Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

Les classes inversées, un phénomène précurseur pour « l’école » à l’ère numérique

Marcel LEBRUN, Université Catholique de Louvain, Belgique


Résumé

Lorsqu’on considère l’effervescence actuelle provoquée par « La classe inversée », on est frappé par la disparité des avis, des commentaires et des analyses à son égard. Parcourant les écrits et autres publications audiovisuelles au sujet de leurs effets pédagogiques supposés, on remarque très vite un passage bipolaire ou sans transitions entre le côté clair et le côté obscur de cette stratégie pédagogique. Tel est sans doute le lot de toute innovation qui bouscule nos préjugés et nos inerties. Notre hypothèse est que le slogan « classe inversée » cache probablement une variété de pratiques, celles de substitution qui postulent l’amélioration de formes pédagogiques in fine traditionnelles par quelques artefacts technologiques surajoutés ou celles de redéfinition de paradigmes fondamentaux liés à l’éducation et à l’apprentissage. C’est ainsi que nous avons entrepris une étude de ces pratiques dans la volonté d’y établir une typologie qui permettrait par la suite de mieux associer ces effets pédagogiques aux causes liées aux degrés d’implémentation ou d’adaptation de cette stratégie pédagogique, innovante et systémique.


1. INTRODUCTION

Même si le phénomène des classes inversées est relativement récent (dans son appellation anglaise en tout cas, Flipped Classroom), les récents colloques et journées d’étude à son sujet démontrent son ampleur à la fois au niveau du nombre d’enseignants qui s’y intéressent voire s’y investissent (les événements CLIC en France – CLasses Inversées, le Congrès – sont passés d’environ 200 participants en 2015 à plus de 800 participants en 2016) et aussi par la variété des pratiques qui y sont présentées. On peut tracer un continuum entre des pratiques plutôt « centrées sur l’enseignant » (des cours virtualisés par le truchement de vidéos) et d’autres davantage « centrées sur l’apprenant » (des pratiques dans lesquelles l’étudiant devient acteur et auteur de ses apprentissages). On trouve ainsi aux extrémités de ce continuum :

 de la vidéo, un média emblématique mais non exclusif, à regarder avant la classe proprement dite pour, intentionnellement, consacrer plus de temps aux élèves et développer davantage d’activités et d’interactivités pendant celle-ci (la classe inversée proprement dite, telle que proposée au début vers 2008)

 des dispositifs construits par les élèves eux-mêmes dans lesquels ils deviennent à la fois « didacticiens » des savoirs récoltés sur Internet et ingénieurs pédagogiques des interactivités qu’ils ont préparées eux-mêmes à l’intention de leurs collègues étudiants (une pratique appelée « Classes renversées » par notre collègue Jean-Charles Cailliez [1]).

On peut ainsi parler, au-delà des expérimentations de quelques pionniers, d’une pratique d’innovation en voie d’instauration de l’école primaire à l’enseignement supérieur : en effet, pour que la pratique de quelques-uns devienne une réelle innovation, il faut encore qu’elle percole, s’infiltre, transforme le système qui l’accueille. C’est le sens que nous souhaitons donner au terme « précurseur » en nous inspirant des phénomènes de transition de phase dans un système physique ; la transition de phase proprement dite (par exemple lors du passage de l’eau liquide à la glace) est précédée d’organisations locales (les molécules d’eau tendent à s’organiser en cristaux) qui préfigurent l’état solide qui va survenir. C’est ainsi que selon nous, les classes inversées préfigurent peut-être un nouvel état de l’école.
Les effets de ces classes inversées, intentionnés, décrits et parfois validés, sont multiples mais relativement peu stabilisés scientifiquement : motivations accrues (des élèves et aussi des enseignants), meilleures appropriations des savoirs formalisés, développement de compétences disciplinaires et transversales, différenciation des enseignements et des apprentissages… Mais, faute d’un modèle structurant de cette variété à la fois sémantique et procédurale, il peut être difficile d’associer les effets éventuellement discernés aux causes et conditions liées aux pratiques effectives au sein de la classe. C’est à cet éclaircissement ou encore à ce discernement que souhaite s’attacher, à titre encore exploratoire, cet article.

2. VERS UN CADRE CONCEPTUEL POUR DIFFÉRENTS TYPES DE CLASSES INVERSÉES
2.1. Le concept de base : La classe inversée

Le concept initial de « classe inversée » (Flipped Classroom) a été introduit, il y a une dizaine d’années, par deux enseignants du secondaire en chimie, Jonathan Bergmann et Aaron Sams, de l’école Woodland Park High School, Colorado. L’idée initiale était de bousculer les espaces-temps de l’enseignement et de l’apprentissage en proposant les leçons, sous la forme de vidéos, en dehors de l’espace-temps de la classe proprement dite et en utilisant ce dernier, ainsi « libéré », pour mieux accompagner les élèves dans leurs apprentissages. Nous avions résumé ce concept par un quelque peu provocateur « Lectures at home and Homework in class » (les leçons à la maison et les devoirs en classe) dès 2011 sur notre Blog (Lebrun, 2011) – un billet à propos de l’hybridation dans la formation – après avoir écouté une conférence en vidéo (« Utilisons les vidéos pour réinventer l’école ») de Salman Khan, le créateur de la Khan Academy. C’est en 2012 que ces deux enseignants, Bergmann et Sams, publiaient leur livre Flip your classroom (adapté en français par l’appellation Classe inversée) qui allait provoquer l’émergence du concept en francophonie et plus particulièrement en Europe et au Québec.

Bien évidemment, au-delà du concept, voire du slogan, l’esprit de la classe inversée anima bien antérieurement des enseignants pionniers de la première heure de l’inversion. Sans négliger des travaux précurseurs de Célestin Freinet et les démarches pédagogiques de Joseph Jacotot, « le maître ignorant », rapportées par Jacques Rancière (1987), beaucoup d’entre nous ont rencontré de tels pionniers audacieux dans leurs études ; ils demandaient une lecture préalable de ressources fournies (livre, manuel…) avant leur cours proprement dit. Pour ma part, dès 1972, un de mes professeurs en mécanique rationnelle (Nicolas Rouche) pratiquait cette technique incitative à l’apprentissage actif. À titre de définition encore provisoire, nous proposons parmi d’autres, celle de l’Université Vanderbilt (nous traduisons) :

Le concept de classe inversée décrit un renversement de l’enseignement traditionnel. Les étudiants prennent connaissance de la matière en dehors de la classe, principalement au travers de lectures ou de vidéos. Le temps de la classe est alors consacré à un travail plus profond d’assimilation des connaissances au travers de méthodes pédagogiques comme la résolution de problèmes, les discussions ou les débats (Brame, 2013) [2].

Prise au pied de la lettre, cette définition synthétique pourrait contribuer à en faire perdre l’esprit qui concerne davantage la dynamisation du temps en classe que les apports théoriques délivrés en dehors de celle-ci, à distance. Les « inventeurs » des Flipped Classrooms, Bergmann et Sams, expriment pourtant bien les transformations, les flips, induites par cette méthode (voir par exemple le site The Daily Riff, 2012) et en présentent les attributs constitutifs [3] :

 Un moyen d’amplifier les interactions et les contacts personnalisés entre les élèves et l’enseignant. Un environnement dans lequel les étudiants prennent la responsabilité de leurs propres apprentissages sous la guidance du formateur.

 Une classe dans laquelle l’enseignant n’est pas le maître sur l’estrade « sage on the stage » mais l’accompagnateur attentif « guide on the side » en permettant ainsi différentes formes de différenciation.

 Un mélange fertile de la transmission directe (j’enseigne) avec une approche constructiviste ou encore socioconstructiviste de l’apprentissage (c’est aux apprenants qu’il revient d’apprendre).

 Une classe dans laquelle les élèves qui sont absents pour cause de maladie ou activités extra-curriculaires (pour des sportifs, sorties éducatives) ne sont pas laissés « en arrière ».

 Une classe où les contenus travaillés (la « matière ») sont accessibles tout le temps pour les révisions, les examens, la remédiation.

 Une classe où les étudiants sont davantage engagés dans leurs apprentissages.

 Un lieu où les étudiants peuvent recevoir un accompagnement personnalisé.

Mais, il est surtout intéressant, pour éviter les dérives que ce concept pourrait engendrer, d’examiner ce que n’est pas, selon ces auteurs, la classe inversée :

 Un remplacement de l’enseignant par des vidéos.

 Un cours en ligne voire à distance.

 Des étudiants qui font tout et n’importe quoi de manière non structurée.

 Des étudiants qui passent le temps de la classe devant un écran.

 Des apprenants enfermés sur eux-mêmes devant leur ordinateur et travaillant tout seul.

2.2. Vers une évolution du concept : les classes inversées

On le comprendra, le concept initial de la classe inversée (que nous appellerons ici Type 1 ou niveau 1) allait être amené à évoluer en élargissant en particulier le spectre des activités menées à distance : le seul « regarder des vidéos avant la classe » peut-il être considéré comme une activité motivante et fertile en apprentissages ? Des auteurs précurseurs avaient déjà repoussé les limites du concept en ne limitant pas l’inversion à cette seule activité somme toute passive mais en considérant l’adéquation de ces stratégies pédagogiques aux différents styles d’apprentissage des élèves. L’extrait ci-dessous d’une recherche récente (Kim et al., 2014) nous éclaire bien sur différents éléments de l’extension progressive de ce concept :

The design of flipped classrooms has often been limited to the concept of replacing in-class instruction with videos and using class time for homework. In contrast, we define the ‘flipped classroom’ as an open approach that facilitates interaction between students and teachers and differentiated learning […] by means of flipping conventional events both inside and outside of the classroom and supporting them with digital technologies.

En quelque sorte, la mise à distance de certaines activités, traditionnellement dévolues au temps de classe (comme la transmission), nous invite à repenser les activités en présence, qui à leur tour interpellent la nature des activités à distance en les contextualisant davantage. Cet « effet boomerang » (nous appelons ainsi le fait de porter certaines activités à distance dans l’intention de redonner du sens à la présence, les activités en présence invitant à leur tour à enrichir les activités à distance) conduit à considérer l’hybridation dans une perspective dynamique.
C’est ainsi que nous avons proposé sur notre Blog (Lebrun, 2014) dès 2014 et dans notre récent livre (Lebrun & Lecoq, 2015) consacré aux classes inversées, une extension du concept initial de classe inversée en incluant dans la partie à distance (avant la classe proprement dite) des activités des élèves du type recherche d’informations, travail de groupe, préparation d’un exposé ou d’un débat, construction d’un dispositif de formation à l’intention des autres élèves, etc. « L’apprenant actif » sortait ainsi de la classe pour s’alimenter intellectuellement dans les contextes (en particulier fortement marqués par le numérique et son attribut d’accessibilité aux ressources à la fois de connaissances et de pratiques). La partie supérieure de la figure ci-dessous (Figure 1) illustre nos deux conceptions, nos deux types de classes inversées (Type 1 et Type 2).

Figure 1 – Présentation schématique des deux types de classes inversées

Si la partie transmissive de l’enseignement a été portée à distance dans le Type 1, le format initial ou originel de la classe inversée, cette extension nous conduit à y transporter aussi certaines formes d’apprentissage sans doute moins formelles mais davantage contextualisées : il ne s’agit pas seulement de savoirs déjà distillés, formalisés, transformés en principes, modèles et théories « à apprendre tel quel » dirions-nous, mais de savoirs véhiculés par les pratiques, transportés par différents médias, de savoirs « bruts » en quelque sorte, qu’il importe de comprendre dans leurs variétés. Nous avons appelé cette variété Type 2 et elle nous conduit, par la variété des activités qu’elle apporte en conjonction avec le Type 1, à parler des classes inversées (au pluriel) que nous désignerons par l’appellation Type 3. La figure ci-dessous (Figure 2) illustre et synthétise ces propos.

Figure 2 – Présentation des deux types de classes inversées

Mentionnons quelques points d’attention à l’examen de cette figure qui illustre une voie de passage ou d’évolution entre les pédagogies centrées sur l’enseignant et celles centrées sur l’activité des étudiants :

 Les deux axes : l’axe horizontal témoigne de l’origine des savoirs transmis (présenté par l’enseignant ou amené par les élèves) et du type de savoirs travaillés (savoirs formalisés ou savoirs pratiques) entre « monde des idées » et « monde de l’expérience concrète ». L’axe vertical témoigne davantage des différents rôles tenus « tour à tour » par les enseignants et par les élèves.

 La localisation des activités : les activités menées en classe « en présence » (fond grisé, écriture noire) et celles effectuées hors de la classe (fond noir, écriture blanche) « à distance » (la recherche d’informations pouvant se faire dans le centre de documentation à l’école ou ailleurs, sans la présence de l’enseignant).

 Les différents types : on y retrouve le Type 1 celui de la classe inversée proposée initialement et le Type 2 dans lequel les activités à distance sont effectuées par les élèves eux-mêmes, de manière autonome ou en groupe, en prélude à l’activité en classe. La représentation suggère que ces deux types sont fortement prototypiques (quelque peu extrêmes ou polarisées), LES classes inversées les réunissant dans des proportions diverses. Nous désignerons ce mélange par l’étiquette Type 3 dans lequel les deux précédents en constituent à la fois les ingrédients et les dimensions.

 Finalement, nous avons complété la figure par une stratégie de formation, les « classes renversées » dans laquelle les élèves ou les participants à la formation y contribuent maximalement [4] à la fois au niveau des savoirs travaillés, des activités prévues (pour les autres élèves, par exemple) en assumant tout à la fois les rôles d’enseignant et d’apprenant.

Notre analyse de l’inversion dans l’enseignement et la formation, nous conduit à considérer les classes inversées comme un dispositif hybride. Nous reprenons ici une proposition de définition progressive et synthétique de nos travaux antérieurs autour ce concept (Lebrun, 2012) :

En ce qui nous concerne, nous entendons par dispositif (Lebrun, Smidts & Bricoult, 2011) un ensemble cohérent constitué de ressources (matérielles et humaines), de stratégies, de méthodes et d’acteurs interagissant dans un contexte donné pour atteindre un but. Le but du dispositif pédagogique est de faire apprendre quelque chose à quelqu’un ou mieux (peut-on faire apprendre ?) de permettre à « quelqu’un » d’apprendre « quelque chose » (Lebrun, 2005). En ce qui concerne l’hybridation, nous la considérons comme un mélange fertile et en proportions variables de différentes modalités de formation, en présence et à distance, mais aussi entre des postures d’enseignement transmissif (l’enseignement au sens strict n’exige plus la présence physique en un temps et un lieu donnés, mais peut sortir de l’ex-cathedra pour atteindre l’étudiant où il se trouve) et des postures enseignantes davantage liées à l’accompagnement de l’apprentissage.

2.3. Vers une vision systémique des classes inversées : l’apprentissage inversé

De manière plus conceptuelle, nous pouvons alors imaginer que les différentes activités mentionnées le long des deux axes deviennent des « événements » d’apprentissage (différentes briques permettant de construire un dispositif dans lequel l’étudiant pourra apprendre) à organiser au sein de différents scénarios à organiser dans une certaine temporalité (nous avons appelé Type 3, ce mélange de Type 1 et de Type 2 ; voir le bas de la Figure 1). Voici un tel scénario donné ici à titre d’exemple (les numéros se réfèrent à la figure 2) :

 1 (Type 2, distance) : hors la classe, individuellement ou en groupe, chercher les informations, instruire la thématique, ramener des éléments des contextes visités, les structurer quelque peu, préparer une petite présentation ou une activité d’une manière originale… Les compétences visées seraient : recherche d’informations, validation, analyse, synthèse, créativité, communication…

 2 (Type 2, présence) : présenter, en classe, les informations et ressources trouvées, identifier les différences et repérer les similitudes avec les propositions des autres élèves ou d’autres groupes, vivre un « conflit » socio-cognitif, expliciter les préconceptions, faire émerger les questions, les hypothèses… Les compétences visées seraient : communication, analyse, esprit critique, réflexivité, modélisation…

 3 (Type 1, distance) : hors la classe selon le schéma initial des classes inversées, prendre connaissance des théories, relever les éléments pertinents pour la thématique investiguée, préparer une synthèse, exercer le fonctionnement du modèle… Les compétences visées seraient : apprendre, faire des liens, mémoriser, se poser et préparer des questions, modéliser…

 4 (Type 1, présence) : en classe à nouveau, consolider les acquis, faire fonctionner le modèle ou la théorie en regard des thématiques investiguées, préparer le transfert par l’approche d’autres situations… Les compétences visées seraient : comprendre, appliquer, investiguer les limites, transférer à d’autres contextes…

Nous avons appelé cette combinaison « apprentissage inversé » en faisant allusion au passage progressif de la terminologie « Flipped Classroom » à celle de « Flipped Learning » [5] prônée actuellement par les concepteurs initiaux, Bergmann et Sams.

Ce scénario exemplatif en 4 temps (ou encore comme nous l’avons proposé, événements d’apprentissages) trouve, dans le cycle de Kolb sur l’apprentissage expérientiel (Kolb, 1984), des éléments qui à la fois le structurent et le consolident. La figure 3 présente cette vision systémique de ces événements d’apprentissage mobilisés dans les classes inversées. Nous avons également complété la figure avec les trois constituants de l’enseignement stratégique selon Tardif (1992) : contextualisation (ancrer les apprentissages dans les contextes pour leur donner du sens), décontextualisation (formaliser et structurer les savoirs d’expérience récoltés de manière à les rendre plus généralisables) et recontextualisation (appliquer ces savoirs formalisés dans d’autres situations, le transfert).

Figure 3 – Cycle de Kolb et événements d'apprentissages 
mobilisés dans les classes inversées

Différents auteurs ont déjà approché le concept des classes inversées de manière systémique, au départ de plusieurs théories de l’apprentissage, sans cependant aboutir à une détermination de ce système au départ de différentes dimensions en interaction et sans en déterminer d’éventuels effets différenciés. Mentionnons ainsi le cycle proposé par J. Gerstein (2011) sur son Blog User Generated Education ; le cycle est construit sur différents types d’activités soit pilotées par l’enseignant soit prises en charge par les élèves. Ou encore le modèle compréhensif proposé par The University of Queensland en Australie qui propose un cycle [6] inspiré du précédent, ainsi que de celui de Kolb et des démarches mises en place par Eric Mazur, professeur de physique à Harvard (Mazur, 1997). Remarquons cependant que, contrairement à notre approche plus inductive, ce cycle démarre par l’approche des concepts d’abord (via des vidéos, des textes, des médias enrichis), la recherche de sens ensuite (via des questionnaires ou des discussions en ligne…) pour finalement aboutir aux applications (projets, problèmes, présentations…). Il s’agit là peut-être d’une différence à rechercher dans les paradigmes éducatifs qui sous-tendent l’enseignement obligatoire (primaire, secondaire) et l’enseignement supérieur.

Toujours à titre de validation a priori du modèle systémique (désigné par Type 3) des classes inversées que nous proposons ici en extension du concept initial de « Flipped Classroom » (le Type 1), nous pouvons aussi évoquer le modèle antérieur de Nonaka et Takeuchi (1995). Ce cycle (encore appelé Modèle SECI : Socialisation, Externalisation, Combinaison et Internalisation) traite, à l’origine, de la constitution d’intelligence collective au sein des entreprises. Il est cependant, selon nous, utile comme grille de lecture de certains aspects de notre Type 3 des classes inversées, en y ajoutant les notions de connaissances tacites ou implicites et de connaissances explicites partagées ainsi que la nécessaire et féconde systémique entre appropriation personnelle et intelligence collective. Le recours à ce modèle est sans doute plus hardi mais nous retenons de ce cycle les passages de l’intrapersonnel (les conceptions spontanées parfois naïves, les modèles de référence auxquels nous nous référons de manière souvent implicite, notre épistémologie personnelle…) à l’interpersonnel (le retour au groupe, la nécessité d’expliciter au travers de métaphores ou de contextes « vécus à partager », le conflit socio-cognitif, la recherche du consensus, d’hypothèses partagées, de solutions communes à investiguer) pour en revenir à des phases d’intériorisation, de restructuration, de consolidation… porteuses de nouvelles connaissances et compétences… partagées.

C’est ainsi que nous pourrions relire nos 4 temps proposés plus haut de la manière suivante :

 Temps 1. Socialisation : Seul ou en petit groupe, l’apprenant part à la rencontre du contexte, des éléments de la vie quotidienne ou socio-professionnelle. Ces conceptions spontanées peuvent déjà être ébranlées par cette rencontre avec le terrain et aussi au sein du petit groupe d’explorateurs dont il fait partie. L’implicite se révèle, se traduit en situations, s’explicite (Type 2, distance).

 Temps 2. Externalisation : De retour en classe, l’apprenant ou son groupe étend ses représentations en les confrontant avec celles ramenées par les autres. Un langage commun s’élabore, les concepts apparaissent, des hypothèses s’élaborent… l’explicitation apporte sa force au collectif (Type 2, présence).

 Temps 3. Combinaison : L’organisation des variables, des connaissances explicites devient une nécessité. Le temps est venu pour la synthèse et la modélisation ainsi que la théorisation potentiellement organisatrice introduisent des paramètres de convergence ou encore des invariants (Type 1, distance).

 Temps 4. Internalisation : La nouvelle construction collective, porteuse d’une certaine généralisation, doit maintenant être éprouvée au niveau de nouvelles situations, de l’élaboration du projet collectif, de l’application en champ réel (Type 1, présence).

Après avoir tenté d’apporter une validation a priori et encore toute théorique à notre approche de l’inversion considérée comme une systémique entre différents événements d’apprentissage (les 4 temps proposés par le cycle de Kolb ou par celui de Nonaka et Takeuchi), nous allons, dans le point suivant, tenter d’y ajouter une validation empirique expérimentale.

2.4 Les classes inversées au confluent de plusieurs approches relatives à l’apprentissage

On l’aura compris, et c’est probablement une des causes du succès des classes inversées, ces dernières se trouvent au confluent de plusieurs courants qui traversent le champ de l’éducation :

 celui des objectifs, des compétences à développer chez les apprenants, plus récemment des acquis d’apprentissages ou Learning Outcomes (European Union, 2004), ce que « l’étudiant sait, comprend, est capable de faire et de, lui-même, le démontrer » ;

 celui relatif aux méthodes d’apprentissage en particulier celles congruentes aux facteurs d’apprentissage comme les méthodes actives et interactives, les approches par situations-problèmes, par études de cas, les apprentissages collaboratifs (Lebrun, 2007) ;

 celui relatif aux approches innovantes de l’évaluation (Lebrun, 2015) (certificative mais aussi formative, l’évaluation par les pairs, les approches réflexives) ;

 et enfin, les changements induits par le numérique dans son sens le plus large non limité à l’informatique ou à la technique (rapport aux savoirs, aux rôles, l’externalisation des ressources de connaissances, les nouveaux modes de médiation et de relations). Il ne s’agit pas comme auparavant de « numériser l’école » mais de prospecter d’autres rapports aux savoirs et aux rôles pour continuer à apprendre toute la vie durant en s’appuyant sur l’externalisation des ressources de connaissances et sur les nouveaux modes de médiation et de relations induits par le numérique.

De manière synthétique nous pourrions ainsi dire que la qualité intrinsèque des classes inversées pourrait être perçue dans cette cohérence entre objectifs, méthodes, évaluations et outils que Biggs (1996, 2014) désigne (pour les trois premiers) par Constructive Alignement, l’alignement constructif. A contrario, nous pourrions dire à ce stade que l’alignement constructif (cohérence entre objectifs, méthodes, évaluations…) est un des critères de qualité des classes inversées.

3. UNE APPROCHE EMPIRIQUE DE NOTRE MODÉLISATION DES CLASSES INVERSÉES

Une analyse du concept d’inversion nous a conduit à distinguer différents types de classes inversées. Si le Type 1 correspond pleinement au concept initial « originel » de la classe inversée introduit dès 2010 et correspond bien aux pratiques des enseignants (Lebrun & Lecoq, 2015) qui l’ont adoptée, l’adjonction du Type 2 et le mélange de ce dernier avec le Type 1 pour constituer le Type 3 restent problématiques et hypothétiques. Autrement dit, lorsque les enseignants évoquent leurs pratiques des classes inversées, mentionnent-ils des pratiques du Type 2 (à l’état pur dirions-nous) et d’autres plus complexes de Type 3 ? Les enseignants « inverseurs » ont-ils suivi, dans leurs pratiques, le glissement sémantique que nous avons décrit entre le Type 1 et le Type 3 ou entre le Type 2 et le Type 3 ?
Notre hypothèse est donc que, derrière le concept de classes inversées (un buzz word somme toute), se cache une foule de pratiques différentes qui pourrait expliquer la variété des résultats relatifs aux effets de ces stratégies pédagogiques (par exemple, sur la motivation des étudiants, sur les connaissances manipulées, sur les compétences déployées…). Notre approche conceptuelle, présentée ci-dessus, nous permet-elle de tirer des dimensions sous-tendant des catégories de pratiques (éventuellement proches des types proposés) qui induiraient des effets pédagogiques différents ?

3.1. Une enquête par questionnaire pour analyser le concept

La promotion d’un mémoire de Master en Sciences de l’éducation (Gilson & Goffinet, 2016) nous a offert l’opportunité de prendre en main une telle problématique. Après une revue de la littérature en cette matière, un questionnaire principalement quantitatif a été développé. L’objectif étant de rencontrer la plus grande variété possible de classes inversées telles que pratiquées, ce questionnaire en ligne a été distribué au travers d’un appel à participation, adressé aux praticiens des classes inversées, via les réseaux sociaux (Facebook, Twitter …).
Un questionnaire pour interroger les pratiques
Il s’agissait de cerner qui étaient les répondants à notre enquête, de quels pays ils venaient, leur ancienneté dans la carrière enseignante, l’âge moyen de leurs élèves, les matières qu’ils enseignaient ainsi que les caractéristiques principales des classes inversées qu’ils mettaient en place. Pour ce dernier point, qui devait servir de base à la typologie, une première section était de nature plus conceptuelle et relative aux dimensions (Type 1 et Type 2) que nous avons suggérées ci-dessus à titre d’hypothèse. En exemple du Type 1, voici l’un des items sur lesquels on demandait aux participants de marquer leur accord ou désaccord éventuel : « Le temps en classe est consacré à la mise en pratique de la théorie qui a été vue à distance ». Caractéristique du Type 2, l’item suivant était proposé parmi d’autres « À distance, mes élèves doivent préparer un sujet pour introduire une nouvelle activité en classe ». L’autre section parlait davantage des outils et des activités des élèves dans le cadre de leurs dispositifs. En exemple du Type 2 : « Je demande à mes élèves de préparer un exposé sur un sujet ».

L’enquête : quelques données quantitatives
Le questionnaire était largement destiné à des enseignants dont les élèves sont âgés entre 6 et 18 ans. Comme nous l’avons dit, le questionnaire a été diffusé via des réseaux sociaux tels Twitter et Facebook, en principal lors du mois de janvier 2016. C’est ainsi que 286 questionnaires ont été récoltés dont 114 tout à fait complets ; certains l’étaient suffisamment pour augmenter le nombre de réponses à la partie relative à la typologie (146 réponses complètes pour cette partie). Les répondants venaient principalement de Belgique, de France, de Suisse et du Québec.

3.2. Proposition d’une typologie des classes inversées

Comme nous l’avons dit ci-dessus, des items (10) ont été proposés aux participants à l’enquête. Ils correspondaient aux différents temps (ou événements d’apprentissages) que nous avons proposés plus haut à titre d’hypothèse. Le tableau ci-dessous présente (en fonction des types que nous avons proposés) les 6 items que nous avons retenus suite à une analyse de cohérence de ces derniers.

Tableau 1 – Items descriptifs du concept large de Classes Inversées

Une analyse par composantes principales (ACP ou PCA, Principal Components Analysis) nous a permis de mettre en évidence la bonne corrélation existant entre d’une part les items relatifs au Type 1 et d’autre part entre les items relatifs au Type 2 en les séparant comme le préconisait notre analyse conceptuelle. La Figure 4 ci-dessous illustre notre approche. On y remarque la bonne séparation (quasi orthogonalité) des items relatifs au Type 1 et des items relatifs au Type 2, ce qui indique la présence de ces deux formes de classe inversée présentée ci-dessus à titre d’hypothèse.

Figure 4 – Analyse par composantes principales 
sur les 6 items descriptifs retenus

Cette analyse illustre la bonne corrélation entre les items au sein d’un type donné (Rho de Spearman de 0,64 entre T1P et T1DP, de 0,42 entre T1P et T1D, et de 0,26 entre T2P et T2DP, de 0,35 entre T2D et T2DP) et la bonne discrimination entre les deux séries d’items caractéristiques des deux types proposés.
La composante 2 (verticale) permet de séparer les types (Type 1 intense dans le quadrant inférieur droit, Type 2 intense dans le quadrant supérieur), la composante 1 (horizontale) représentant le degré d’intensité dans les réponses choisies à ces différents items. Une analyse par clusters (Clusters Analysis, Méthode de Ward, 4 clusters), sur la base de ces deux composantes fournit les résultats illustrés dans la Figure 5.

Figure 5 – Analyse en (4) clusters 
sur la base des composantes principales

Afin de dégager la signification de ces 4 clusters, nous en sommes revenus aux réponses données aux 6 items retenus par les participants de l’enquête. Dans le tableau ci-dessous (Tableau 2), figurent les pourcentages d’accord exprimés par les répondants pour chacun des items ; ils sont calculés en divisant le nombre de réponses exprimant un accord (plutôt d’accord, d’accord ou tout à fait d’accord) par le nombre total de réponses.

Tableau 2 – Pourcentages d'accord aux différents items descriptifs des types pour les 4 clusters identifiés

 Le cluster 1 (Type 1, N=50) se distingue par les réponses élevées aux items T1P, T1D et T1DP : nous l’associons au Type1 précédemment annoncé avec un pourcentage d’accord particulièrement élevé pour l’item T1P « Le temps en classe est consacré à la mise en pratique de la théorie qui a été vue à distance ».

 Par contre le cluster 3 (Type 2, N=10) associe des répondants privilégiant par leurs réponses les items T2P, T2D et T2DP avec surtout une faveur pour l’item T2P « En classe, des débats sont organisés sur ce qui a été découvert à distance » : nous associons ce cluster au Type 2.

 Le cluster 2 quant à lui (Type 3, N=70) se distingue par des accords élevés sur l’ensemble des 6 items : nous l’associons au Type 3 qui mixe les deux approches.

 Le cluster 4 (N=16) rassemble des répondants ayant exprimé un (très) faible taux d’accord sur l’ensemble de 6 items ; il s’agit probablement d’enseignants ne pratiquant que fort peu les activités désignées par nos items et l’inversion au sens général. Nous l’avons appelé dans la suite Type 0.

En conclusion de cette partie dédiée à la vérification de l’existence des types que nous avons proposés, nous pouvons dire que le Type 1 (la classe inversée originelle, N=50) est bien identifié avec un accent fort sur l’utilisation de l’espace-temps de la classe (la présence) pour les applications et la mise en pratique (accord sur T1P = 84%). Le Type 2 « pur » est aussi bien présent (mais en nombre très limité, N=10) avec, quant à lui, des activités en classe de type débat (accord sur T2P = 100%) sur des sujets préparés à distance ou des recherches d’information préalables. Le Type 3 (le plus fortement représenté, N=70) allie avec différentes ampleurs les caractéristiques des Type 1 et Type 2.

Nous mettons ainsi en évidence deux grands types d’inversion pédagogique :

 le Type 1 très proche de la définition initiale, les leçons « à la maison » et les devoirs à l’école. Il s’agit d’un ensemble de configurations dans lesquelles les savoirs, définis par l’enseignant, sont transmis hors la classe par le moyen de différents médias (dont les vidéos) et où le temps en présence est favorablement consacré aux exercices, aux applications et à des situations-problèmes

 le Type 3 en constitue une évolution. Il s’agit d’un mélange de Type 1 et de Type 2. Ce dernier semble finalement peu présent à l’état pur (dans lequel les élèves ou les étudiants eux-mêmes vont chercher les savoirs dans les différents contextes (centres d’information et de documentation, centres multimédias, recherche informationnelle…) et préparent sur le sujet une activité de classe pour leurs collègues). On peut raisonnablement penser que les enseignants qui se sont impliqués dans une modalité de Type 1 passent, selon leurs options pédagogiques ou leurs disciplines, au Type 3 en adjoignant au Type 1 des caractéristiques du Type 2. Nous ne pouvons cependant pas déclarer que ce cheminement est prescriptif : peut-être passe-t-il directement au Type 3 ?

4. CONTEXTES DES DIFFÉRENTS TYPES DE CLASSES INVERSÉES
4.1. Des contextes différents pour différents types de classes inversées

Les classes inversées constituent un phénomène émergent, non contraint directement par des modèles apportés par, à titre d’exemple, les sciences de l’éducation et non dirigé directement par des politiques éducatives. Il nous semblait donc important de comprendre quels étaient les lieux, les terreaux dans lesquels s’initiait ce phénomène, en particulier en regard des différents types proposés.
Parmi différents éléments contextuels, l’analyse des données nous conduit à considérer des émergences différentes des types en fonction des disciplines. Ainsi dans le Type 1 environ 50% des répondants enseignent les mathématiques contre un peu plus de 30% pour les répondants en classe de sciences, histoire et géographie. Par contre le Type 3 est constitué d’environ 15% d’enseignants de mathématiques et de plus de 70% d’enseignants en sciences, histoire et géographie. Mentionnons aussi que c’est dans le Type 2 « pur » que se manifestent le plus les enseignants en français. Il serait sans nul doute intéressant de confronter les épistémologies de ces enseignants par rapport à la construction des savoirs de référence par leurs élèves.

Dans cette optique, au niveau des postures adoptées par les enseignants, nous avons constaté que les enseignants de Type 1 déclarent davantage avoir conservé leur rôle de "transmetteur de savoirs", davantage que ceux du Type 2 et du Type 3. A cet égard toujours, nous avons constaté, par une légère différence significative (p=0,02) que les enseignants du Type 1 visaient, pour leurs élèves, davantage des compétences disciplinaires (liées au contenu de la matière enseignée) et que les enseignants du Type 3 incluaient davantage de compétences de nature transversale (recherche d’informations, travail d’équipe, communication…).

4.2. Mais que font concrètement les élèves dans les différents types de classes inversées ?

Dans notre questionnaire, une série d’items portait sur les activités concrètes des élèves. Ils répondaient à la question « Dans ma pratique de la classe inversée, je demande à mes élèves de… ». Les répondants étaient invités à cocher les cases qui correspondaient à leurs pratiques en classe. La figure ci-dessous (Figure 6) présente ces items et les taux de réponse associés ventilés selon les types que nous avons dégagés.

Figure 6 – Différentes activités des élèves pratiquées dans les classes inversées

En ce qui concerne l’item « Regarder des capsules vidéos en ligne », il n’y a pas de différence significative entre les Types 1, 2 et 3 (le taux de réponse est chaque fois au-delà de 90%). La seule différence est entre ceux-ci et le Type 0 (68%) avec un p<=0,01.

L’item « Réaliser des capsules vidéos » sépare de manière significative les Types 0 et 1 des Types 2 et 3 (qui manifestent des taux d’accord supérieurs). Le Type 3 est significativement différent du Type 1 (p=0,035), le Type 2 (taux de réponse de 70%) en est différent de manière encore plus significative (p=0,016). Pour le Type 1, on remarque une légère corrélation négative (-0,29) mais significative (p=0,0414) entre cet item et l’item « Regarder des capsules vidéos en ligne » : la pratique de la réalisation de vidéos par les élèves eux-mêmes n’est pas une caractéristique du Type 1.

Pour l’item « Travailler en groupe sur un sujet », le Type 3 est significativement différent du Type 1 (p=0,043) alors que le Type 2 (taux de réponse de 90%) n’est différent que marginalement (p=0,058) du Type 1. On remarque que le Type 0 recueille quand même 50% des choix. Pour le Type 3, on remarque une corrélation positive et significative entre cet item et les items « Réaliser des capsules vidéos » (p=0.0008) et "Préparer un exposé sur un sujet" (p=0,0031).
Les items « Consulter un site dédié à ma pratique », « Résoudre des exercices de savoir-faire en ligne », « Consulter les réseaux sociaux », « Répondre à un questionnaire des savoirs en ligne » ne présentent pas de différences significatives en fonction des types, même si le dernier concernant les questionnaires récolte un nombre élevés de réponses positives (y compris pour le Type 0).

L’item relatif à l’utilisation de forums de discussion « Participer à un forum de discussion », bien que peu représenté globalement, l’est cependant davantage pour le Type 2 que pour le Type 3 (p=0,038) et le Type 1 (p=0,0008).
Le dernier item « Préparer un exposé sur un sujet » est une caractéristique différentiant significativement les Type 2 et Type 3 (p=0,002) du Type 1. Pour le Type 3, on mentionne une corrélation positive (0,35) et significative (p=0,0031) entre cet item et « Travailler en groupe sur un sujet ».

5. CONCLUSIONS
5.1. Différentes configurations de classes inversées, un continuum soutenu par deux dimensions

La première partie de cette recherche visait à dresser une typologie des classes inversées. À partir de nos données, nous avons pu mettre en évidence deux types principaux de classes inversées (Figure 16) :

 le Type 1 très proche de la définition initiale, les leçons « à la maison »et les devoirs à l’école. Il s’agit d’un ensemble de configurations dans lesquelles les savoirs, définis par l’enseignant, sont transmis hors la classe par le truchement de différents médias (dont les vidéos) et où le temps en présence est favorablement consacré aux exercices, aux applications et à des situations-problèmes

 le Type 3 en constitue une évolution. Il s’agit d’une adjonction de Type 2 au Type 1. Le Type 2 semble finalement peu présent « à l’état pur » ; il s’agit d’une modalité dans laquelle les élèves ou les étudiants eux-mêmes vont chercher les savoirs dans les différents contextes (centres d’information et de documentation, centres multimédias, recherche informationnelle au sens large…) et préparent sur le sujet une activité de classe pour leurs collègues. On peut raisonnablement penser que les enseignants qui se sont impliqués dans une modalité de Type 1 passent, selon leurs options pédagogiques ou leurs disciplines, au Type 3 en adjoignant au Type 1 des caractéristiques du Type 2. Nous ne pouvons cependant pas déclarer que ce cheminement est prescriptif : peut-être passe-t-il « directement » au Type 3 sans essayer le Type 1 de manière exclusive ?

Nous avons également observé :

 Une différence significative en faveur du Type 3 sur le Type 1 quant aux compétences transversales exercées et développées chez les apprenants, le Type 1 portant davantage sur des compétences disciplinaires (p=0,02).

 Un rôle de l’enseignant comme transmetteur de savoirs moins présent dans le Type 3 que dans le Type 1 (p=0,031). Le rôle d’accompagnateur d’apprentissage est cependant bien présent dans les Types 1, 2 et 3 (sans différences significatives entre ces 3 types).

 Pour les différentes disciplines représentées, une analyse de correspondances semble indiquer une intensité plus élevée de pratiques suivant la modalité Type 1 dans les cours de mathématiques et suivant la modalité Type 3 en histoire et géographie. Le Type 2 « pur » est davantage présent chez les enseignants en français.

5.2. Distinctions pédagogiques entre les types

En ce qui concerne les activités effectives pratiquées par les élèves (mesurées par la fréquence de l’activité dans les différents types), on relève particulièrement :

 L’item « Préparer un exposé sur un sujet » est un item qui distingue fortement les Type 2 et Type 3 du Type 1 à l’avantage des deux premiers (p=0,002). Cette activité se fait en groupes surtout pour le Type 3.

 L’item « Travailler en groupe sur un sujet » démarque significativement (p=0,053) le Type 3 du Type 1 (à l’avantage du Type 3). Il s’agit d’une activité choisie par 50% des répondants pour le Type 0, 60% pour le Type 1 et environ 90% pour le Type 3.

 L’item « Réaliser des capsules vidéos » démarque, à leur avantage, le Type 2 (p=0,016) et le Type 3 (p=0,035) du Type 1.

 Finalement, l’item « Regarder des capsules vidéos en ligne » ne permet pas de distinguer les Types 1, 2 et 3. Il s’agit sans doute bien d’une caractéristique partagée des classes inversées et ceci avec différentes intensités.

5.3. Pour conclure…

Au terme de cet article, nous pouvons avancer que nous avons rencontré la plupart des intentions manifestées dans l’introduction. Nous avons ainsi décomposé l’amalgame conceptuel des classes inversées en mettant en évidence et en principal deux types relativement contrastés : le Type 1 très proche de la version originelle des Flipped Classrooms et le Type 3 une version à la fois enrichie et élargie, ancrée dans le premier type et complétée par des ingrédients d’un type, relativement rare à l’état pur, le Type 2. Ce type agirait comme une sorte de catalyseur pédagogique dans la mise en place du Type 3.

Cette recherche est cependant loin d’être aboutie. En particulier, nos mesures ne permettent pas de mettre en évidence des scénarios temporels types comme ceux que nous avons proposés dans la première partie de l’article : contextualisation d’abord (comme dans le cycle de Kolb ou l’enseignement stratégique de Tardif) ou conceptualisation d’abord (comme dans la méthode proposée par Mazur), telle reste la question. Aussi, il serait, malgré l’importance de notre échantillon, intéressant de l’étendre encore afin d’affiner certains éléments pour lesquels nous avons tout au plus pu montrer des tendances. Finalement, notre recherche installée dans le cadre de l’enseignement obligatoire (typiquement pour des élèves entre 6 ans et 18 ans) mériterait d’être complétée par des observations dans l’enseignement supérieur.

Il nous reste à analyser, en fonction des différents types mis en évidence, les effets différenciés de ces méthodologies sur des variables liées à la motivation, aux aspects collaboratifs des apprentissages sollicités, de la différenciation pédagogique au sein de la classe ... ce sera l’objet d’un prochain article.


Notes

[1Le lecteur curieux lira avec profit les billets de notre collègue Jean-Charles Cailliez (Université catholique de Lille) sur son Blog JC2. Il y parle volontiers de ses expériences concrètes de classes renversées (sic) et de l’évaluation inversée qu’il pratique : « J’essaie de leur faire comprendre que dans leur vie professionnelle future, leur patron ne vérifiera pas leurs connaissances et qu’il ne connaît pas lui-même les réponses aux questions qu’il pose ». http://blog.educpros.fr/jean-charles-cailliez/

[2“The flipped classroom describes a reversal of traditional teaching where students gain first exposure to new material outside of class, usually via reading or lecture videos, and then class time is used to do the harder work of assimilating that knowledge through strategies such as problem-solving, discussion or debates”.

[3Traduit par nos soins.

[4Voir la vidéo de la conférence TEDx donnée par notre collègue Jean-Charles Cailliez (Université catholique de Lille). La classe renversée. https://youtu.be/KMAONv3BPhs

[5On examinera le site du Flipped Learning Network piloté par Bergmann et Sams, les porteurs de l’appellation anglaise originelle des classes inversées. En particulier, l’acronyme FLIP a été explicité en : (F) Flexible environment, notre approche en flexibilité et en variété des événements d’apprentissage, (L) Learning culture, la centration sur les activités d’apprentissage, (I) Intentional content, un accent sur la mise à disposition de ressources utiles pour le développement de compétences, et (P), Professional educator, en inscrivant l’approche des classes inversées dans le développement professionnel des enseignants. https://flippedlearning.org/

[6Institute for Teaching and Learning Innovation, University of Queensland. About Flipped Classrooms. Consulté le 20 juillet 2016. http://www.uq.edu.au/teach/flipped-classroom/what-is-fc.html


Références bibliographiques

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