Mise en place de la démarche de projet dans le secondaire algérien : quelles contraintes et quels réajustements ?
Souhila BENZERROUG, École Normale Supérieure de Bouzaréah, Alger, Algérie
Résumé
Notre communication s’articule autour de la démarche de projet mise en œuvre dans les programmes et manuels de français en Algérie après la deuxième réforme du système éducatif. Celle-ci trouve ses racines dans les approches développées en particulier par John Dewey, Célestin Freinet et plus généralement par le mouvement de l’école active (Arbeitsschule). Aujourd’hui, elle prend un essor et de nombreuses publications témoignent de l’intérêt porté au développement des compétences des apprenants et dans l’élaboration de leurs connaissances qui ne sont plus considérées comme des savoirs théoriques, mais plus comme des savoir-faire transférables et transdisciplinaires. Notre recherche s’inscrit donc dans la didactique du français langue étrangère et veut s’interroger sur la mise en œuvre de la démarche de projet en classe. Celle-ci exige le développement des compétences des apprenants. Sur le plan méthodologique, nous mettons l’accent sur le corpus relatif au manuel et au programme scolaire de la première année du secondaire ainsi que sur un questionnaire distribué à l’intention des enseignants de français du cycle secondaire. Nous rapportons également l’expérience d’une expérimentation que nous avons effectuée à travers la conception d’un projet puis par sa mise en œuvre en classe de première année du secondaire.
Compétences - Démarche de projet - Évaluation - Manuel scolaire
Abstract
The paper is about the implementation of the project pedagogy in the curriculum and textbooks of French in the Algerian educational system after its second reform. The latter originates from the approaches that were particularly developed by John Dewey, Célestin Freinet and Active School Movement (Arbeitsschule) in general. Today, many publications and researches have been made in this context to show the importance of developing learners’ competencies and skills which are no longer considered as being theoretical knowledge but rather procedural knowledge that is transferable and interdisciplinary at the same time. The present research aims at investigating the implementation of the project pedagogy in the teaching of French as a foreign language in the classroom. For the methodology of the study, we put emphasis on the corpus relating to textbooks and curricula of the first year of the secondary education as well as the questionnaire that was administered to a group of secondary school teachers of French. We will also discuss the results obtained from the survey that was conducted through the design of a project work and its implementation with the students of the first year of the secondary education.
Introduction
Adoptée dans la conception des programmes et des manuels issus de la deuxième réforme en Algérie, la démarche du projet est la solution retenue pour lutter contre les déficits suivants : le malaise de l’école, l’inadaptation aux besoins des élèves et de la société, le décalage entre les tâches de l’apprentissage proposées et les réalités du monde moderne. Cette démarche se propose de soumettre de manière régulière l’élève à des situations complexes dans lesquelles il aura l’occasion de mobiliser ses savoirs et ses savoir-faire afin de résoudre des situations-problèmes. Cette réflexion est puisée en grande partie dans les réalités du terrain. Elle se veut d’abord une contribution à l’amélioration, au perfectionnement de l’enseignement de la langue française dans les trois cycles puis, et surtout, dans la perspective d’un meilleur rendement pédagogique, d’une meilleure prise en charge de l’enseignement.
Nous voulons, à travers cette recherche, satisfaire une motivation : celle de comprendre comment est mise en œuvre la démarche de projet dans les classes de français, sachant que nos apprenants disposent d’un répertoire pluriel, comme le montre clairement Dalila Morsly en traitant le français comme une composante du plurilinguisme : « les langues en contact dans la réalité linguistique algérienne sont au nombre de quatre : l’arabe dialectal, le kabyle, l’arabe officiel et le français. La majorité des locuteurs algériens sont au moins bilingues » (1988, p. 263).
C’est donc la volonté d’améliorer la situation d’enseignement-apprentissage en classe de français, d’offrir à nos apprenants un enseignement répondant mieux à leurs besoins réels et de développer leurs compétences aussi bien à l’oral qu’à l’écrit qui nous a poussée à entreprendre ce travail de recherche.
Notre problématique tourne autour de cette question principale : la démarche de projet, est-elle réellement mise en œuvre dans les manuels scolaires du cycle secondaire ? Comment ?
Nous poursuivons notre réflexion en nous demandant comment se traduisent l’approche par compétences et la démarche de projet dans les manuels de français et dans les pratiques de classe. Les projets conçus dans les manuels du cycle secondaire, sont-ils réellement basés sur la notion de projet ?
Pour pouvoir répondre à ces questions, nous avons émis les hypothèses suivantes :
– La notion de « projet » utilisée dans le manuel n’est pas conforme aux définitions qu’en donnent les auteurs de référence.
– Les manuels mis en usage dans le cycle secondaire ne s’adapteraient pas au niveau réel des apprenants et nécessiteraient une démarche différente de celle qui est mise en œuvre dans les classes aujourd’hui.
Cette recherche relève donc de la didactique du français langue étrangère, elle est axée sur l’étude de tous les programmes du cycle secondaire afin de pouvoir analyser les manuels scolaires et ce, dans le but d’examiner de près la mise en œuvre de la démarche de projet dans ces derniers. À la lumière de cette analyse et des dysfonctionnements que nous avons relevés, nous avons tenté de concevoir un projet composé de deux séquences didactiques pour la première année secondaire faisant partie du programme scolaire intitulé « l’interview » et nous avons tenté de l’expérimenter en classe de français. Les deux séquences d’apprentissage conçues sont inscrites dans une perspective actionnelle afin de développer la compétence interactionnelle et rédactionnelle écrites et orales des apprenants au moment de réaliser une interview.
1. Cadre théorique
La démarche de projet est adoptée aujourd’hui par plusieurs pays tels que le Canada, l’Algérie, le Maroc. Le principe de cette approche est de considérer l’apprentissage comme étant une construction de sens où les apprenants, mis en groupes, participent activement à l’élaboration de leurs connaissances qui ne sont plus considérées comme des savoirs théoriques, mais comme des savoir-faire transférables et transdisciplinaires. À propos de la pédagogie du projet, Philippe Meirieu cité par Huber, souligne : « la pédagogie du projet représente une avancée décisive dans l’organisation pédagogique à condition de respecter certaines exigences méthodologiques indispensables à son efficacité » (Huber, 2005, p. 6).
Cette approche est donc en rupture avec la démarche traditionnelle où les leçons frontales étaient privilégiées et dans lesquelles l’enseignant jouait le rôle de dépositaire du savoir. Nous montrerons également, à travers la démarche de projet, comment le processus enseignement/apprentissage a pu s’adjoindre une autre dimension, comme l’indique J. Proulx : « Dans le domaine de l’enseignement et l’apprentissage, une telle conception conduit à un changement majeur de paradigme : on passe du paradigme de la personne qui enseigne à celui de la personne qui apprend » (2004, p. 18).
Nous allons aborder dans ce qui suit la notion de projet, sa définition et ses caractéristiques.
Historiquement, la notion de « projet » apparaît comme la forme de mise en œuvre la plus aboutie de la recherche entre un agir d’usage social et un agir d’apprentissage. Elle trouve ses racines dans les approches développées en particulier par John Dewey, Célestin Freinet et, plus généralement, par le mouvement de l’école active (Arbeitsschule).
L’apport fondamental de Freinet relève, selon Philippe Meirieu, de deux principes :
L’apprentissage, qu’il considère comme étant une mise en œuvre d’un processus de tâtonnement expérimental pour répondre au besoin vital de résoudre des problèmes, et le principe d’émancipation, de liberté et de respect de l’autre que les élèves doivent développer en classe en même temps que le développement cognitif (2001, p. 36).
Le projet prend sa source au début du XXe siècle, aux États-Unis, où Dewey lance la méthode « learning by doing », qui consiste à apprendre par et dans l’action. Son école-laboratoire propose des activités concrètes qui doivent répondre au désir inné d’apprentissage des élèves, et doit alors apprendre aux élèves à penser et à s’adapter au monde dans lequel ils vivent en partant pour cela de leurs intérêts et en développant leur autonomie (C, Reverdy, 2013, p. 4).
Monique Rossini résume la conception pédagogique de Dewey dans ces termes :
Chez John Dewey, la méthode des projets se propose de : fonder l’enseignement sur les contenus concrets, favorisant une meilleure connaissance de la vie par l’enfant, faire appel à la motivation […] pour l’amener à la résolution des problèmes posés ; le projet devrait lui fournir l’énergie nécessaire à son entreprise (1986, p. 114).
Proulx affirme que cette approche est issue du socioconstructivisme : « L’engouement pour une telle approche prend appui, au plan théorique, sur le développement des sciences cognitives et, plus particulièrement sur ce qu’on a appelé le socioconstructivisme en éducation » (2004, p. 17). J. Giasson souligne que cette approche ne date pas d’hier, qu’elle trouve ses racines au XIXe siècle et qu’elle n’a eu assez d’engouement qu’actuellement :
La pédagogie par projets n’est pas à proprement parler une méthode récente, mais elle n’a jamais eu autant de popularité qu’actuellement. Cette approche a été expérimentée en Europe à la fin de XIXe siècle par Freinet et Decroly. Aux États-Unis, elle a été exploitée à la même époque par Dewey (2004, p. 76).
La démarche de projet repose donc sur deux théories d’apprentissage, le socioconstructivisme et le constructivisme. Les figures emblématiques de ces deux courants, Jean Piaget pour le premier, Lev Vygotsky et Jérôme Bruner pour le second, s’accordent sur la nature constructiviste de l’acquisition des connaissances. Autrement dit, dans ces deux conceptions, le sujet apprenant est actif dans ses apprentissages. Il en est même le principal auteur. La différence entre les deux écoles se situe dans le fait que pour la première, l’apprentissage se fait dans l’interaction entre l’individu apprenant et son environnement, alors que dans la seconde, il se fait entre l’individu et son environnement par l’intermédiaire de tiers.
Dans le domaine de l’éducation, nous présentons deux définitions tirées du dictionnaire pédagogique : « le projet, souvent assimilé au progrès, a une connotation toujours positive. Il est de l’ordre du paradigme valorisant l’activité concrète et organisée d’un sujet soucieux de se donner un but et les moyens adaptés pour l’atteindre. » (Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, 1994, p. 802). Il vise l’atteinte d’objectif en suivant un échéancier comme nous l’indique le dictionnaire de pédagogie de Raynal et Rieunier : « Un projet est une entité constituée par un ensemble de moyens humains et matériels, réunis pour une durée déterminée, afin d’atteindre un objectif précis, en suivant un échéancier rigoureusement défini » (1997, p. 301).
Cette approche a la spécificité d’aboutir à un résultat concret observable, comme nous l’indique Giasson : « Ce qui caractérise la pédagogie par projets, c’est essentiellement qu’elle vise à un résultat concret » (Giasson, 2004, p. 76).
Au sujet de l’apprentissage par projet, Yves Reuter déclare que : « l’accent se déplace de l’enseignement à l’apprentissage. […] On apprend en faisant, parce qu’on a rencontré des problèmes précis et qu’il faut les surmonter pour continuer le travail. […]. Les contenus ne sont pas programmés à l’avance mais appelés par la tâche et finalisés par elle. C’est le projet dans sa logique, qui doit organiser les apprentissages, les contenus, les exercices… » (Reuter, 2002, p. 25).
Pour Proulx le projet est : « un processus systématique d’acquisition et de transfert de connaissances au cours duquel l’apprenant anticipe, planifie et réalise, dans un temps déterminé, seul ou avec des pairs, et sous la supervision d’un enseignant, une activité observable qui résulte, dans un contexte pédagogique, en un produit fini évaluable » (Proulx, 2004, p. 31).
J.-P. Cuq distingue deux types de projets :
Ce terme, philosophique à l’origine, désigne une action dirigée vers un objectif futur et que l’on organise de manière adéquate à l’atteinte de celui-ci. Il existe des projets individuels (projet d’enseignement ou d’apprentissage) et des projets collectifs (en pédagogie et en recherche). Au terme du processus, un projet exige évidemment d’être évalué (2003, p. 205).
La pédagogie par projet est ainsi « une entreprise collective gérée par le groupe-classe (l’enseignant anime, mais ne décide pas de tout) [qui] s’oriente vers une production concrète (au sens large : texte, journal, spectacle, exposition, maquette, carte, expérience scientifique, danse, chanson, bricolage, création artistique ou artisanale, fête, enquête, sortie, manifestation sportive, rallye, concours, jeu, etc.) » (Perrenoud, 2000, p. 15).
Scallon rappelle que la pédagogie de projet amène précisément les élèves à « mobiliser leurs connaissances dans des situations complexes ».
Le principe de base est de proposer aux élèves des mises en situation qui les confrontent à des situations possédant, le plus souvent, deux caractères complémentaires : une relative complexité, l’inscription dans un minimum de durée. […] L’apprentissage par projet possède la spécificité d’exiger une réalisation ou une production concrète des élèves, la réalisation ou la production de « quelque chose qui n’est pas forcément la solution à un problème au sens strict (Scallon, 2007, p. 142).
Cette approche exige des apprenants un engagement de leur part afin de résoudre une situation-problème et ce, en prenant en charge le paramètre du temps et l’entraide entre pairs : « La pédagogie de projet peut aussi se caractériser par un engagement important des élèves, tant pour ce qui concerne le temps alloué que l’investissement personnel, et par la nécessaire coopération entre élèves qu’exige la réalisation » (Hadji, 2012, p. 215).
Pour une bonne réussite du projet, Proulx recommande de choisir des situations d’apprentissage correspondant aux centres d’intérêts des apprenants : « Pour que l’apprenant ait des chances de persévérer dans ce type d’apprentissage, il faut lui faire réaliser des productions qui correspondent à ses centres d’intérêt et qui l’engagent effectivement quant aux tâches à accomplir » (Proulx, 2004, p. 21).
Arpin et Capra énumèrent le rôle de l’enseignant et de l’apprenant dans cette approche :
Une approche pédagogique qui permet à l’élève de s’engager pleinement dans la construction de ses savoirs en interaction avec ses pairs et son environnement et qui invite l’enseignante à agir en tant que médiateur pédagogique privilégié entre l’élève et les objets de connaissance que sont les savoirs à acquérir (Arpin et Capra, 2001, p. 7).
Cette approche a la particularité d’aider l’apprenant à réinvestir ses acquis dans la réalisation des tâches demandées et aussi à les appliquer dans la vie courante :
Non seulement l’apprenant est-il appelé à se servir des connaissances qu’il possède déjà pour réaliser son projet, mais il pourra également utiliser les connaissances acquises par projet ou en cours de projet pour les appliquer ensuite à d’autres situations de la vie courante. On assiste donc ici à un double transfert de connaissances : l’un en amont du projet à réaliser, l’autre en aval du projet réalisé (J. Proulx, 2004, p. 33).
Le projet est un processus d’apprentissage qui permet à l’apprenant de mobiliser son savoir, un savoir-faire et un savoir être dans la réalisation des tâches et ce, dans le cadre de la résolution de problèmes et pour un développement de compétences. À ce propos Huber souligne que :
La pédagogie de projet peut être définie comme un mode de finalisation de l’acte d’apprentissage. L’élève se mobilise et trouve du sens aux apprentissages dans une production à portée sociale, qui le valorise. La résolution des problèmes rencontrés au cours de cette réalisation va favoriser la production et la mobilisation de compétences et savoirs nouveaux (2005, p. 11).
La démarche de projet est une nouvelle manière de repenser l’enseignement-apprentissage. C’est une approche très ambitieuse qui a le privilège de donner plus du sens aux apprentissages, de construire la personnalité de l’apprenant en développant l’interaction entre apprenants et enseignants, comme nous le montre Huber : les avantages sont les suivants :
– finalisation de l’acte d’apprentissage renforçant la motivation (défi),
– redécouverte du plaisir d’apprendre,
– construction de la personne (image de soi, identité),
– transformation de l’environnement favorisant l’ouverture de l’établissement,
– socialisation des sujets (coopération), éducation à la citoyenneté,
– amélioration des rapports formateurs-formés,
– activation de l’interaction théorie/pratique (2005, p. 40).
Nous soulignons que nous retiendrons le projet pédagogique et le projet didactique car ces derniers concernent le processus enseignement-apprentissage en classe c’est à dire en adoptant le point de vue de Jean-Pierre Robert : « L’enseignant doit donc mener de front trois projets en un : (a) un projet d’apprentissage qui est le propre de l’apprenant ; (b) un projet d’enseignement, qui incorpore le premier et incombe à l’enseignant ; (c) des projets pédagogiques, qui s’intègrent aux deux projets précédents » (Robert et al. 2011, p. 44).
Nous concluons donc que le projet d’apprentissage renvoie aux objectifs, aux besoins, aux attentes et aux intérêts des apprenants ; quant au projet d’enseignement, il repose sur le projet d’apprentissage qui est limité par un certain nombre de contraintes auxquelles doit se plier l’enseignant.
2. Méthodologie
2.1. Le projet dans les programmes du cycle secondaire
Nous allons voir dans ce qui suit comment le concept de projet est inséré dans les programmes du cycle secondaire, tout en décrivant cette démarche.
La lecture des programmes du cycle secondaire nous a permis de constater que le concept de projet n’est évoqué qu’à la fin des programmes de ce cycle. En effet, les concepteurs l’abordent sous le point « Méthodologies et stratégies » mais d’une manière rapide : « La démarche de projet est privilégiée pour installer les compétences visées par le programme » (Programme de 1re AS, 2005, p. 46).
Nous remarquons que les concepteurs emploient ici le verbe « installer » au lieu du verbe « développer ». Le verbe développer est plus judicieux car les compétences sont déjà présentes chez les apprenants et il suffit seulement de les extraire, de les nourrir et de les développer. Il est à noter que cette citation est présente dans les programmes des trois années du cycle secondaire.
Nous avons constaté aussi que trois projets sont réalisés durant les deux premières années, à raison d’un projet pour chaque trimestre, qui sera négocié avec l’enseignant après avoir été choisi par l’apprenant : « Trois projets collectifs seront obligatoirement réalisés pendant l’année scolaire. Ils seront choisis par les apprenants après négociation avec le professeur » (Programme de 2e AS, 2006, p. 74).
En troisième année du cycle secondaire, les trois projets sont remplacés par d’autres projets car les filières scientifiques et littéraires n’ont pas le même volume horaire et les enseignements diffèrent : « Des projets collectifs seront obligatoirement réalisés pendant l’année scolaire. Ils seront choisis par les apprenants après négociation avec le professeur. Ceux-ci sont donnés à titre d’exemple. Il va sans dire que le projet portant sur l’appel ne concernera que les classes de lettres » (Programme de 3e AS, 2007, p. 74).
La notion de projet est reprise tout en insistant sur ses deux étapes, ou deux temps, comme indiqué dans les programmes de ce cycle, à savoir la conception et la réalisation. La première étape se focalise sur l’évaluation diagnostique des apprenants tout en insistant sur la notion de négociation des thèmes de projets avec eux. La deuxième étape concerne la réalisation du projet qui se base sur l’évaluation formative et sommative : « La démarche de projet se fait en deux temps : conception et réalisation » (Programme de 3e AS, 2007, p. 48).
Pour finir nous ajoutons cette remarque au sujet de l’utilisation du terme « séquence » dans les programmes du cycle secondaire uniquement : « L’enseignement/ apprentissage s’organisera en séquences. Chaque séquence prendra en charge un savoir-faire à maîtriser (un niveau de compétence) et devra se terminer par une évaluation » (Programme de 2e AS, 2006, p. 76).
Nous terminons cette lecture par un autre constat. Il s’agit du terme « capacité » qui a dû remplacer le terme « compétence ». Ce terme est quasiment absent dans les programmes du cycle primaire et moyen. Pour illustrer nos propos nous avons choisi de nous référer au programme de la troisième année secondaire où deux capacités sont représentées en deux objectifs d’apprentissage à l’oral.
2.2. Analyse des manuels de français du cycle secondaire
Pour l’analyse des manuels scolaires, nous nous sommes basée sur une grille d’évaluation en nous inspirant des deux grilles d’évaluation proposées dans l’ouvrage de F.-M. Gérard et X. Roegiers (2003, p. 362-387). Toutefois, nous leur avons apporté quelques modifications afin de nous centrer beaucoup plus sur la démarche de projet et son déroulement en classe de français. La grille d’évaluation des manuels comprend deux aspects : l’aspect technique et l’aspect pédagogique.
L’aspect technique prévoit deux critères qui s’intitulent : identification du produit et analyse du contexte. Le premier critère s’intéresse beaucoup plus à l’aspect matériel du manuel scolaire et au public visé. Quant au second critère, il vise à reconnaître la conformité des manuels aux programmes scolaires et à évaluer la valeur du produit.
Notre analyse des manuels du cycle secondaire a révélé que les projets proposés ne sont pas une réalisation langagière concrète, qui est basée sur une situation-problème réelle, et souvent l’apprenant ne reconnaît pas facilement la tâche qui lui est demandée car la consigne est souvent vague ou incomplète (Tableau 1).
Tableau 1- Les intitulés de projets dans le cycle secondaire
L’analyse des différents manuels scolaires du cycle secondaire, montre des incohérences, voire des dysfonctionnements entre ce qui est annoncé dans les directives des programmes scolaires et la manière dont ce qui est annoncé est mis en œuvre dans les manuels scolaires. En effet, le discours officiel conçoit une pédagogie qui est en conformité avec la théorie sous-jacente à la démarche de projet : les finalités fixées à l’apprentissage du français contribuent à former des apprenants actifs, responsables et capables d’agir sur leur environnement. La démarche qu’il préconise s’appuie sur le socioconstructivisme dans ses implications pédagogiques et didactiques comme modèle de référence (travail en groupe, enseignant animateur, élève acteur de son apprentissage, prise en compte de la motivation des élèves dans le choix des projets, évaluation formative). Cependant, l’analyse des manuels censés respecter ces directives montre que les contenus des enseignements sont organisés dans des séquences où les liens avec les projets sont peu évidents, voire inexistants. Hormis les intitulés des projets, il n’y a rien d’autre dans les manuels qui renvoie à cette démarche, que ce soit dans l’utilisation des concepts inhérents à cette pédagogie ou dans l’organisation des étapes liées à la réalisation des projets. Ce constat est tellement évident qu’une omission des intitulés des projets cités au début du manuel n’affecte en rien l’organisation de celui-ci, tant les contenus sont indépendants des projets. Ces contenus sont construits autour des notions grammaticales présentées dans des textes dont les thèmes n’ont souvent rien à voir avec la thématique du projet. Ils sont enseignés pour eux –mêmes comme le montre P. Paquay :
Les savoirs sont donc intégrés dans ces structures plus complexes que constituent les compétences. Ainsi, les connaissances grammaticales, au lieu d’être enseignées pour elles-mêmes, en référence à une discipline scientifique, la linguistique sont intégrées à une compétence sociale de communication, par exemple le savoir-écrire
(2002, p. 22).
Cette analyse nous a révélé également que la plupart des manuels scolaires n’impliquent pas les apprenants dans la réalisation des projets : les consignes sont, dans la plupart des cas, rédigées au mode infinitif. Le travail de groupe est inséré dans quelques séquences et disparaît dans d’autres, où seul l’apprenant est interpellé. Cette carence, nous l’avons constatée dans notre analyse des projets, où nous avons remarqué qu’il n’y a pas de liens entre les séquences.
Notre analyse a démontré également que les projets ne contiennent pas réellement de situations-problèmes. Celles-ci doivent être caractérisées comme nous l’avons vu dans le premier chapitre par les éléments suivants : un support, un document ; elle doit comprendre une tâche ou une activité que l’apprenant doit accomplir et qui ait du sens pour ce dernier, qu’elle soit liée à un obstacle défini, repéré, qui fait naître des questionnements chez l’apprenant, ou qu’elle soit concrète et fasse appel à des connaissances de type procédural, déclaratif et/ou conditionnel. L’analyse de ces manuels a démontré que ces principes ne sont pas pris en ligne de compte. En effet, la plupart des projets ne sont pas une réalisation sociale concrète : dans la plupart des cas, les concepteurs fixent comme objectif la rédaction d’un texte précis au détriment du projet et de la situation-problème. Et si la situation-problème est présente dans ces manuels, nous constatons que les séquences ne se complètent pas et souvent le projet n’est pas rappelé à l’apprenant au fil de ces séquences. Nous avons remarqué également que les thèmes des projets sont souvent imposés dans la plupart des manuels. Ainsi, nous pouvons confirmer que les manuels s’éloignent effectivement des directives qui optent pour le choix de situations significatives, impliquant l’apprenant dans sa tâche, comme l’indique le programme de la quatrième année primaire : « proposer des situations d’apprentissage significatives qui permettent à l’élève de prendre conscience de ce qu’il apprend, de pourquoi il apprend, de comment il apprend et de pourquoi il réussit » (2005, p. 22).
De même, nous avons constaté que la plupart des projets proposés dans les manuels analysés ne représentent pas une tâche langagière concrète et que souvent celle-ci est ambigüe ou manque de précision pour l’apprenant qui ne sait pas dans quelle intention il doit rédiger et dans quelles conditions. Nous reprenons les propos des Gérard Vigner qui explicite mieux le rôle de la tâche : « toute tâche, consiste en principe en une activité langagière guidée par une consigne » (1984, p. 13-15).
Les activités de compréhension de l’écrit sont certes présentes dans tous les manuels, toutefois, elles sont mal conçues. En effet, elles contiennent des questions visant le relevé des structures linguistiques, du paratexte ou de la morphosyntaxe sans qu’elles visent une réelle évaluation de la compréhension de l’écrit proprement dite, qui vérifie si l’apprenant est en mesure de synthétiser ce qu’il a lu, en reformulant.
Notre analyse a également prouvé que les projets conçus dans les manuels ne cadrent pas avec les contenus des enseignements car la plupart des activités de langue proposées sont de simples activités de classement, de relevé ou de transformations sans qu’il y ait une réelle écriture qui mènerait à la réalisation des projets. Et souvent, la dernière activité qui clôt les activités de langue n’est pas au service des pratiques langagières : la grammaire enseignée est comme une compétence en soi qui n’aboutit pas à la maîtrise d’un savoir-faire. Cela montre que ces manuels ne respectent pas ce qui est annoncé dans les programmes scolaires, en considérant la langue comme un moyen qui mène au développement des compétences de lecture et d’écriture : « la langue objet d’étude pour mieux lire et mieux écrire » (Programme de la 4e AP, 2005, p. 25).
Les manuels de français occultent également l’évaluation diagnostique qui dans la plupart des cas est présente au début de l’année pour définir le niveau des apprenants mais qui est quasiment absente dans les manuels des cycles primaire et moyen. Nous avons constaté également que la page de remédiation est aussi absente dans tous les manuels des trois cycles à l’exception du manuel de cinquième année primaire où dans chaque séquence une page de remédiation est insérée.
2.3. Le point de vue des enseignants sur la mise en œuvre du projet en classe de FLE
Après avoir analysé les manuels scolaires et relevé les dysfonctionnements, nous avons jugé utile d’interroger les enseignants des trois paliers sur leurs pratiques en classe et ce, afin de pouvoir concevoir notre dispositif didactique, qui consiste en la conception d’un projet pédagogique.
Dans notre travail de recherche, nous avons utilisé la méthode descriptive-analytique et statistique afin d’analyser les données récoltées. Cette méthode nous a aidée dans la description du champ de travail et de notre unité d’enquête pour mieux appréhender les différentes réalités qui émergent. De même, la méthode statistique nous a permis d’analyser les données afin d’en tirer les informations souhaitées sous forme de chiffres et de statistiques.
Dans cette étude analytique, notre travail est axé sur la vérification des hypothèses autour desquelles se développe la problématique :
– la notion de « projet » utilisée dans le manuel n’est pas conforme aux définitions que lui donnent les auteurs de référence ;
– les manuels utilisés dans les trois cycles ne s’adaptent pas au niveau réel des apprenants et nécessitent une démarche différente de celle qui est mise en œuvre dans les classes aujourd’hui.
Pour vérifier ces hypothèses, nous avons suivi la méthode descriptive-analytique mettant en évidence la démarche de projet à suivre en classe de français. Pour réaliser cet objectif, nous avons élaboré un questionnaire d’enquête qui comprend dix rubriques.
Pour effectuer notre enquête, nous nous sommes rendue dans les établissements relevant de la circonscription d’Alger-Centre, d’Alger-Est et d’Alger-Ouest pour distribuer ces questionnaires. Nous en avons distribué 279 et récupéré 184 durant le mois d’octobre 2013.
Après avoir classé ces questionnaires complétés, nous avons réuni les informations et les données dans des tableaux conçus pour cette recherche pour pouvoir, par la suite, les interpréter. Pour ce faire, nous avons opté pour l’utilisation de représentations graphiques et de pourcentages pour l’interprétation des réponses.
Le questionnaire que l’on propose comme outil de recherche est adressé aux enseignants de langue française de tous les cycles scolaires, afin d’approfondir encore notre recherche.
Pour la conception de notre questionnaire, nous nous sommes basée sur les entrevues avec les enseignants des trois paliers et sur notre expérience de neuf ans en tant qu’enseignante de langue française du secondaire. Ce questionnaire vise à reconnaître l’avis des utilisateurs des manuels scolaires en classe de langue, à savoir les enseignants de langue française, en les interrogeant sur la mise en œuvre de la démarche de projet, sur son déroulement en classe, sur les conditions de travail, sur leur formation initiale et continue, sur les outils d’évaluation, sur les outils pédagogiques mis à leur disposition afin d’examiner de près la réalité de l’enseignement-apprentissage du français dans les trois paliers.
Notre questionnaire comprend 36 questions majoritairement ouvertes étant donné qu’elles invitent les enseignants, à chaque fois, à faire un commentaire ou à donner des justifications à leurs réponses, en vue d’enrichir notre étude par des suggestions ou des propositions. Ces questions ouvertes donneront la liberté aux enseignants d’affirmer leurs options : « The repondent is free to decide what to say and how to say it » (Nunan, 1997, p. 143).
Le questionnaire comprend dix rubriques regroupées dans le tableau ci-dessous (Tableau 2). Toutefois, nous ne présenterons que les celles qui sont en rapport avec le déroulement du projet en classe de FLE.
Selon leurs objectifs, les questions se répartissent ainsi :
Tableau 2 : Objectifs et items du questionnaire d'enquête
Nous rappelons que notre population est composée d’enseignants de langue française du cycle secondaire dépendant de la wilaya d’Alger. Elle se compose de 270 enseignants distribués comme l’indique le tableau suivant (Fig. 3) :
Tableau 3 – Population de la recherche
3. Présentation et discussion des résultats du questionnaire adressé aux enseignants
Dans ce qui suit, nous présenterons les réponses obtenues ainsi que nos observations et interprétations. Nous n’avons retenu que les questions en rapport avec la démarche de projet.
Pour commencer, nous nous sommes centrée sur la rubrique « Déroulement du projet pédagogique ». Cette partie du questionnaire est composée aussi bien de questions ouvertes que de questions fermées visant ainsi à évaluer et reconnaître la maîtrise du concept de projet et des notions qui s’y rapportent, telles la notion de séquence, d’objectifs et bien d’autres.
Dans une question relative à la maîtrise de la définition du projet par les enseignants, nous avons obtenu les résultats regroupés dans le tableau 4 :
Tableau 4 : Degré de maîtrise de la notion de projet par les enseignants
Un nombre important d’enseignants (28,26 %) ont laissé cette question sans donner de réponse car ces derniers ne savent pas ce qu’est un projet.
D’autres enseignants (27,17 %) le définissent comme étant un travail collectif mettant en œuvre un apprentissage. D’autres encore le considèrent comme un ensemble de séquences ou alors le confondent avec le thème de l’unité.
Nous relevons que parmi ces réponses, il y a des définitions qui se rapprochent du sens que lui donne Ph. Jonnaert (2002). En voici quelques-unes : « Élaboration et organisation d’un ensemble de connaissances autour d’une thématique », « une compétence à placer chez l’apprenant à la fin d’un trimestre », « ensemble d’activités pédagogiques au service de la production écrite », « recherche faite par l’élève reposant sur les prérequis et acquis, présentée à la fin de chaque trimestre », « mettre l’apprenant en situation d’apprentissage en lui proposant une activité finalisée ayant du sens », « le projet c’est le fait d’amener l’élève à acquérir des compétences de l’oral et de l’écrit de manière à devenir autonome », « ensemble de séquences allant de la compréhension de l’oral à la compréhension écrite ».
La plupart des enseignants définissent le projet comme étant un ensemble de séquences. Cela nous amène à supposer qu’ils ne maîtrisent pas assez la notion du projet du point de vue théorique en raison de leur formation insuffisante. D’autres aussi le confondent avec la pédagogie par objectifs des années 80, quand ils emploient le concept de l’unité didactique, utilisé par certains enseignants jusqu’à présent, et le confondent avec la notion du projet. Nous tenons à remarquer aussi que les concepts de tâche et de compétence sont quasiment absents du jargon des enseignants.
Pour une question relative au relevé des critères de la réussite d’un projet nous avons pu constater ce qui suit : les réponses des enseignants montraient que la plupart de ces derniers (27,17 %) disent que pour une bonne réussite d’un projet en classe, une bonne participation et motivation des apprenants sont exigées car s’ils ne s’intéressent pas au déroulement de leurs projets ils n’aboutiront jamais à de bons résultats. D’autres enseignants (16,30 %) affirment que la réussite d’un projet est en étroite liaison avec la disponibilité des moyens didactiques, à savoir, les livres et les moyens technologiques. Ceci nous amène à dire que sans ces moyens le projet n’a pas lieu d’être pour aboutir aux objectifs prévus et au développement des compétences des apprenants. Nous pouvons dénombrer ces outils : les cd-rom, la vidéo – les jeux –, l’ordinateur, les photocopies, le data show et bien d’autres moyens qui contribuent à la bonne réalisation du projet.
Notre expérience lors de l’observation des classes de FLE dans le cycle secondaire montre que ces moyens sont peu disponibles et ne sont pas utilisés dans les établissements scolaires en dépit des directives des programmes. Ceci est dû en particulier au manque d’infrastructures, comme les laboratoires de langue, ou alors à la résistance de certains enseignants à l’utilisation de ces moyens en classe. D’autres enseignants pensent que pour une réussite du projet en classe il faut une motivation et une bonne participation de la part des apprenants. Certes, sans l’assentiment de ces derniers, l’enseignant ne pourra développer les compétences visées ni procéder à l’évaluation de ces dernières étant donné que l’apprenant est au centre de l’enseignement-apprentissage. 18,47 % des enseignants affirment que les compétences des enseignants sont importantes pour la réussite d’un quelconque projet. Un nombre restreint d’enseignants (21,73 %) ne donnent pas du tout de réponses à cette question, car ils ignorent les critères de la réussite d’un projet et trouvent eux-mêmes des difficultés dans leurs pratiques de classe.
Pour finir, nous présentons les propositions des enseignants interrogés, pour un bon déroulement du projet en classe de FLE : « choix des supports », « profil d’entrée des apprenants », « nombre limité d’élèves en classe », « réussite des objectifs d’un projet », « lecture et recherche personnelle », « évaluation adéquate », « bonne présentation et rédaction ».
Le dépouillement et l’interprétation des résultats du questionnaire ont révélé que la plupart des enseignants interrogés éprouvent beaucoup d’intérêt à participer aux changements intervenus dans l’enseignement/apprentissage du français. Ces derniers appliquent pourtant d’une manière insatisfaisante les programmes basés sur l’approche par compétences inscrite dans le cadre du projet.
Les résultats obtenus montrent qu’un grand nombre d’enseignants préfèrent adopter la démarche de projet car cette dernière a changé leurs habitudes ainsi que celles de leurs apprenants. Ces enseignants optent pour une réorganisation et un réaménagement de cette démarche pour un meilleur rendement.
Les résultats ont également montré que, bien que les enseignants préfèrent cette démarche, ils ont en fait des difficultés à la mettre en œuvre en classe, tant au plan de la conception qu’à celui de la réalisation. Cela est dû en particulier et en premier lieu à leur formation insuffisante à propos de l’approche par compétences, à la déstructuration des manuels scolaires qui ne mènent pas à la réalisation concrète de projets et enfin au manque ou à l’absence totale d’outils et de moyens pédagogiques qui participent au bon déroulement du projet.
Nous avons remarqué que les thématiques des formations des enseignants à l’occasion des journées pédagogiques portent essentiellement sur l’évaluation des compétences des élèves lors des examens, en l’occurrence la compétence écrite, en évaluant les sujets d’examens ou alors en les concevant, ce qui nous explique l’incapacité des enseignants à concevoir eux-mêmes des projets.
L’examen des résultats de la deuxième rubrique, relative au déroulement du projet, révèle qu’une grande partie des enseignants ne maîtrisent ni la notion du projet ni son objectif qui consiste pour eux à rédiger des types de textes bien précis. Seule une minorité d’enseignants maîtrise cette notion.
Ces enseignants affirment qu’ils trouvent beaucoup de difficultés dans la réalisation des projets en raison du programme surchargé, du volume horaire et de la surcharge des classes.
En réponse à une question relative à l’utilisation du manuel scolaire par les enseignants en classe, ces derniers affirment qu’ils ne l’utilisent pas toujours car ils le jugent insuffisant et incomplet. C’est pourquoi ils conçoivent eux-mêmes les projets et les séquences didactiques. Ceci est dû au manque d’activités de compréhension et d’expression orales, à l’inadéquation des textes supports écrits au niveau des apprenants ou alors au manque d’activités de langue qui sont dans la plupart des cas décontextualisées, avec des consignes vagues n’expliquant pas la tâche demandée et ne menant pas à la réalisation concrète de projets.
La rubrique relative à la pratique de la classe a révélé que l’évaluation n’est pas toujours présente dans les projets en raison de la surcharge du programme et de la proposition d’un sujet de rédaction à la fin des séquences ou alors à la fin des activités de langue, ce qui ne conduit pas l’apprenant à réaliser son projet.
La compréhension orale, abordée à la cinquième rubrique, est très mal prise en charge car les enseignants dans leur majorité optent pour une lecture des supports par l’enseignant lui-même ou alors par des élèves. Cet état de fait nous confirme que cette activité n’est pas abordée comme le dictent les directives du programme qui optent pour une utilisation des moyens technologiques ce qui nous explique l’incapacité des apprenants à s’exprimer aisément en langue française, due essentiellement au fait qu’ils ne soient pas habitués à l’écoute de documents audio ou vidéo et qu’ils ne soient pas habitués aussi à produire à l’oral.
L’expression et la production orales ne sont pas non plus insérées dans le projet et si elles sont abordées en classe, elles s’effectuent en groupe ou en binôme. Cela est dû au nombre élevé des élèves en classe ce qui incite les enseignants à les rassembler ou à les réunir en groupe ou en binôme, en adoptant l’évaluation collective sans utilisation de grilles spécifiques conçues pour cette activité.
Nous avons constaté aussi en nous basant sur les résultats de ce questionnaire que les enseignants dans leur majorité affirment que les supports écrits insérés dans les manuels scolaires ne sont pas très authentiques et ne motivent pas trop les apprenants.
L’analyse des résultats a aussi révélé que les activités de langue sont toujours introduites après les séances de compréhension écrite et que la grammaire adoptée est la grammaire phrastique décontextualisée ce qui nous explique pourquoi la plupart des apprenants ne réussissent pas leurs productions écrites, en dépit de leur maîtrise des structures et des règles grammaticales.
Cette incapacité à bien rédiger des productions écrites est due aussi à la non-insertion de séances de remédiation à la fin des séquences didactiques pour consolider les acquis des apprenants. Les activités de remédiation ne sont pas introduites dans les projets par les enseignants à cause du programme, surchargé.
Nous avons constaté aussi que le sujet de rédaction ou d’expression écrite est dans la plupart des cas imposé par l’enseignant aux apprenants, sans négociation avec ces derniers.
À une question relative à la démarche adoptée dans la séance du compte rendu de l’expression écrite, les enseignants ont répondu qu’ils ne se basent pas toujours sur les grilles d’évaluation et qu’ils attribuent une note en corrigeant les copies des apprenants sans leur laisser le temps de connaître leurs lacunes et de s’autoévaluer.
Ces enseignants déclarent aussi que ce qui est important dans un projet c’est le produit écrit final, c’est-à-dire qu’ils se concentrent sur l’évaluation de la compétence écrite des apprenants, au détriment de la compétence orale qui est souvent marginalisée.
L’analyse des résultats relatifs à la dernière rubrique montre que les enseignants n’émettent pas beaucoup de recommandations quant au développement du projet didactique. Ils proposent d’alléger les programmes scolaires pour qu’ils s’adaptent aux horaires alloués à la langue française ou demandent la mise à disposition de moyens technologiques au sein des établissements scolaires.
4. Recherche-action
Pour pouvoir apporter des réajustements liés aux problèmes recensés lors de l’analyse des manuels scolaires du cycle secondaire, nous avons tenté de concevoir un projet inédit qui fait partie du programme officiel de la deuxième année secondaire, à savoir l’objet d’étude « l’interview ». Celui-ci se subdivise en deux séquences d’apprentissage comme suit :
– Séquence 1
Compétence : utiliser la structure de l’interview (chapeau, ouverture et clôture).
– Séquence 2
Compétence : questionner de manière pertinente.
Nous avons prévu, dans chaque séquence, des activités de compréhension de l’oral conçues en suivant les trois étapes d’écoute : la pré-écoute, l’écoute et la post-écoute. Nous avons tenu à évaluer la compréhension d’un document audio et vidéo à travers un questionnaire comprenant des questions ouvertes et fermées, des synthèses, des complétions. Et nous achevons toujours cette séance par de l’expression orale à travers la prise de parole en voulant synthétiser le contenu de l’interview.
Quant à la production orale, comme elle nécessite une maîtrise de compétences partielles durant les séquences, nous l’avons laissée pour la fin de chaque séquence. Celle-ci prévoit la complétion de grilles d’évaluation de la production orale que l’apprenant utilisera en binôme.
Le projet est réalisé en trois phases. Dans un premier moment, les apprenants rédigeront leur première production écrite. Ils l’améliorent à la fin de la première et de la deuxième séquence en se référant à la grille de l’écrit. Enfin, ils reproduisent cette production en utilisant le média informatique (l’ordinateur). Notre corpus est composé des productions orales et écrites des apprenants. Il comprend d’une part des données enregistrées à partir des interviews réalisées en binômes des apprenants que nous avons pu filmer et d’autre part du corpus écrit relatif aux 23 productions écrites d’interviews.
Les résultats obtenus ont montré que les apprenants ont pu développer leurs compétences orales et écrites. Nous avons également constaté qu’un processus de métacognition s’est installé chez eux en réécrivant leur production écrite grâce à l’auto-évaluation et à la co-évaluation. Certes les résultats ne sont pas parfaits, mais ils témoignent de l’efficacité de la démarche conçue, qui reste à parfaire. Toutefois, nous estimons que si cette démarche est appliquée dès le primaire, elle donnera certainement des résultats plus satisfaisants.
5. Conclusion
Finalement, nous pouvons dire que l’analyse des différents manuels scolaires du cycle secondaire a montré des incohérences, voire des dysfonctionnements entre ce qui est annoncé dans les directives des programmes scolaires et la manière dont elles sont traduites dans les manuels scolaires. En effet, le discours officiel conçoit une pédagogie qui est en conformité avec la théorie sous-jacente à la démarche de projet : les finalités liées à l’apprentissage du français contribuent à former des apprenants actifs, responsables et capables d’agir sur leur environnement.
La démarche qu’il préconise s’appuie sur le socioconstructivisme dans ses implications pédagogiques et didactiques comme modèle de référence (travail en groupe, enseignant animateur, élève acteur de son apprentissage, prise en compte de la motivation des élèves dans le choix des projets, évaluation formative). Cependant, l’analyse des manuels censés véhiculer ces directives montre que les contenus des enseignements sont organisés dans des séquences où les liens avec les projets ne sont pas évidents, voire inexistants. Hormis les intitulés des projets, il n’y a rien d’autre dans les manuels qui renvoie à cette démarche, que ce soit dans l’utilisation des concepts inhérents à cette pédagogie ou dans l’organisation des étapes liées à la réalisation des projets. Ce constat est tellement évident qu’une omission des intitulés des projets cités au début du manuel n’affecte en rien l’organisation de celui-ci, tant les contenus sont indépendants des projets.
Cette analyse nous a révélé également que la plupart des manuels scolaires n’impliquent pas l’apprenant dans la réalisation de projets : dans la plupart des cas rédigés au mode infinitif. Ces projets visent la rédaction d’un type de texte précis et écarte le produit social qui devrait être, en fait, l’objectif de tout projet.
Les résultats de l’analyse des réponses au questionnaire ont montré également les difficultés qui entravent le bon déroulement du projet en classe de français langue étrangère. Nous avons également présenté les conditions d’une bonne mise en œuvre de cette démarche. Nous souhaitons présenter en détail notre recherche-action dans un travail ultérieur tout en exposant les difficultés et obstacles rencontrés lors de sa mise en œuvre en classe, pour mieux étudier les différentes interactions.
Références bibliographiques
Arpin, L., Capra, L. (2001). L’apprentissage par projets. Montréal : Chenelière/McGraw-Hill.
Cuq, J-P. (2003). Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde. Paris : CLE International (ASDIFLE).
Gerard, F.-M. et Roegiers, X. (2003). Des manuels scolaires pour apprendre. Concevoir, évaluer, utiliser. Bruxelles : De Boeck, 1re éd.
Giasson, J. (1990). La compréhension en lecture. Bruxelles : DeBoeck, Pratiques pédagogiques.
Giasson, J. (2004). La lecture. De la théorie à la pratique. Bruxelles : De Boeck, Outils pour enseigner, 2e éd.
Hadji, C. (2012). Comment impliquer l’élève dans ses apprentissages ? L’autorégulation, une voie pour la réussite scolaire. Paris : ESF.
Huber, M. (2005). Conduire un projet- élèves. Paris : Hachette Éducation, Professions enseignantes, 1re éd.
Ministère de l’Éducation nationale (2004-2005). Manuel de 1re AS. Office National des Publications Scolaires (Algérie).
Ministère de l’Éducation nationale (2005). Programme de 1re AS. Office National des Publications Scolaires (Algérie).
Ministère de l’Éducation nationale (2005-2006). Manuel de 2e AS. Office National des Publications Scolaires (Algérie).
Ministère de l’Éducation nationale (2006). Programme de 2e AS. Office National des Publications Scolaires (Algérie).
Ministère de l’Éducation nationale (2006-2007). Manuel de 3e AS. Office National des Publications Scolaires (Algérie).
Ministère de l’Éducation nationale (2007). Programme de 3e AS. Office National des Publications Scolaires (Algérie).
Morsly, D. (1988). Le français dans la réalité algérienne, thèse de doctorat d’État soutenue à l’université de Paris V.
Paquay, L., Carlier, G. et al. (2002). L’évaluation des compétences chez l’apprenant. Pratiques. Méthodes et Fondements. Actes du colloque du 22 nov. 2000. Louvain : Presses universitaires de Louvain.
Perrenoud, P. (2000). « Du curriculum aux pratiques : question d’adhésion, d’énergie ou de compétence ? », texte d’une conférence donnée à Québec le 10 octobre 2000. Repéré à http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/
Proulx, J. (2004). Apprentissage par projet. Québec : Presses de l’Université du Québec.
Raynal, F et Rieunier, A. (1997). Pédagogie, dictionnaire des concepts clés. Paris : ESF.
Reuter, Y. (2002). Enseigner et apprendre à écrire, Construire une didactique de l’écriture. Paris : ESF, Collection Didactique du français.
Reverdy, C. (2013). « Des projets pour mieux apprendre ? » Dossier d’actualité Veille et Analyses, n° 82, février. Repéré à : http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/82-fevrier-2013.pdf
Robert, J.-P., Rosen, Y. et Reinhardt, C. (2011). Faire classe en FLE. Une approche actionnelle et pragmatique. Paris : Hachette FLE, Collection F, 1re édition.
Scallon, G. (2007). L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences, 2e éd. Bruxelles : De Boeck.
Vigner, G. (1984). L’exercice en classe de français. Paris : Hachette, F.