig. 1). Le cadre général de notre expérimentation suivait donc les préceptes de la pédagogie inversée : les sous-tâches les plus simples étant réalisées à la maison, les plus complexes en classe. Tout comme Marcel Lebrun, nous considérons que « la classe inversée est particulièrement efficace pour le développement des acquis d’apprentissage qui mobilisent les opérations cognitives complexes (appliquer, analyser, évaluer, créer…), ainsi que pour les acquis d’apprentissage impliquant les compétences transversales » (2017, p. 19).
Figure 1 – La Pyramide de Bloom inversée (Oddou, 2017)
1.2. La pédagogie explicite
Selon notre expérience, une des difficultés des apprenants est que, n’étant pas initiés auparavant aux exigences de cet exercice très français qu’est l’argumentation, ils ne peuvent pas atteindre les objectifs fixés parce qu’ils ne les connaissent pas, et donc ne les comprennent pas. Progressivement, afin de remédier à cet état de fait, notre expérience nous a donc incités à développer une pédagogie plus explicite, une stratégie d’enseignement favorisant une conscientisation des objectifs et des moyens, structurée en étapes séquencées - le découpage d’une tâche complexe en sous-tâches évitant une surcharge cognitive qui fait obstacle à un vrai apprentissage.
Plusieurs modèles d’enseignement explicite ont été développés, particulièrement concernant la pédagogie en école primaire. Nous avons retenu l’approche de Steve Bissonnette, Clermont Gauthier et Mario Richard (2007, p. 107-116) qu’ils définissent en 3 étapes :
- La mise en situation (l’explicitation du pourquoi) : c’est la présentation des objectifs d’apprentissage et l’activation, la vérification et, au besoin, l’enseignement des prérequis.
- L’expérience d’apprentissage (l’explicitation du comment) qui se compose :
– du modelage où l’enseignant explique le quoi, pourquoi, comment, quand et où de la manière la plus claire et explicite possible ;
– de la pratique guidée où les élèves réalisent des tâches guidées et répétitives avec questionnements fréquents et rétroactions régulières ;
– et de la pratique autonome qui est le prolongement de la pratique permettant un niveau de maîtrise élevé des connaissances et leur automatisation. - L’objectivation qui est l’identification formelle des concepts, connaissances, stratégies ou attitudes essentiels, étape qui permet la mémorisation à long terme.
Selon Barak Rosenshine, « père » de la pédagogie explicite, l’enseignant efficace commence par définir brièvement les objectifs et par rappeler les apprentissages antérieurs ou les prérequis. Il présente la nouvelle notion par petites étapes, chacune étant suivie d’exercices. Il donne des consignes, des explications et des exemples explicites et détaillés, pose beaucoup de questions, vérifie la compréhension des élèves. Il guide les élèves, fournit des feedbacks systématiques pour les exercices que l’élève doit accomplir seul et, le cas échéant, le pilote durant ce travail. (Rosenshine, 2010)
1.3. Une approche constructiviste et socio-contructiviste
L’enseignement explicite est donc un enseignement de type « instructionniste » : il est centré sur l’enseignement. Nous ne considérons cependant pas qu’il s’oppose nécessairement aux enseignements centrés sur l’apprenant et basés sur une pédagogie de la découverte. Nous estimons au contraire que des approches pédagogiques différentes peuvent être complémentaires, à condition, bien sûr que les choix didactiques et pédagogiques de l’enseignant soient réfléchis, cohérents et réellement facilitateurs pour les apprenants.
Nous nous sommes en effet également inspirée du courant constructiviste. Celui-ci préconise une approche permettant à l’apprenant de restructurer constamment ses connaissances et d’améliorer ses compétences en intégrant de nouvelles informations à celles qu’il a déjà mémorisées et assimilées pour construire son propre savoir. Dans cette perspective, nous avons opté pour une pédagogie différenciée, chaque apprenant progressant à son rythme et recevant un feedback personnalisé régulier de l’enseignante, lui permettant de s’autocorriger, de conscientiser ses difficultés et ses erreurs et de reconstruire en permanence ses savoirs, savoir-faire et objectifs.
Les apprenants ont également travaillé en tandem comme le recommande l’approche socio-constructiviste qui met l’accent sur l’importance des relations sociales dans le processus d’apprentissage. Les interactions avec les pairs et avec l’enseignant permettent à l’apprenant de restructurer ses perceptions et d’accélérer le processus de changements conceptuels, favorisant l’atteinte d’un niveau de développement potentiel. Dans cette perspective, l’utilisation de l’outil Google Drive a permis une approche collaborative en présentiel et à distance (synchrone et asynchrone) et une évaluation par les pairs, pour, nous l’espérions, un apprentissage plus efficace comme le prône le socio-constructivisme.
Ces divers courants méthodologiques nous ont semblé pertinents et complémentaires, plutôt que contradictoires.
2. L’expérimentation
2.1. Contexte de l’expérimentation
L’expérimentation a eu lieu à l’université de Chypre, dans le cadre d’un cours de français sur objectifs universitaires durant 30 heures. Ce cours, dispensé auprès des étudiants d’études françaises et européennes, visait à familiariser les apprenants avec la pratique, très française, de l’argumentation écrite, compétence que les élèves sont appelés à transférer et développer/adapter quand nécessaire dans d’autres cours. La classe regroupait 12 élèves de niveaux généralement B1 ou B2.
2.2. Les étapes de mise en situation et de modelage
Dans un premier temps, lors de la mise en situation selon le modèle de Bissonnette présenté précédemment, nous avons insisté sur l’intérêt d’un tel apprentissage : en quoi la maîtrise des règles du discours argumentatif allait-elle aider les apprenants à l’université, et dans la vie plus généralement, au travail, mais aussi dans les relations sociales ?
C’est une étape essentielle, car les apprenants tendent à penser que ce type de cours de méthodologie est très scolaire/universitaire et ils ne réalisent pas à quel point les diverses compétences acquises sont transférables dans de nombreuses situations de la vie courante et professionnelle.
Après avoir réfléchi au « pourquoi apprendre à rédiger une argumentation ? », nous nous sommes donc penchée sur « qu’est-ce qu’une argumentation ? Et comment faire ? ». Notons que la thématique de la première argumentation traitée en classe portait sur le bizutage à la rentrée des classes, les apprenants avaient auparavant été informés sur cette pratique ainsi que sur la controverse qui l’entoure par des activités de compréhension écrite et orale, et des discussions en classe.
Les élèves ont été dès le début initiés à la méthodologie de l’argumentation, par le biais d’une capsule vidéo sur la méthodologie de rédaction de l’argumentation, vidéo réalisée en amont (capsule vidéo « Construire un plan d’argumentation » , http://urlz.fr/6rRn). Comme le veut la classe inversée, les apprenants ont effectué à la maison une activité simple de compréhension orale de cette capsule vidéo.
Figure 2 – Extrait de la fiche d’activités 1 (Eid, Liria, Oddou, à paraître)
Nous avons ensuite vérifié la bonne compréhension de la vidéo en corrigeant en classe l’activité faite à la maison. Nous avons remédié quand nécessaire et approfondi certains points. Nous voyons ici (Fig. 2) les premières questions de l’activité 1, réalisée à la maison. Cette activité simple, qui correspond au deuxième niveau de difficulté dans la pyramide de Bloom, vise la prise de conscience de ce qu’est une argumentation écrite : comment est structuré le plan global, comment s’organise le plan détaillé du développement, et quelle est la différence entre argument et exemple.
Les corrections de cette activité comme des suivantes permettent une évaluation immédiate et constituent également une évaluation formative puisqu’on peut situer la progression des apprenants et leur venir en aide en adaptant le niveau de difficulté des questions, ce qui constitue donc une évaluation formatrice.
Puis, les apprenants ont fait des activités les guidant vers une prise de conscience des contraintes de la structure du plan d’argumentation et de rédaction du paragraphe, activités plus complexes nécessitant une mobilisation de leurs nouvelles connaissances, activité correspondant au troisième niveau de difficulté dans la pyramide de Bloom (Fig. 3).
Figure 3 – Extrait de la fiche d’activités 2 (Eid, Liria, Oddou, à paraître)
Ensuite, conformément au courant de l’enseignement explicite, nous avons étudié un exemple d’argumentation rédigée. Sachant par expérience que la majorité des élèves grécophones ne connaissent pas les spécificités de l’argumentation écrite française, nous avons décidé de leur présenter un exemple d’argumentation rédigée, argumentation que nous avons observée, lue et déconstruite en classe pour en saisir l’organisation. Il s’agissait ici de comprendre ce qu’est une argumentation, c’est-à-dire, pour les apprenants de comprendre quel est l’objectif à atteindre. Ensuite, au travers d’activités progressives, ils ont découvert la méthodologie à appliquer, c’est-à-dire comment atteindre l’objectif fixé. C’est la phase décrite par Bissonnette comme étape du modelage.
Les apprenants ont ensuite vérifié de quelle manière la méthodologie proposée est appliquée en observant et lisant une argumentation entièrement rédigée sur le sujet, puis en en repérant la structure. La méthodologie, à laquelle il avaient été initiés grâce à la capsule vidéo, leur a été rappelée dans une fiche méthodologique de l’argumentation (https://urlz.fr/8dna). Comme le préconise l’enseignement explicite, nous avons donné aux apprenants un exemple concret afin qu’ils comprennent bien l’objectif à atteindre.
Figure 4 – Extrait de la fiche méthodologique de l’argumentation
Des activités progressives permettent de décomposer l’argumentation rédigée et d’en comprendre l’organisation. L’extrait ci-dessous (Fig. 5), concerne par exemple les différents éléments composant le paragraphe. On propose ici aux apprenants d’appliquer une couleur pour chaque composante du paragraphe. Le code couleurs sera maintenu pour toutes les prochaines activités sur l’argumentation et permettra aux apprenants de n’oublier aucun élément du paragraphe quand ils rédigeront. Tous les travaux étant réalisé sur Google Drive, l’application du code couleurs est aisée.
Figure 5 – Extrait de la fiche d’activités 3 (Eid, Liria, Oddou, à paraître)
Si l’on s’inspire des termes de référence de la pyramide de Bloom révisée par Anderson en 1991, en deux ou trois séances, les apprenants ont été capables :
- de reconnaître et
- de comprendre la structure globale, le plan du corps principal, les composantes des paragraphes, les connecteurs logiques ;
- d’appliquer et de mobiliser leurs nouvelles connaissances ;
- d’analyser pour identifier les composantes de l’argumentation ;
- et d’évaluer une argumentation rédigée.
Cette première étape, de mise en situation et de modelage, où l’enseignant explique le quoi, pourquoi, comment, quand et où de la manière la plus claire et explicite possible, a pour but de faciliter la phase d’apprentissage, et de permettre une conscientisation et une objectivation, c’est-à-dire une identification formelle des concepts, des connaissances, et des stratégies.
2.3 De la pratique guidée à la pratique autonome
Restait la dernière étape, la plus complexe de la pyramide de Bloom inversée : la création, c’est-à-dire la composition d’un plan d’argumentation et la rédaction de celle-ci. S’agissant d’une tâche complexe, nous avons autant que ce peut 1) décomposé en sous-tâches, 2) détaillées dans des consignes précises, 3) et apporté des rétroactions régulières (de la part des pairs comme de l’enseignante).
Tout au long du semestre, les apprenants ont ensuite réalisé de manière répétée des tâches guidées, des activités progressives (de l’élaboration du plan détaillé à la rédaction des paragraphes), facilités par des remédiations individuelles ou avec le groupe-classe si besoin. Les apprenants travaillaient généralement avec un pair, soit en collaboration (autour de la même activité, par exemple en co-rédigeant un plan), soit en coopération (partageant les tâches, par exemple rédigeant chacun un paragraphe de leur plan commun, et évaluant ensuite chacun le travail de l’autre). Ils bénéficiaient ainsi de feedbacks très réguliers, soit de leur coéquipier, soit de la classe (en partageant le lien vers leur fichier Google Docs ou en projetant leur travail sur l’écran), soit de la part de l’enseignante. Cette pratique très guidée au départ visait une prise en main progressive de la méthodologie ainsi qu’une lente autonomisation et enfin à une objectivation comme le prône l’enseignement explicite.
La maîtrise progressive des compétences requises a été, nous semble-t-il, grandement facilitée par un usage réfléchi des TICE.
2.4. Les outils numériques utilisés
Les TICE doivent rester au service de l’apprentissage visé. Ce n’est ni la quantité d’outils numériques utilisés, ni la fréquence de l’utilisation qui importe, mais bien plus la pertinence de leur usage en fonction principalement des objectifs d’enseignement, mais également du niveau d’intégration des TICE dans le contexte d’apprentissage/enseignement et des habitudes d’usage des apprenants.
Le cours était enseigné en salle équipée d’ordinateurs. Le travail à la maison était fait sur ordinateurs en ligne. Dans le cadre de notre expérimentation, nous avons opté pour les outils numériques suivants :
– la plateforme éducative www.blackboard.com/ pour la gestion du cours ;
– http://www.pearltrees.com/ pour le partage des ressources en ligne ;
– Google Drive pour la collaboration et l’évaluation ;
– www.powtoon.com/ pour l’élaboration d’une capsule vidéo ;
– l’enregistreur vidéo d’écran www.screencast-o-matic.com/ pour le feedback ;
– les outils d’autocorrection de Word et www.bonpatron.com .
Blackboard
La plateforme pédagogique Blackboard permet de centraliser l’information, de faciliter la communication entre l’enseignante et le groupe-classe et de gérer les travaux évalués (rétroaction individualisée et publication des notes). La page d’accueil du cours (Fig. 6) centralise les liens vers les autres pages utilisées dans ce cours. Les étudiants y ont notamment un accès direct aux dossiers du cours Google Drive et à la collection Pearltrees du cours. Ils postent leurs travaux évalués et notés par l’enseignante dans le dossier « Travaux » de Blackboard (Fig. 7).
Figure 6 – Page d’accueil de la plateforme Blackboard
Figure 7 – Exemples de consignes dans le dossier « Travaux » de Blackboard
Pearltrees
Pearltrees permet de collecter, mémoriser, classer et partager des liens vers des pages Web. Ces marques-pages sont regroupés en collections et organisés en arborescence. On peut ainsi partager très aisément avec les apprenants des ressources en lignes pertinentes pour l’objet d’apprentissage, notamment des documents audiovisuels (dont le contenu ne peut être imprimé et distribuer aux apprenants en format papier). À titre d’exemple, le dossier ci-dessous (Fig. 8) rassemble des documents en lignes pouvant initier les apprenants à l’art du raisonnement et de la persuasion, documents que nous avons utilisés en cours et auxquels ils avaient un accès direct via Pearltrees.
Figure 8 – Dossier dans Pearltrees rassemblant des ressources en ligne sur l’art de la persuasion
Google Drive
De la page d’accueil de Blackboard, on a également accès au dossier Google Drive de notre cours. Dans le sous-dossier du Google Drive présenté ci-dessous (Fig. 9) sont classés tous les dossiers et fichiers de travail sur l’argumentation écrite. La grande majorité du travail s’est effectué dans Google Drive.
Les apprenants ont généralement travaillé en tandem sur un même fichier Google Docs, pour certaines sous-tâches en collaboration (travaillant sur une même tâche), pour d’autres en coopération (se partageant les sous-tâches). L’enseignante avait également accès aux fichiers en mode éditeur, de même que parfois la classe pour des corrections collectives ou des corrections par les pairs.
Au cours du semestre, les apprenants ont rédigé quatre argumentations écrites et présenté un plaidoyer oral.
Comme déjà mentionné, la pratique était au départ très guidée, chacune des tâches étant décomposée en sous-tâches, avec pour les premières argumentations de très nombreuses remédiations. Nous avons tenté d’évoluer au cours du semestre vers une autonomisation progressive des apprenants, qui répétant l’exercice plusieurs fois et ayant accès à tous les documents en ligne, pouvaient peu à peu passer à la sous-tâche suivante sans y avoir été invités par l’enseignante.
Figure 9 – Dossier de travail collaboratif dans Google Drive
Powtoon
C’est avec l’outil www.powtoon.com/, que nous avons réalisé la capsule vidéo d’introduction du cours (« Construire un plan d’argumentation », http://urlz.fr/6rRn) dans laquelle sont posées les bases théoriques de la méthodologie de l’argumentation. La réalisation de la capsule est très chronophage, mais une capsule bien réalisée peut être réutilisée, et elle constitue une ressource en ligne accessible et généralement attirante pour les apprenants.
Évaluation : quels outils numériques pour l’autocorrection et la rétroaction ?
Les écrits étaient systématiquement commentés et/ou corrigés en vue d’une autocorrection et d’une réécriture, pour les plans comme pour l’argumentation écrite. En général, les apprenants ont travaillé en tandem et ont publié sur Google Docs deux ou trois versions de chaque plan et paragraphe. Les apprenants étaient priés d’utiliser les correcteurs d’orthographe et de grammaire de Word et de www.bonpatron.com/. Travaillant en tandem, chacun était censé relire le travail de son collaborateur et commenter/corriger son travail.
Pour le premier sujet d’argumentation étudié, nous avons longuement travaillé sur l’élaboration du plan en faisant des corrections collectives en classe : nous projetions à l’écran le plan d’un apprenant/d’un tandem, et toute la classe tentait d’améliorer ce plan en se basant sur la théorie vue avec l’analyse de l’exemple sur le bizutage.
Tout au long du semestre, l’enseignante a apporté des corrections individualisées en classe. En classe inversée, les étudiants réalisent (ou du moins commencent) les tâches les plus complexes en classe. Ils sont donc actifs, ce qui a permis à l’enseignante d’apporter un soutien personnalisé à chaque tandem (tandis que les autres apprenants avançaient dans leur rédaction).
Pour les rétroactions plus complètes, l’enseignante a également fait des captures vidéo d’écran, c’est-à-dire que pendant qu’elle corrigeait/commentait le travail en ligne des étudiants (dans leur fichier Google Docs), elle filmait l’écran et enregistrait sa voix (avec l’enregistreur vidéo d’écran www.screencast-o-matic.com/). Cela permettait aux apprenants d’entendre les commentaires de l’enseignante en voyant sur l’écran la partie commentée, et de voir les corrections/annotations effectuées simultanément dans le fichier Google Docs. Les apprenants recevaient (via Blackboard) le lien vers cette correction audiovisuelle qu’ils pouvaient revisionner autant de fois que nécessaire pour une meilleure compréhension et une correction plus efficace (exemples de feedbacks audiovisuels : concernant un plan d’argumentation https://youtu.be/SUxOAOaxuS8 ; concernant la rédaction d’un paragraphe argumentatif : https://youtu.be/Ld8LYNSbZYo.). En début de cours suivant, les apprenants regardaient leur vidéo et essayaient en classe de corriger leur travail en tenant compte des commentaires de l’enseignante. Ils pouvaient bien sûr demander des précisions ou des explications à l’enseignante quand les commentaires de la vidéo n’étaient pas clairs. Les apprenants étaient ensuite censés continuer à la maison les travaux commencés en classe, la tâche difficile de réécriture ayant été préparée en classe.
Les outils numériques étaient donc au cœur de notre approche pédagogique. Restait à savoir, parmi les outils numériques utilisés, lesquels ont été ressentis comme facilitants par les apprenants.
3. Résultats de l’enquête menée auprès des étudiants
À la fin du semestre, nous avons effectué une enquête en ligne (publié sur http://www.askabox.fr) auprès des douze étudiants ayant suivi ce cours. Chacun a anonymement répondu à douze questions en ligne. L’enquête a ensuite été suivie d’un entretien semi-directif.
Les résultats de l’enquête en ligne montrent que :
– 92 % d’entre eux considèrent que ce cours leur servira dans leur études, 58 % qu’il leur servira dans la vie.
– 58 % pensent avoir très bien compris comment construire un plan d’argumentation, le reste pensant avoir bien compris.
Concernant la rédaction, les résultats baissent légèrement puisque 17 % pensent avoir seulement assez bien compris. Les résultats sont très similaires concernant leur capacité à rédiger l’argumentation. L’entretien semi-directif a montré que pour environ la moitié de la classe, l’élaboration du plan semblait plus difficile que la rédaction des paragraphes, alors que pour l’autre moitié de la classe, c’était plutôt l’inverse. Par contre, chaque étudiant avait généralement plus de difficultés pour l’un ou l’autre.
En début de semestre, alors que nous travaillions la méthodologie de construction du plan et les techniques de persuasion, chaque étudiant a prononcé un plaidoyer d’une à deux minutes face à la classe, pour défendre une cause de son choix. Les étudiants considèrent que cela les a vraiment aidés pour 67 % d’entre eux, à mieux comprendre et à appliquer les techniques de persuasion.
La question suivante du questionnaire visait à montrer, parmi les approches pédagogiques et les outils numériques utilisés, lesquels semblaient les plus facilitants pour les apprenants. Nous avions ici volontairement mélangé les approches pédagogiques, certaines activités types ainsi que les outils numériques afin de rester vague et de ne pas orienter les réponses des apprenants vers le numérique (Fig. 10).
Figure 10 – Items proposés dans l’enquête en ligne
Or, la plupart des réponses étaient soit absolument, soit assez, oui, ce qui est certes positif, mais qui ne nous aide pas à distinguer quels outils et approches sont les plus facilitants.
Lors d’entretiens semi-dirigés menés auprès de 10 étudiants, on leur a donc proposé de choisir parmi tous ces items, les 5 qui les avait le plus aidés, par ordre décroissant. On a ensuite attribué 5 points au premier item cité, 4 points au deuxième, 3 au troisième item, et ainsi de suite jusqu’au cinquième. Lorsque l’étudiant, spontanément, citait un 6e item, on lui attribuait ½ point. Les résultats de ce calcul sont présentés dans la figure 11.
Figure 11 – Items proposés dans l’enquête en ligne
Dans la colonne jaune (Fig. 11), apparaît le nombre de points attribués. Ces résultats ont été rapportés à un pourcentage dans la colonne verte. Les apprenants estiment donc que ce qui les a le plus aidés dans leur apprentissage, c’est :
– les feedbacks vidéo de l’enseignante (qui comptabilisent 20,5 % des points attribués par les étudiants) ;
– la capsule vidéo sur la méthodologie du plan d’argumentation (15 % des points) ;
– le fait d’utiliser un code couleur pour les éléments constituants du paragraphe (10 % des points) ;
– les corrections personnalisées en classe, c’est-à-dire quand l’enseignante passe de tandem en tandem pour les guider, corriger si besoin. Il est intéressant de voir que les feedbacks audiovisuels ont obtenu plus de points que les feedbacks en classe ;
– le fait de travailler sur des fichiers Google Docs.
Trois autres approches particulièrement appréciées des étudiants sont :
– le fait d’avoir commencé le semestre par l’analyse d’un exemple d’argumentation ;
– le fait de pouvoir utiliser des auto-correcteurs en ligne ;
– le fait d’avoir plusieurs corrections/feedbacks de l’enseignante sur un même travail.
Lors des entretiens, à la question « Penses-tu que, globalement, les outils numériques t’ont aidé ? Ou penses-tu qu’on devrait enseigner ce cours sans ces outils dans une salle de cours sans ordinateur, où les étudiants écriraient sur papier ? », les étudiants ont tous affirmé sans hésitation et avec enthousiasme qu’ils pensent que cette approche est bien plus efficace, ce qui confirme leurs réponses au questionnaire et montre qu’ils considèrent que les outils numériques utilisés en classe sont facilitants.
Les outils audiovisuels sont particulièrement appréciés, notamment les feedbacks en copie d’écran vidéo, réécoutables à volonté et accessible à tout moment, mais également la capsule vidéo d’introduction qui a posé clairement et simplement des bases théoriques consultables à tout moment.
Comme l’ont montré les entretiens semi-directifs, un feedback vidéo comporte de nombreux avantages : il est beaucoup plus détaillé que des commentaires écrits de l’enseignante, et les étudiants peuvent revoir la vidéo plusieurs fois où et quand ils le souhaitent. Il est d’ailleurs intéressant de souligner que certaines étudiantes, parmi les plus faibles, avaient regardé les mêmes feedbacks sept et huit fois. Sur les dix étudiantes interviewées, seules deux n’avaient pas choisi le feedback vidéo parmi les cinq approches les plus facilitantes.
Concernant la capsule vidéo, lors des entretiens, certains étudiants ont dit qu’ils l’avaient revue plusieurs fois, alors que d’autres ne l’avaient visionnée qu’au début du semestre pour faire les activités de demandées. Mais, tous ont affirmé qu’elle était très bien et qu’elle les avait aidés.
Les résultats du questionnaire et les entretiens ont montré que les étudiants ont vraiment su mesurer les avantages de la flexibilité offerte par une rédaction en ligne : la collaboration et la télécollaboration, synchrone et asynchrone, avec leur coéquipier et l’enseignante, la possibilité d’éditer en permanence son texte tout en gardant l’historique des corrections, l’accès immédiat aux outils d’autocorrection en ligne, l’usage des couleurs très structurant, lui aussi facilité par l’usage de Word.
À la question « Quels conseils donneriez-vous à votre enseignante pour améliorer l’efficacité de son enseignement de la méthodologie de l’argumentation ? », trois étudiants mentionnent qu’ils auraient souhaité traiter plus de sujets, donc pratiquer plus, aller plus vite, tandis que deux étudiants pensent qu’ils n’avaient pas assez de temps pour finaliser leurs travaux. Lors des entretiens oraux, à la question « Que pourrait-on enlever du cours ? Ou moins traiter dans le cours pour avoir le temps de travailler sur un sujet d’argumentation supplémentaire ? », la plupart des étudiants ont répondu « ne rien changer », certains ont mentionné que la seule solution serait de donner plus de travail à la maison pour aller plus vite, c’est-à-dire être plus exigeant sur la quantité de travail rédigé à la maison.
Conclusion
Du point de vue des apprenants, les atouts de cette approche pédagogique, de cet usage des TICE, et plus particulièrement de l’audiovisuel, semblent donc évidents.
Nous n’avons pas pu le mesurer, mais nous avons l’impression que la compréhension des contraintes méthodologiques a été plus rapide, que lors d’expériences d’enseignement passées. Serait-ce grâce à la capsule vidéo d’introduction, ou peut-être grâce aux activités d’analyse d’une argumentation que les étudiants ont assimilé relativement rapidement la méthodologie de construction du plan ? Nous tendons à croire que c’est grâce à l’approche combinée des deux dans un cadre de pédagogie explicite et de classe inversée. De même, l’aspect très visuel du code couleurs et la flexibilité de l’outil Word permettent, nous semble-t-il d’éviter de nombreux rappels méthodologiques concernant la rédaction du paragraphe.
L’enregistrement vidéo de l’écran permet, nous semble-t-il, un feedback très complet. Néanmoins, lors des entretiens, deux des apprenantes ont dit ne pas toujours comprendre les commentaires de l’enseignante dans les feedbacks audiovisuels. Cela est peut-être dû en partie au fait que, pressée par le temps, l’enseignante ne formulait pas suffisamment clairement et lentement ses commentaires.
Une autre difficulté concerne le type de feedback. Lorsque l’on corrige les travaux d’étudiants, particulièrement les plans, il faut corriger la structure du plan, mais également la langue. Or, les savoirs et savoir-faire nouveaux que l’on cherche à vérifier concernent surtout la méthodologie, sur laquelle on insiste donc dans les commentaires. Concernant la langue, il faut choisir, soit souligner l’erreur ou le type d’erreur, soit la corriger oralement, en dehors du fichier Google Docs, soit la corriger également à l’écrit dans le fichier. Il est possible que notre approche ait varié en fonction des travaux corrigés et du niveau des apprenants. C’est donc une question sur laquelle il serait souhaitable de se pencher à l’avenir afin d’essayer d’optimiser les feedbacks.
Se pose maintenant la question des contraintes d’une telle méthodologie pour l’enseignant. Bien sûr, cette approche exige un suivi régulier des travaux des étudiants. C’est donc globalement assez chronophage. Il faut une bonne organisation, et une bonne maîtrise des outils numériques pour pouvoir les utiliser de manière pertinente et y initier la classe « sans douleur ». Mais, d’après notre expérience, aucune autre méthode de correction/rétroaction ne semble plus efficace que la capture d’écran : elle permet en effet un feedback beaucoup plus complet que des annotations écrites tant concernant la méthodologie que pour la correction linguistique. En outre, comme cela a été mentionné pendant les entretiens, certes l’apprenant doit écouter les hésitations et retours en arrière de l’enseignante (puisqu’en général, l’enseignante s’enregistrait au moment même où elle découvrait l’écrit de l’apprenant, et elle formulait à haute voix ses commentaires « à chaud »). Mais, cela permet également à l’apprenant de comprendre la démarche de correction de l’enseignante et de peut-être ainsi de progresser plus vite. Un point qui nous semble essentiel, c’est que les étudiants les plus faibles ont montré, lors des entretiens, qu’ils ont particulièrement apprécié ce suivi régulier et les feedbacks audiovisuels. Cela concorde avec les diverses études qui concluent que la pédagogie explicite répond aux besoins spécifiques des apprenants les plus faibles, ceux-là mêmes qui sont généralement les plus éteints en classe et qui ne tirent pas assez à profit de la présence de l’enseignante en classe. Les enregistrements vidéo leur permettent une réécoute, avec des pauses et des retours en arrière si nécessaires. Ces outils numériques, globalement appréciés par tous, pourraient donc s’avérer particulièrement utiles pour les étudiants les moins performants, ceux dont l’apprentissage est plus lent.
Références bibliographiques
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