Les pratiques d’écriture créative en FLE. État des lieux et enjeux

Abstract
Creativity is a talent, whose emergence requires education and development. Nowadays, the introduction of creative writing activities alongside the teaching of a functional writing is considered in mother tongue as well as in a foreign language teaching and learning as a pedagogical model aimed at developing the creative potential of learners (Jolibert, 2007, p. 6). However, it was difficult for creative writing to be recognized as a valuable pedagogical and educational tool. It was first taught as a subject by this name around 1920 in USA. In France, pedagogical approaches such as the Freinet movement, the New Roman and OULIPO have played, each in their own way, their role in the use of writing workshops (Rossignol, 1996). This paper first proposes to take stock of writing practices in France, and secondly to show how creative writing has been implemented in Greece. It will finally examine the challenges for the FLE in Greece.

1. Le phénomène des ateliers d’écriture

La créativité est un talent dont l’émergence nécessite éducation et développement. Toutefois, l’école ne favorise pas le développement de la créativité via l’écriture : « elle semble accorder plus d’importance au produit final qu’aux processus en cause dans l’enseignement de l’écriture » (Turgeon, 2000).
La mise en place d’ateliers d’Écriture Créative en FLE à l’école grecque constitue une pratique qui pourrait contribuer à l’émergence de la créativité de l’apprenant parce que comme Bara, Bonvallet et Rodier le signalent pertinemment,

D’un point de vue méthodologique, l’atelier d’écriture créative a pour vertu de déplacer l’objet de l’apprentissage : les participants n’écrivent plus pour apprendre, pour être évalués par le professeur, pour passer un test ou un examen, mais bien pour prendre du plaisir. Cette fonction est peu utilisée en classe, où l’enseignement se concentre le plus souvent sur une langue utile, fonctionnelle, efficace. C’est pourtant un élément essentiel de l’apprentissage : le plaisir pris par les étudiants est une source de motivation incomparable, et la « découverte » de leur créativité, de leur imagination en langue étrangère leur fait prendre conscience que cette langue n’est pas seulement une matière scolaire, mais aussi un vecteur de communication. Ils « oublient » qu’ils travaillent en français et qu’ils sont en train d’apprendre. […] Il s’agit de faire écrire à partir de déclencheurs à imiter, reproduire, parodier, modifier des contraintes et des jeux littéraires. […] Il ne s’agit pas de former des écrivains, mais de faire pratiquer le français d’une autre manière, plus ludique, créative, imaginative et de dédramatiser l’écrit et les erreurs qui ne sont pas corrigées sur l’instant, mais qui peuvent l’être dans un second temps, soit collectivement soit individuellement (2013, p. 3-4).

Jolibert de sa part affirme que l’introduction des activités d’écriture créative parallèlement à l’enseignement d’un écrit fonctionnel est actuellement considérée en langue maternelle et étrangère comme une piste pédagogique visant à développer les potentialités créatrices des apprenants (Jolibert, 2007, p. 6).
Dans le premier volet de cet article, nous allons mettre en valeur les courants majeurs français du 20e siècle qui ont influencé le développement des ateliers d’écriture en France. Ensuite, nous passerons en revue l’historique des ateliers d’écriture en France et en Grèce, tout en montrant leur contribution à l’innovation de la didactique de l’écriture en FLE ces dernières années. Il s’agira enfin de faire l’état de lieux et d’en mesurer les enjeux pour l’écriture créative en FLE en Grèce.

2. L’évolution des ateliers d’écriture créative en France

L’imposition des ateliers d’écriture amène l’affranchissement d’une nouvelle étape institutionnelle, en premier lieu, avec l’utilisation graduelle des pratiques d’écriture hors de la classe et, en second lieu, parce que l’écriture se définit plus nettement comme un procès d’écriture et de réécriture. D’ailleurs la définition de l’atelier d’écriture donnée par Y. Reuter [1] en témoigne :

L’atelier d’écriture est un espace-temps institutionnel, dans lequel un groupe d’individus, sous la conduite d’un « expert », produit des textes, en réfléchissant sur les pratiques et les théories qui organisent cette production, afin de développer les compétences scripturales et méta-scripturales de chacun de ses membres (1989, p. 75).

En France, le courant de l’atelier d’écriture a connu un long parcours et un épanouissement sous des formes et des procédures diverses.

2.1. Les grands courants de pensée du 20e siècle

Les ateliers d’écriture français doivent leur origine d’une part aux creative writing workshops américains, mais aussi à des courants de pensée majeurs français, comme le mouvement Freinet, l’OULIPO et le Nouveau Roman. Il est donc bien normal que les expériences françaises du domaine se soient « démarquées du cousin américain » (Rossignol, 1996, p. 21). Des animateurs, comme Jean Ricardou, Claudette Oriol-Boyer et Anne Roche, se réfèrent au rôle que les ateliers d’écriture américains ont joué à l’ouverture de la voie pour les ateliers français (ibid., p. 26). Si la naissance de la pratique d’Écriture Créative est un peu louche en France, nous essaierons de dégager néanmoins les grands courants qui l’ont fondée.

Le mouvement Freinet
Célestin Freinet est un pédagogue français qui « pourrait parfaitement être considéré comme une des figures majeures des sciences de l’éducation » (Meirieu, 2015, dans Giauque, 2015) [2]. Après la Première Guerre Mondiale, il développe, avec l’aide de sa femme Élise et en collaboration avec un réseau d’instituteurs, toute une série de techniques pédagogiques basées sur l’expression libre des enfants : texte et dessin libre, correspondance interscolaire, imprimerie et journal scolaire, etc. [3]. Pour le mouvement Freine, les questionnements autour d’une pédagogie qui contestait des modes d’enseignement officiels ont joué un rôle important dans l’évolution des ateliers d’écriture français, proposant un remaniement de l’enseignement classique. Isabelle Rossignol met en valeur le postulat sur lequel reposaient les préoccupations des classes Freinet :

Les classes de Freinet étaient ainsi de véritables laboratoires de vie, où chacun apportait de l’extérieur les éléments qui composaient son univers, ceux-ci constituant les bases d’une leçon générale. C’est dans la lignée de ces découvertes que Célestin Freinet a inventé le texte libre (1996, 27).

En d’autres termes, les enfants doivent apprendre à s’exprimer par écrit et à s’enrichir à l’aide de leur propre vision du monde. L’idée qui guide le texte libre est que l’écriture de l’enfant doit occuper une place centrale dans le travail de la classe en tant qu’expression libre d’un sujet, adressée à d’autres pour être lue, discutée, donner lieu à un texte imprimé qui pourra être diffusé (Vergnioux, 2001,p. 151). Une pratique proche des ateliers d’écriture, même si le seul type de texte produit est le récit sans consigne ni contrainte précise. La production écrite est tout à fait libre. En racontant leurs histoires personnelles, les enfants produisent un récit ou écrivent un texte. Il ne s’agit pas pour autant d’écrire n’importe quoi, « le sens du texte libre est d’être « motivé », de façon interne (l’expression de soi) ou de façon externe (il est adressé à un correspondant) » (ibid., p. 155).
En ce qui concerne les ateliers d’écriture, l’expérience Freinet nous a fourni des réflexions, tant sur la position du maître « instituteur », que sur l’écriture centrée sur l’expression du sujet écrivant, producteur d’un texte dans et avec le groupe. L’activité scripturale est loin d’être perçue sous un aspect seulement littéraire. Elle est aussi utilisée comme support de la parole ou comme support pédagogique. Pour Freinet, et comme le signale Vergnioux, l’instituteur doit « respecter avant tout « l’originalité » de la pensée enfantine, dans ce qu’elle a d’« unique » et de profondément « humain », mais sans la sacraliser au point de laisser une orthographe et une syntaxe fautives » pour conclure que « si on se situe dans la perspective de faire progresser l’enfant dans ses capacités d’écriture (d’écrivain), il faut l’aider à améliorer son texte et ce travail doit se faire avec lui » (2001, p. 161). La position de la pédagogie Freinet envers l’écriture, a mis en évidence les relations qui se tissent entre les apprenants, l’objet de leur apprentissage et l’enseignant.

L’OULIPO
Un groupe d’écrivains et de mathématiciens proche des surréalistes, comprenant Raymond Queneau, François le Lionnais, Georges Perec, Italo Calvino, Jacques Bens et d’autres, ont fondé, après la deuxième Guerre mondiale, un mouvement littéraire connu sous le nom de l’Ouvroir de Littérature Potentielle (généralement désigné par son acronyme OULIPO). La tâche que les Oulipiens, ces créateurs artisans du langage, se donnent est d’extraire de la langue et de la littérature toutes leurs capacités intrinsèques, faisant face à la langue comme un système qui fonctionne avec des règles des mathématiques, autrement dit « il s’agit d’essayer d’utiliser des structures mathématiques dans la littérature » (Rossignol, 1996, p. 39) [4].
Ses participants aiment explorer les possibilités de la langue écrite et se réjouissent de créer des jeux qui par des contraintes de diverses formes vont faire fonctionner la langue et produire des textes. Ils mettent aussi en valeur le principe que l’apport de structures formelles et de contraintes peut être considéré comme un support pédagogique. En fait, « il existe plusieurs grandes familles de contraintes : combinatoire, jeux de lettres, jeux de mots, graphes, mathématiques, détournements, démarreurs, qu’ils utilisent pour se libérer de la tyrannie de l’inspiration » est indiqué dans OULIPO, la Littérature en Jeu(x) [5]. C’est ce que Perec ressentait en écrivant : « Au fond, je me donne des règles pour être totalement libre ». Comme exemple caractéristique, nous pourrions citer La Disparition, un roman en lipogramme écrit par Georges Perec en 1968. Il ne comporte pas une seule fois la lettre e [6].
Et si pour la pédagogie Freinet, il n’y avait ni consigne ni contrainte précise, l’OULIPO focalise sur le fonctionnement du scripteur qui doit être concentré sur la contrainte de forme en reléguant au second plan le sens. D’après Rossignol, ce qui est à retenir de la contribution du mouvement d’OULIPO à l’histoire des ateliers d’écriture en France est que :
  l’écriture est régie par des lois qui ne laissent découvrir que par le travail d’écriture ;
  l’acte d’écriture suppose une situation de communication : on écrit pour être lus (donc, compris par un lecteur) ;
  l’écriture soumise à des règles démythifie l’acte d’écriture :

  1. Les règles d’écriture apportent un cadre pédagogique : l’écriture peut être apprise et enseignée par tous et pour tous.
  2. Le cadre formel a un aspect ludique : on peut écrire avec et pour le plaisir. (1996, p. 44-45)

Le Nouveau Roman
Le Nouveau Roman a voulu casser les codes de la littérature traditionnelle balzacienne, bouleverser les formes romanesques, mettant en cause la définition traditionnelle du travail et de l’objet littéraire [7]. Son apport a aussi été remarquable pour les ateliers d’écriture grâce à sa manière révolutionnaire de considérer l’écriture. Les écrivains du Nouveau Roman ont redéfini plusieurs postulats dont le plus important porte sur la position du narrateur. Ils considèrent que la réinvention du roman suppose la réinvention de la façon dont l’écrivain regarde le monde. Michel Butor (1992) nous explique que ce regard ne peut être différent que s’il ne se met plus au centre du monde ; mais y prend place :

Le romancier sait que son inspiration ne vient pas d’en dehors du monde (...) ; il sait que son inspiration, c’est le monde lui-même en train de changer, et qu’il n’en est qu’un moment, un fragment (p. 153).

L’écrivain regagne, avec le Nouveau Roman, le statut du travailleur alors qu’« au cours du XIX siècle […] on assiste à la dévaluation de cette notion de travail : l’écrivain est alors dépossédé de ses efforts au profit de ce que certains appellent l’inspiration » (Simon, 1986, p. 13). L’écrivain agit donc totalement en sujet ayant une fonction de fabriquant ou d’artisan. Dans la même perspective, Butor (1992, p. 153) affirme que l’écriture est un « faire » plutôt qu’un « dire » :

Croire que le romancier a « quelque chose à dire » et qu’il cherche ensuite comment le dire, représente le plus grave des contresens. Car, c’est précisément ce « comment », cette manière de dire, qui constitue son projet d’écrivain (1992, p. 153).

L’écrivain dépossédé d’un substrat divin, libère l’écriture qui est maintenant à hauteur d’homme. Cette nouvelle perception de l’écriture a intéressé les ateliers d’écriture qui dans leur ensemble s’appuient sur le concept de l’écriture pour tous et sa fonction sociale (Rossignol, 1996, p. 33).
Ce tour d’horizon aurait dû fait apparaitre que les origines des ateliers d’écriture en France relèvent de la question de la conception de l’écriture et de son enseignement. Le mouvement Freinet a apporté aux ateliers français un modèle d’organisation de séances ; l’écriture se réalise dans et avec le groupe comme support pédagogique et comme outil pour l’apprentissage de la lecture. Grâce aux travaux de l’OULIPO, écrire est en effet assimilé au jeu ; les Oulipiens inscrivent l’écriture dans une logique de situation de communication et apportent leurs « recettes » aux enseignants. Finalement, c’est grâce au Nouveau Roman que l’écrivain « débarrassé de son rôle messianique » (Rossignol, 1996, p. 50) défend clairement l’idée qu’écrire peut être appris et enseigné.

2.2. Les Associations/Groupes importants

Nous allons par la suite faire une présentation concise des associations ou groupes qui ont joué un rôle important dans le phénomène de la naissance et de l’évolution des ateliers d’écriture en France. Les démarches retenues et présentées selon un ordre chronologique sont les suivantes : le Groupe d’Aix, l’Association Élisabeth Bing, le Groupe Français d’Éducation Nouvelle, le travail de Jean Ricardou et de Claudette Oriol-Boyer. Il faut toutefois signaler que les ateliers auxquels nous allons nous référer se différencient sur plusieurs aspects : le niveau du public cible, le lieu d’intervention (scolaire/parascolaire), ainsi que la méthodologie adoptée dans l’élaboration et l’application des ateliers.

Le Groupe d’Aix
« En France, c’est Anne Roche qui, la première, en 1968, eut l’idée de constituer des ateliers d’écriture sur un modèle proche des pratiques de writing dans les universités américaines » nous raconte Gilbert Desmée (2009, p. 53), poète, essayiste et animateur des ateliers d’écriture du primaire jusqu’à l’universitaire. Elle a donc proposé à l’Université d’Aix-en-Provence des « Cours de création poétique » [8] dans lesquels elle demandait aux étudiants, dans un premier temps, d’apporter des textes de leur composition pour les lire en groupe dans une expérience qui rejoignait directement les ateliers d’écriture américains. Ensuite, elle les incitait à écrire un roman collectif pendant le cours. Ses ateliers étaient fondés sur deux principes :
 tout le monde peut écrire,
 et la pratique de l’écriture apporte une compréhension interne aux fonctionnements textuels
Anne Roche demandait à ses étudiants de sortir de leur passivité et de partager leurs idées avec le groupe. Pour le Groupe d’Aix [9], il ne s’agit pas seulement de faire écrire, l’objectif est aussi d’améliorer la compréhension des mécanismes textuels, de conduire à la lecture experte. Observant d’un œil critique la pratique des ateliers du Groupe d’Aix, Gilbert Desmée signale :

Avec cette façon d’envisager l’atelier, nous restons dans une vision du lettré universitaire qui tente de replacer la création, le rapport à l’écriture […] et de le travailler scientifiquement. […] Les ateliers d’écriture sont certainement nés dans cette contradiction : partir de ce qui nous marque (l’écriture de l’école) pour arriver à l’écriture singulière. Nous voyons la difficulté (2009, p. 53).

Nicole Voltz, coauteur avec Anne Roche et Andrée Guiguet de l’Atelier d’Écriture (1989), affirme que l’objectif de ces premiers ateliers était centré sur la libération de la parole et de la personne : « Nous commencions à nous apercevoir que quand on ouvrait la porte à l’expression un vent de liberté se mettait à souffler… » (2007). L’efficacité n’était pas à exclure, mais pour les étudiants qui s’inscrivaient à ces cours primait le désir d’être entendus et écoutés. Plus tard, la demande d’efficacité, c’est-à-dire la découverte de techniques à réutiliser dans d’autres disciplines a été recherchée.
L’OULIPO a beaucoup servi au Groupe d’Aix comme « les enseignantes ont beaucoup travaillé à partir de toutes sortes de procédures formelles susceptibles de déclencher des procédures d’écriture » (Rossignol, 1996, p. 57). De plus, du point de vue évaluation [10], les étudiants ont travaillé à partir de contraintes dont le fonctionnement est analysé et évalué. Le groupe d’Aix a mis en évidence des questions cruciales sur la nature et l’utilité des ateliers d’écriture au sein de l’université.

L’Association Élisabeth Bing
En 1969, Élisabeth Bing met en place des ateliers dans un Institut Médico-Pédagogique auprès d’enfants en difficulté, qui sont les premiers en France à porter le nom « Ateliers d’Écriture ». Par opposition aux ateliers américains, leur philosophie s’inscrit dans la voie de la filiation avec la pédagogie Freinet : donner libre cours aux scripteurs afin d’écrire ce qu’ils ressentent, ce qu’ils ont envie. Il ne faut pas oublier qu’elle travaille avec des enfants en difficulté, se plaçant dans une optique thérapeutique, avec des enfants à la marge du système, dans des centres médicaux spécialisés. Ses ateliers visent à aider les enfants à se familiariser avec l’écrit et à se réconcilier avec la langue. Son expérience est décrite dans son ouvrage célèbre …et je nageai jusqu’à la page [11]. Elle propose des contraintes ou consignes d’écriture, souvent propices à ce que les participants expriment leurs goûts, leur vécu, leur ressenti.
Dans l’association non lucrative qu’elle a créée en 1981, elle poursuit son expérience débutée en 1969. Son intention est d’approfondir et d’élargir les intuitions acquises lors de cette première expérience (Rossignol, 1996, p. 61). Élisabeth Bing précise qu’elle appuie les fondements de son expérience sur « sa propre passion douloureuse de l’acte d’écrire et son amour de la littérature » (ibid.).
La démarche suivie au sein de l’association a profondément évolué au fil du temps, tout en restant fidèle aux intuitions initiales ; la définition suivante [12] que l’Association Bing nous fournit pour l’atelier d’écriture en témoigne :

Un atelier d’écriture c’est : un temps pour entendre la proposition, un temps pour écrire, un temps pour entendre et commenter les textes tout juste écrits et entendus. Un atelier d’écriture réunit des gens venus tester leurs textes sur des lecteurs, venus pour surmonter des difficultés à écrire ou tout simplement pour partager le plaisir d’écrire avec d’autres. Un atelier d’écriture c’est : des lecteurs bienveillants, mais pas complaisants, le plaisir de découvrir l’univers dont les autres sont porteurs, une possibilité d’avoir des retours sur ses textes et de progresser dans son travail d’écriture.

Malgré les critiques qu’elle a subies, surtout faute de théorisation de l’écriture et des écrits, il ne faut pas négliger l’importance de certaines dimensions intégrées dans les dispositifs de ses ateliers comme le rôle du groupe avec les notions d’écoute bienveillante, de travail de réassurance et de dimension communicationnelle, ainsi que le rôle de déclencheur et de support pour l’imaginaire des mythes et des légendes (Monte, 2012). Les ateliers Bing accueillaient jusqu’au 30 mars 2018 [13] tous les amateurs de l’écriture, en proposant une très grande gamme d’ateliers généralistes ou d’approfondissement d’un genre.

Le Groupe Français d’Éducation Nouvelle (GFEN)
À propos des « Origines et jalons historiques » du groupe qui s’inscrit au mouvement plus large de l’éducation populaire, nous pouvons lire sur son site :

Issu de la Ligue Internationale de l’Éducation nouvelle, le G.F.E.N. a été créé en 1922 à l’initiative de savants et d’éducateurs qui, au sortir de la première guerre mondiale, ont ressenti l’urgence de lutter contre l’acceptation fataliste par les hommes, de la guerre comme solution. L’un de ses principes fondateurs était : « L’éducation nouvelle prépare, chez l’enfant non seulement le futur citoyen capable de remplir ses devoirs envers ses proches et l’humanité dans son ensemble, mais aussi l’être humain conscient de sa dignité d’homme » [14].

Le GFEN a donc pour objectif de repenser le modèle éducatif. Des personnalités comme Freinet ou Wallon adhérèrent en leur temps à ce projet dans leur désir de transformer les mentalités d’avant-guerre.
En 1968, le GFEN, considéré comme un lieu de recherche, est devenu un mouvement fixe avec des secteurs différents comme le secteur « poésie » organisé en 1972 par Michel Cosem à Toulouse. Ses ateliers ont été animés exclusivement par des poètes et visaient l’établissement d’un lien entre l’intellectuel et la pratique scripturale. Il s’appuie sur un large réseau de pédagogues et de praticiens et va aussi bien prêcher vers les milieux enseignants que vers le grand public, militant pour une socio-construction du savoir. « Face aux échecs de l’apprentissage de la lecture à l’école, le GFEN développa une nouvelle politique d’écriture puisqu’à l’instar de Freinet, il défendait l’idée que l’on apprend à lire en écrivant » (Rossignol, 1996, p. 68). Ses ateliers d’écriture étaient « engagés dans un combat social. […] Selon le GFEN, en effet l’école ne donne pas la possibilité aux enfants de se développer en fonction de leur expérience de vie, ce qui engendre des inégalités » (Rossignol, 1996, p. 69). C’est pourquoi, il propose de prendre en compte les apprenants en tant que sujets et de partir de leur vécu pour construire leur savoir, ce qui peut, d’après Michel Ducom (1988, p. 7), impliquer « la transformation du personnage » [15].
En effet le GFEN propose plusieurs types d’ateliers d’écriture. De cette diversité, deux concepts émergent : le « Tous capables » et la théorie de construction des savoirs. La devise puissante du groupe, répandue aussi par son président Jacques Bernardin [16] « tous capables », est très importante lors de la pratique d’un atelier d’écriture. En effet, l’atelier d’écriture a pour fonction de recréer un espace de liberté, de sorte que chacun accède à l’expression de sa pensée individuelle. Dans L’atelier d’écriture, Michel Ducom le met en valeur : « La raison de l’atelier d’écriture est de permettre la réappropriation de l’acte d’écriture comme forme de pensée » (ibid.).

Le cheminement vers la construction de son savoir passe pour l’apprenant par trois phases fondamentales : auto-socio-construction. Ce concept « est issu du travail de grands noms de la psychologie constructiviste parmi lesquels on peut citer Piaget et Wallon » [17].
 Dans la première phase auto, ou brouillonne, les participants, après avoir écouté plusieurs consignes lancées par l’animateur, sont invités à écrire. « Écrire est ainsi une médiation entre eux et les autres » (Rossignol, 1996, 73).
 Dans la seconde phase socio, les textes écrits sont lus et affichés au groupe. Les participants lisent leurs textes et chacun s’interroge sur la lisibilité et l’efficacité du sien, procédant à une sorte d’auto-évaluation.
 À partir de ces premières lectures, l’écriture se poursuit dans la troisième phase, celle de construction. La production d’un nouveau texte à partir des observations effectuées pendant la phase socio, autrement dit la phase de la socialisation des écrits, y est réalisée. Il s’agit de l’écriture d’un autre texte, d’un nouveau texte, dont la production est due à la conjugaison des mots des autres.
Au cours d’un processus de destruction-reconstruction permanent dont le but est de conduire à l’affirmation de soi, ces mots sont sans cesse affichés, découpés, reconstruits ; c’est ce que souligne Michèle Chedemois (1988) : « Le dispositif de l’atelier met en évidence que l’on n’écrit jamais seul. On écrit pour ou contre des textes d’autres » [18]. L’écriture dans les ateliers du GFEN est donc vécue et réalisée de façon collective et associative, constamment mise en situation, de façon à ce que le participant s’implique et prenne position. Le Secteur Poésie-Écriture du GFEN et la revue Encres Vives donnent une nouvelle impulsion aux ateliers d’écriture [19].
Nous pourrions donc dire que les ateliers du GFEN ont subi, d’une part, l’influence du mouvement Freinet (démythification de l’enseignant, centration sur l’expression du sujet, atelier fait avec et par le groupe), mais aussi des Oulipiens (écriture constamment mise en situation, démythification de l’inspiration comme fait générateur de l’Écriture).

Dans l’orbite du Nouveau Roman. Le travail de J. Ricardou et Cl. Oriol-Boyer
Les ateliers d’écriture élaborés par Jean Ricardou et Claudette Oriol-Boyer, dans les années 80, ne représentent aucun groupe ou association. Tous les deux travaillaient séparément, mais en échange permanent. Ils présentent un type d’atelier dans lequel le travail sur le texte se trouve en position dominante. La théorie commune qui fait cohabiter leur travail est la Textique, une théorie du texte, fondée par Ricardou et élaborée à partir de son travail sur le Nouveau Roman et de sa propre pratique d’écrivain (Rossignol, 1996, p. 75).
La Textique revient à la question fondamentale : comment faire pour parvenir à l’écriture d’un texte ? En atelier, le scripteur doit apprendre à devenir son propre lecteur ; à travers la perception des réactions produites par les auditeurs / lecteurs. La théorie de la Textique, assez complexe, opère une distinction entre l’« écrit » et le « texte ». En effet, alors que l’un posséderait une fonction d’information, le second résulterait d’une activité de création, en réaction à un certain nombre de contraintes et de règles établies, énoncées dès le départ par l’animateur. Le texte découlerait donc d’une certaine logique. Ricardou stipule qu’écrire est un acte qui s’apprend, tant en lisant et décortiquant les textes des autres qu’en lisant et réécrivant ses propres textes. Si écrire s’apprend, c’est sur cet apprentissage que Ricardou travaille dans ses ateliers. (Rossignol, 1996, p. 75-82). Ricardou et Oriol-Boyer sont de l’avis que le texte se construit sur deux bases, un pôle idéel (celui du sens, du signifié) et un pôle matériel (celui du signifiant, graphique ou phonétique). Le texte « intéressant » est celui qui tisse un maximum de relations entre ces deux pôles (Rossignol, 1996, p. 77).
Ricardou attache une grande importance à l’apprentissage de l’écriture : « Apprendre à écrire c’est apprendre à penser » (Ricardou, 1989, p. 113). Dans ce contexte, l’atelier d’écriture est le lieu dans lequel des artisans travaillent ensemble sur un objet unique qui subit les modifications que chaque membre du groupe effectue selon ses compétences. Le texte produit s’améliore à travers ce travail collectif et constructif.
Le travail de Claudette Oriol-Boyer complète cette vision de l’écriture s’appuyant sur la théorie de Ricardou. En tant que professeur de littérature à l’Université de Grenoble III, elle transmet à ses étudiants l’idée que l’écrit est « le résultat d’un ensemble d’opérations effectuées auparavant, opérations (de relecture et réécriture) » dont il est fondamental « de s’approprier les mécanismes pour construire une compétence lectorale » (Oriol-Boyer, 1988, p. 1). Elle s’attache à élaborer une didactique centrée sur la connaissance du matériau texte. Ce point d’ancrage théorique lui permet d’étudier le texte dans sa relation avec la langue, de l’envisager d’un point de vue « poétique » [20]. Elle pense que, pour qu’il y ait une réelle appropriation du savoir, tout apprentissage doit être associé à une pratique de production et de recherche, (Oriol-Boyer 1988, p. 13).
Elle considère l’écriture comme une discipline susceptible d’être enseignée (1988, p. 3). Dans la pratique de l’atelier, il s’agit de mener le scripteur vers une bonne lecture de son texte ; cela signifie que toute activité de lecture devrait être envisagée comme une activité préalable à l’activité scripturale, peu importe le type ou le genre de texte à produire. Le modèle de la rédaction du texte qu’elle propose s’appuie sur l’interaction de l’écriture et de la lecture. C’est un modèle en spirale [21]. Oriol-Boyer explique que « la spirale désigne un enchaînement d’opérations effectué par l’écrivain lorsqu’il tente de produire un texte » (ibid.). Elle divise le processus d’écriture-lecture-réécriture en quatre « opérations » symbolisées par les quatre quartiers du carré. Elle signale également que, même s’il existe une progression le long de la spirale, des sauts sont possibles, en donnant l’exemple des phénomènes de réécriture ponctuels qui peuvent apparaître pendant une phase de relecture. Enfin, elle précise que toute phase « peut avorter » et mener à un échec du projet.
En guise de conclusion, on peut dire que les ateliers d’écriture de Jean Ricardou et de Claudette Oriol-Boyer sont principalement centrés sur l’écrit littéraire. Leur apport essentiel réside dans l’introduction de la lecture comme composante fondamentale du travail scriptural.
Avant de clore cette présentation, il faut signaler que la sélection de quatre démarches retenues a été réalisée selon les critères suivants :
  elles étaient théoriquement pensées et articulées autour d’un concept ;
  il était possible de définir à travers elles des tendances générales ;
  leur contribution à l’innovation de la didactique de l’écriture a été considérable.

3. L’évolution des ateliers d’écriture créative en Grèce

Nous allons par la suite essayer de tracer l’évolution des ateliers d’Écriture Créative en Grèce, qui comme en France doivent leur origine aux creative writing workshops américains. Notre recherche a été bibliographique et s’appuie surtout sur les travaux de Kouzeli (2015), Kotopoulos (2014), Vakali (2014) et Tsilimeni (2012). En premier lieu, nous allons nous référer à des ateliers parascolaires, qui s’adressent plutôt à un public adulte, pour passer ensuite à la présence de l’Écriture Créative dans la réalité éducative en Grèce.

3.1. L’Écriture Créative, une pratique nouvelle en Grèce

L’Écriture Créative est enseignée pour la première fois en Grèce par le poète Nikos Fokas [22] sous forme de séminaires organisés à la XEN [23] d’Athènes en 1983 (Kouzeli, 2015). Il s’agit d’ateliers de création littéraire dont l’ambition est d’initier les scripteurs au « métier » d’écrivain. Nikos Fokas, à l’époque, revenait juste des États-Unis où il avait suivi des séminaires à l’Université d’Iowa, invité de son Ιnternational Writing Program. Ces ateliers ont été actifs pendant une décennie et ils ont joué le rôle de pépinière d’écrivains. Parmi les apprenants se trouvaient la (future) poète Aggeliki Sidira et la (future) romancière Zeta Koudouri qui, en 2007, a créé son propre atelier d’écriture pour le Club Étudiant de l’Université d’Athènes, où elle a enseigné l’Écriture Créative jusqu’en 2009 (ibid.).
Plus tard, au début des années 2000, les premiers ateliers d’Écriture Créative font leur apparition, produit d’initiatives privées comme celle de Christiana Labrinidi qui s’est occupée de l’écriture féminine, et, qui, en 2002, a publié l’œuvre collective La vengeance de Barbie, Essais sur l’Écriture féminine (Tsilimeni, 2012).
Au cours de cette décennie, la situation évolue rapidement et c’est le Centre Européen de Traduction, Littérature et Sciences humaines (ΕΚΕΜΕΛ) et le Centre National du Livre (ΕΚΕΒΙ) qui, en 2002 et en 2005 respectivement, ont organisé des ateliers annuels au cours desquels les participants avaient l’occasion d’explorer les différents genres littéraires : nouvelle, roman, poésie (Tsilimeni, 2012, Kouzeli, 2015). Les séminaires d’Écriture Créative ont été organisés jusqu’en 2012, date à laquelle les activités du Centre National du Livre ont été suspendues.
Ensuite, le relais a été effectué par des éditeurs comme Metaichmio (en 2007), Patakis (en 2011) et Ianos (en 2013) qui organisent leurs propres ateliers d’Écriture Créative. Ils publient en même temps des manuels sur l’art de la fiction avec des séries de titres comme La cuisine de l’auteur des éditions Patakis. Le rôle des animateurs/ enseignants des ateliers est confié à des écrivains reconnus, comme Rea Galanaki ou Michel Fais (Tsilimeni, 2012). L’intérêt vif du grand public élargit le cercle des articles sur le sujet, avec, pour résultat, la mise en place de la rubrique Enterrés sous les mots de l’écrivain Michel Fais à la Bibliothèque, encart du journal Eleftherotypia, dont l’ambition est de présenter au grand public les ateliers d’écriture d’un grand nombre d’écrivains connus. D’une façon générale, l’objectif de ces ateliers est de « dévoiler les secrets de la fiction et de renforcer l’avis que l’art de l’écriture peut être enseigné, ce qui constitue une discipline et un terrain d’études autonome pas seulement au niveau universitaire pour le monde anglo-saxon » (Mc Vey, 2008) puisque l’Écriture Créative « est liée à la notion de la créativité en général et en particulier sur le champ linguistique » (Tsilimeni, 2012).
De nombreux articles de presse concernant le phénomène des ateliers d’Écriture Créative posent la question de l’enseignement de l’art de l’écriture, et sont illustrés d’interviews, d’opinions, soit de responsables d’ateliers, soit d’écrivains célèbres (Galanaki, Papatheodorou, 2015).
Ces dernières années les ateliers d’Écriture Créative organisés par des maisons d’Édition (Patakis, Gutenberg, Topos, Népheli…), sont en plein essor, surtout à Athènes. Il semble que la crise économique est liée au phénomène : le marché du livre étant en baisse constante, les éditeurs, les écrivains et les libraires cherchent des alternatives pour créer un revenu complémentaire. Notons que l’infrastructure matérielle existe depuis la décennie de prospérité, 1997-2007. La grande croissance du marché du livre à l’époque, a permis aux éditeurs (Ianos, Metaichmio, Patakis, Psychoyios) d’investir dans des locaux plus vastes et des espaces polyvalents qui pourraient répondre aux besoins des activités à caractère récréatif et éducatif.
Quant à la présence de l’Écriture Créative dans le système éducatif grec, celle-ci date de 1996 et pourrait être caractérisée comme sporadique et non systématique jusqu’au début du XXIe siècle. D’après Kotopoulos,

La communauté scientifique grecque a récemment commencé à réaliser l’existence de cette discipline neuve et ancienne à la fois. Les questions fondamentales relatives à la nature de l’E.C.(la définition de la créativité, de la création et de la littérature, des questions de poétique ou encore narratives et pédagogiques) commencent à préoccuper la communauté éducative grecque au niveau institutionnel dès la dernière décennie. (2014).

3.2. Les premiers pas de l’Écriture Créative dans la réalité éducative grecque

En Grèce, c’est en 1996 que l’Écriture Créative « est enseignée pour la première fois comme cours universitaire à des départements de langues étrangères à Athènes et à Thessalonique » (Dioudi, 2012, p. 74-75 et Tsilimeni, 2012). Ce sont donc les départements de Langue et Littérature Anglaise des Universités grecques qui introduisent la nouvelle matière dans le système éducatif grec, dans un effort de stimuler l’intérêt des étudiants pour la littérature et l’art de l’écriture. En ce qui concerne le FLE, l’Écriture Créative est enseignée comme cours universitaire depuis 2012 au Département de langue et de littérature française. Polytimi Makropoulou, professeur assistante et animatrice de l’atelier, lors d’un entretien nous a affirmé que :

Ce cours vise à améliorer le niveau de langue des étudiants/étudiantes, tout en libérant leur expression créative et en les initiant progressivement à l’art de l’écriture. Dans un premier temps, ils sont invités à étudier des textes supports, appartenant à divers genres littéraires, afin d’y découvrir leurs structure et caractère spécifiques. Dans un deuxième temps, ils sont invités à s’engager dans un projet d’écriture personnelle (poème, récit, conte etc.) à l’aide de plusieurs techniques scripturales pratiquées le long des cours. Le cours est évalué par une épreuve écrite à la fin du semestre mais aussi par des exercices donnés pendant les cours ainsi que par la participation active des étudiants/étudiantes.

De cette façon, les étudiants travaillent aussi bien sur la langue que sur la littérature. L’atelier de l’Écriture Créative constitue une proposition alternative à l’enseignement de la littérature à l’université, une proposition nettement plus créative centrée sur le regard de l’écrivain.
Jusqu’en 2013, vingt-quatre cours universitaires (inclus ceux au niveau master) adoptant la logique de l’Écriture Créative ont été enregistrés (Filippopoulou, 2013, p. 9-15). Il faut noter que Tassoula Tsilimeni à l’Université de Thessalie [24] et Andreas Karakitsios à l’Université Aristote de Thessalonique [25], enseignent la discipline de l’Écriture Créative depuis une quinzaine d’années dans le cadre du Programme des études au Département des Sciences de l’Éducation préscolaire et primaire. Tous deux considèrent que l’écriture, ou même la lecture, d’un poème aide au développement de la créativité de l’individu et constitue également une activité d’épanouissement qui aide à l’intégration de l’enfant dans le groupe (Karakitsios, 2016, p. 23-24 dans Nikolaidou, Tsilimeni, 2015).
La mutation rapide du paysage au niveau universitaire est principalement due à la mise en place du premier master en Écriture Créative à l’Université de Macédoine de l’Ouest en 2008, dirigé par Mimis Souliotis [26] et de nos jours par Triantafyllos Kotopoulos. Depuis 2015, un second programme de master en Écriture Créative est proposé par le Département d’Éducation Préscolaire et Primaire de l’Université Aristote de Thessalonique.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier de mentionner l’organisation très réussie des trois Congrès Internationaux d’Écriture Créative par l’Université de Macédoine de l’Ouest [27], avec la participation d’un grand nombre d’interventions très intéressantes qui ont favorisé un dialogue et des échanges fructueux dans un haut niveau scientifique. La présence d’éminents scientifiques spécialistes en Écriture Créative comme Andrew Cowan - East Anglia, Lan Samantha Chang - Iowa, Anthony Caleshu - Plymouth, Robin Hemley -Yale, Hervé Le Tellier - OuLiPo y ont largement contribué.
Littérature et Écriture Créative tissent des relations étroites dans le système éducatif d’après André Petitjean (2005) qui perçoit « l’écriture d’invention » (Écriture Créative) comme une activité d’écriture liée à la théorie, mais aussi à la pratique de la littérature. Par ailleurs, dans son livre Enseignement de la Littérature et Écriture Créative, Andreas Karakitsios vérifie la relation de l’Écriture Créative, tout d’abord, avec la Rhétorique, puis, avec la Littérature et nous informe de l’aventure de son enseignement en Grèce depuis 1877 (2013, p. 30-36). Selon lui, ce qui figure toujours comme priorité dans l’enseignement de l’Écriture Créative est le développement de la créativité, de l’imagination et d’« autres compétences spécifiques en rapport direct et indirect avec la composition, la transcription et l’adaptation des textes littéraires » (Karakitsios, 2013, p. 254).
Le Programme d’Études de la dite « Nouvelle École » valable depuis 2011, pour le cours de la Littérature Grecque Moderne (de l’école primaire au lycée) prévoit notamment que les apprenants soient capables de concevoir les textes littéraires comme des œuvres d’art, qu’ils puissent comprendre la spécificité du langage littéraire, qu’ils participent, qu’ils interprètent et qu’ils découvrent à travers des activités proposées leurs compétences artistiques, ce qui leur permettra de façonner consciemment et d’exprimer leurs croyances et convictions (Programme d’Études pour l’Enseignement de la Littérature au Primaire et au Collège, 2011, p. 21-22). Il fixe comme objectif général « l’instruction critique envers la civilisation contemporaine » (ibid. 21). Ce qui signifie que l’approche et l’enseignement des textes littéraires peut être utilisé comme outil pour que les apprenants puissent mieux appréhender le monde, les valeurs, la civilisation contemporaine, leur identité et qu’ils soient en mesure d’adopter une attitude critique par rapport aux messages reçus.
Pour l’école primaire, comme d’ailleurs pour le Collège, le Programme d’Études en question, recommande aux enseignants d’utiliser les nouvelles technologies au cours de l’enseignement de la Littérature (ibid. p. 10-12) et leur propose aussi le recours à des outils et des techniques didactiques comme le projet pédagogique, la méthode de la dramatisation, la présentation d’un livre par un groupe d’élèves et la mise en place d’un scénario pédagogique. Il propose même des scénarios pédagogiques applicables à chaque classe du primaire et du Collège (ibid. p. 10-30). Pour le primaire, où la littérature est enseignée pendant une heure par semaine, il propose des scénarios focalisant sur :
  1re classe : Le conte, la comptine, la poésie, la BD ;
  2e classe : La poésie et la chanson ;
  3e classe : Un voyage imaginaire à l’aide du livre littéraire ;
  4e classe : La BD ;
  5e classe : Les histoires d’humour ;
  6e classe : La science-fiction (ibid.30-68).
Pour le Collège, il propose des scénarios pédagogiques qui mettent l’accent sur :
  1re du Collège : Des images de la Grèce à travers des textes poétiques ;
  2e du Collège : Portraits d’adolescents ;
  3e du Collège : Individu et Société (ibid. p. 98-113).
Le système éducatif grec, même avec ses nouveaux Programmes d’Études, insiste sur certains genres textuels, sans toutefois pouvoir nier qu’il accorde aux élèves une liberté et des motifs pour qu’ils expriment des idées personnelles, des émotions et des sentiments. La production écrite, la « rédaction » comme on l’appelle encore, fait partie intégrante de l’enseignement linguistique et parcourt tous les niveaux du système éducatif, tous les types d’évaluation, intégrant l’expression des élèves à sa logique.
La connaissance des fonctions d’un texte, l’approche de sa structure et de la façon dont il a été composé peut conduire à sa recomposition, ce qui est le point de départ de toute Écriture Créative. Tandis qu’en même temps, l’apprenant représente la vie avec ses contradictions et ses incohérences, signale judicieusement Kotopoulos (2012). Le système éducatif grec a utilisé des techniques didactiques différentes, ainsi que plusieurs dénominations pour indiquer la production écrite : « je pense et j’écris » pour l’école primaire, « la rédaction », « la synthèse », ou bien ces dernières années « la production écrite » ; l’apparition d’exercices d’« Écriture Créative » font allusion à un domaine plus vaste ou nomment ainsi la « production écrite ».
Pour ce qui est du Programme d’Études de la Nouvelle École (2011) pour le Collège, celui-ci propose aux apprenants d’entreprendre :
  le récit des événements d’un texte littéraire sous des angles différents dans le cadre d’activités d’écriture créative (1re du Collège) :
  la transformation de textes littéraires, mais aussi d’autres types de textes, la conversion du discours oral vers l’écrit en marquant les différences entre les deux types de discours (2e du Collège) ;
  la complétion d’ un texte inachevé et la rédaction d’un texte multimédia ayant un destinataire précis (3e du Collège).
Dans les manuels de la Nouvelle École, on trouve presque une trentaine d’activités d’Écriture Créative.
De façon officielle, l’Écriture Créative apparaît pour la première fois à l’École Grecque en 2011 dans le Programme d’Études pour la 1e du Lycée [28] (FEK 1562/27-6-11) avec des activités proposées et des suggestions adressées à l’enseignant pour l’aider à implémenter l’atelier au processus éducatif. La philosophie du Programme dirige les apprenants vers l’étude des types textuels qui font partie d’une certaine réalité sociale. Il est significatif que dans les manuels scolaires « est enregistrée de manière exhaustive la présence de plus en plus réduite d’activités d’Écriture Créative du Collège au Lycée, comme d’un niveau d’éducation à l’autre, on demande aux apprenants de moins en moins de choses créatives » (Vakali, 2014, p. 414). Dans les manuels du lycée, nous en avons repéré une vingtaine, mais ce qui est à souligner est l’absence absolue de la production de textes poétiques. Ces activités demandent aux apprenants :
 de produire des titres sérieux, dramatiques, humoristiques pour le même texte ;
  de produire des dialogues fantastiques ;
  de produire« trois récits différents » de trois points de vue différents ;
  de produire« une histoire comique, une satire, une parodie » ;
  d’inventer un jeu de mots, une caricature ;
  d’écrire dans leur journal intime à propos d’un sujet précis.
En guise de conclusion, nous pourrions dire que les activités d’Écriture Créative proposées dans les manuels du primaire et du secondaire ne sont pas nombreuses et sont étroitement liées avec l’enseignement de la littérature. L’Écriture Créative comme discipline autonome est enseignée seulement dans les Collèges Artistiques, peu nombreux en Grèce. Malgré tout, il faut noter que les nouveaux programmes analytiques, même s’ils optent pour l’approche interprétative de la Littérature, ne rejettent pas l’application des activités d’Écriture Créative, puisque « l’expression artistique » des apprenants est insérée dans les objectifs de la matière de la Littérature. On espère bien que le « climat international et les efforts (au niveau national) visant à remédier à l’approche unilatérale des textes littéraires commencent à porter ses fruits » (Kotopoulos, 2014).

3.3. Le réseau périphérique d’Écriture Créative des Langues Étrangères

La question de l’implémentation de l’Écriture Créative dans l’enseignement des langues étrangères au primaire et au secondaire en Grèce s’est étendue ces dernières années. Une initiative méritant d’être mentionnée est celle de la création du Réseau local d’Écriture Créative pour les langues anglaise et française de la Direction de l’Éducation primaire de Thessalonique de l’Est pour l’année scolaire 2015-16. L’expérience positive du réseau au niveau local, débouchant sur la création d’un ouvrage collectif [29] avec les productions des classes qui y avaient participé, a permis la création du Réseau périphérique de la Macédoine Centrale pour les langues anglaise, française et allemande en 2016-2017.
Les participants, des enseignants grecs de langues étrangères, ont suivi deux séminaires de formation, le premier sur le contenu, le matériel et les objectif du réseau et le second sur des techniques d’Écriture créative ; ainsi que deux ateliers ayant comme sujet le Story telling et le Digital story telling. Ils ont travaillé avec leurs classes sur plusieurs genres de textes, comme le conte, la poésie et la BD utilisant à leur gré l’outil informatique, des logiciels de création de BD ou d’enregistrement des productions des élèves, etc. Les productions du réseau ont été réunies et publiées par les conseillers pédagogiques impliqués, sous forme d’un ouvrage collectif intitulé Un sac plein d’histoires disponible sur : https://goo.gl/VJnwWm. Cet ouvrage comprend les objectifs fixés par les fondateurs du réseau ainsi qu’un calendrier des activités qui ont eu lieu lors de son déroulement (séminaires, ateliers, journée de diffusion des projets réalisés). Les deux réseaux ont été implémentés au primaire sous forme de projets culturels et les enseignants des départements de Serres, de Thessalonique et de Chalcidique étaient appelés à y participer sur une base de volontariat. Malheureusement, cette initiative est restée sans suite.
L’Institut Français de Thessalonique a pris le relais pour l’année scolaire 2017-18 lançant le projet d’Écriture Créative « Écrivains en herbe » qui consistait à la création d’un album de jeunesse, en partenariat avec les conseillers scolaires de Thessalonique et de Macédoine centrale pour le français. L’auteur grec d’albums de jeunesse, Filippos Mandilaras, a créé le texte déclencheur à partir duquel les enfants devaient inventer leur histoire. Une rencontre avec l’auteur, qui leur a donné sa propre version de l’histoire, avait été prévue lors du Salon du Livre du 3 au 6 mai 2018 à Thessalonique. Les enseignants, souhaitant participé, ont suivi des ateliers de formation sur « l’Écriture Créative auprès des élèves de primaire ». Le projet permettait aux enseignants de « proposer dans le cadre du programme scolaire, un travail qui engage la motivation des élèves, leur savoir-faire linguistique et artistique tout en proposant une formation pratique aux enseignants qui ont l’occasion d’appliquer leurs connaissances pendant l’année scolaire » [30].
Pour conclure, toutes ces initiatives sont remarquables, attirent l’attention des enseignants de langues étrangères qui désirent engager la motivation de leurs élèves, mais restent sans suite, car elles ne sont pas inscrites dans un cadre institutionnel de caractère permanent. Ainsi, chaque année les enseignants qui veulent travailler avec des techniques d’Écriture Créative doivent, soit créer leur propre projet, soit attendre les initiatives des Conseillers pédagogiques ou de l’Institut Français de Thessalonique.

4. CONCLUSION

Pour conclure, la présente étude a pu mettre en évidence que le phénomène des ateliers d’écriture pourrait être envisagé, d’une part, comme loisir, c’est-à-dire comme « des lieux marginaux où le bon savoir réparateur chercherait à être transmis » et, d’autre part, comme « des lieux où l’on apporterait des techniques susceptibles d’apprendre à écrire » (Rossignol, 1996, p. 104). Ces deux points de la répartition (centration sur le sujet) et de la maîtrise de la langue écrite (centration sur le formel) constituent les deux pôles des ateliers qu’on retrouve dans toutes les pratiques d’animation (séparément ou ensemble) en France et en Grèce.
Du point de vue de leur accueil chaleureux du public, Alain André avance les raisons suivantes, qui expliquent le succès collectif rencontré par les différentes tendances et groupes à l’origine du développement des ateliers d’écriture :
  tout d’abord « une carence, évidente, du système éducatif » et son obsession tout au long du 20e siècle à propos de l’enseignement des lettres via « la lecture et l’exégèse, au détriment de l’écriture dite créative »,
  ensuite leur fonction de faire découvrir la littérature contemporaine au grand public
  et enfin leur fonction de « former des écrivains » (2018).
Ce public souvent enthousiaste des ateliers d’écriture est composé de personnes qui éprouvent, soit le besoin de s’exprimer par écrit en explorant leur langue et leur identité, soit l’envie de briller dans les yeux des autres, soit encore de découvrir la convivialité d’un atelier d’écriture.
Quant à l’implémentation de l’Écriture Créative dans le système éducatif grec, des progrès ont été accomplis avec la mise en place du Programme d’Études de la Nouvelle École pour le primaire et le secondaire en 2011. Au primaire, il insiste plutôt sur certains genres textuels et la familiarisation des apprenants avec la pédagogie du projet en matière de littérature. Nous ne pourrions cependant pas négliger qu’il accorde aux élèves une certaine liberté pour qu’ils expriment des idées personnelles, des émotions et des sentiments, toujours en langue maternelle. Au secondaire (Collège et Lycée), les manuels proposent un nombre limité d’activités d’Écriture Créative étroitement liées avec l’enseignement de la littérature.
Pour ce qui est de l’implémentation de l’Écriture Créative à l’enseignement des langues étrangères, les initiatives sporadiques restent sans suite, car elles ne sont pas inscrites dans un cadre institutionnel de caractère permanent. Nous pourrions dire que d’une part, il y a l’enseignement de la Langue, une certaine matière à enseigner et de la production écrite d’après les besoins (des élèves ou du système), et d’autre part la Littérature, l’Art, la Communication, la parole, la pensée créative, le plaisir.
D’où les questions suivantes : où faut-il rechercher le point de rencontre de l’Écriture Créative avec l’Écriture scolaire ? Et puis, peut-on espérer, qu’en tant qu’enseignants de Langue Étrangère, il nous est possible de sortir des marges étroites de l’expression écrite utilitaire afin d’ amener nos apprenants vers la voie de l’Écriture Créative, une écriture du plaisir