Apprentissage de stratégies communicatives au sein de tâches orales en FLE
Fryni KAKOYIANNI-DOA, University of Cyprus, Chypre
Nathalie CHRISTOFOROU, University of Cyprus, Chypre
Résumé
Dans le but d’éviter de présenter les stratégies communicatives comme de simples techniques de résolution de difficultés rencontrées, nous nous sommes penchées sur la perspective actionnelle qui impliquerait l’apprentissage de ces stratégies dans les tâches en classe. Dans cet article nous présentons dans un premier temps les résultats tirés d’observations de classe et d’un questionnaire adressé à neuf enseignants, démontrant notamment la place accordée en expression et interaction orales aux stratégies communicatives en classe de FLE. Puis nous développons l’approche retenue pour l’apprentissage de stratégies communicatives lors d’un atelier d’expression et interaction orales et donnons un exemple de tâche effectuée. Enfin nous exposons les résultats de deux évaluations illustrant l’emploi des stratégies par les participants au début et à la fin de l’atelier.
Expression et interaction orales - FLE - Perspective actionnelle - Stratégies communicatives
Abstract
In order to avoid presenting the communication strategies as simple compensation techniques, we based our study on the action-oriented perspective which involves learning strategies through classroom tasks. In the present article, we initially analyze classroom observations and questionnaire results, with an emphasis on the use of communication strategies inside the classroom, during speaking and oral interaction activities. Then, we present the approach of communication strategies learning inside a speaking and interacting workshop and give an example of an oral task performed. Finally, we present the results of two evaluations, showing the participants strategy use at the beginning and at the end of the workshop.
Communication strategies - Speaking and oral interaction - Task-oriented perspective - TFFL
1. INTRODUCTION
En didactique des langues étrangères, un lien fort semble exister entre les concepts de « tâche » et de « stratégie » car il y a « tâche » lorsque l’apprenant « mobilise stratégiquement les compétences dont il dispose en vue de parvenir à un résultat déterminé » (CECR, 2001 : 15). L’utilisation des stratégies est présentée par le CECR comme un processus nécessaire pour la construction des compétences et la réalisation de la tâche et non pas comme un simple choix à recommander. Comme l’indique encore le CECR (2001 : 106) : « Dans bien des parcours d’apprentissage, il peut paraître souhaitable, à un moment ou à un autre, de concentrer l’attention sur le développement des stratégies qui permettent d’accomplir tel ou tel type de tâches comportant une dimension langagière. L’objectif est alors d’améliorer les stratégies auxquelles l’apprenant a habituellement recours […] en les rendant plus conscientes, en facilitant leur transfert à des tâches où elles n’étaient pas d’abord activées ». Il est ainsi primordial de savoir accorder l’importance nécessaire aux stratégies d’apprentissage afin d’équiper les apprenants de moyens d’apprentissage efficaces. Toutefois comme le signale Oxford (2011 : 10), les enseignants de langues étrangères sont à juste titre préoccupés car les chercheurs intéressés par les stratégies n’ont pas fourni assez de réponses pratiques pour l’enseignement et l’apprentissage dans les classes des langues étrangères [1].
Il semblerait donc que les enseignants auraient besoin d’en savoir plus sur la manière d’intégrer pratiquement les stratégies dans les tâches et activités de classe.
Dans la présente étude un type de stratégies a particulièrement attiré notre attention, celui des stratégies communicatives employées en expression et en interaction orales [2]. Ces stratégies ont en général deux objectifs : 1) la compensation de difficultés et 2) le renforcement du message et l’apprentissage. Le premier objectif consiste à compenser ou surmonter des difficultés [3], exprimées par exemple sous forme de répétitions, hésitations, amorces ou piétinements. Le second objectif consiste à renforcer et à améliorer le message car comme le notent Kasper et Kellerman (1997 : 6), les stratégies communicatives aident à garder la conversation vivante et offrent plus d’occasions pour l’apprentissage [4]. Ainsi, les questions de recherche auxquelles nous tenterons de répondre sont les suivantes : 1) Quelle est la place de l’apprentissage des stratégies communicatives en expression et interaction orales dans les classes de FLE observées à Chypre ? 2) Y a-t-il des difficultés dans l’articulation de l’apprentissage de ces stratégies et des tâches et si oui, quelles sont-elles ? 3) Comment intégrer efficacement l’apprentissage des stratégies communicatives dans la tâche orale tout en leur attribuant un rôle indispensable à sa réalisation ? Afin de répondre à ces questions nous effectuons une étude en deux phases. Dans un premier temps, nous menons des observations de classes au sein de deux établissements dans le but de dresser un état des lieux concernant l’apprentissage des stratégies communicatives en classe, le lien effectué entre ces stratégies et l’accomplissement de la tâche et les éventuelles difficultés relatives rencontrées. Dans un deuxième temps, nous menons une expérience d’enseignement-apprentissage des stratégies communicatives dans un atelier d’expression et interaction orales auprès de neuf apprenants de FLE. Cette expérience permet de réfléchir sur l’approche la plus bénéfique d’apprentissage des stratégies communicatives dans une perspective actionnelle.
Ainsi, dans la présente étude nous présenterons en premier lieu notre cadre théorique et les conclusions tirées des observations de classes ainsi que du questionnaire réalisé avec les enseignants dont les cours ont été observés. Par la suite, nous développerons l’approche adoptée pendant l’atelier et donnerons un exemple de tâche orale qui vise à l’apprentissage intégré de deux stratégies communicatives : 1) la circonlocution (la description d’une idée ou un objet) et 2) la demande de clarifications. Enfin, nous exposerons les résultats de deux évaluations, une diagnostique et une finale, et analyserons ainsi le progrès des participants de l’atelier en ce qui concerne l’emploi des stratégies communicatives.
2. CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIE
2.1. Stratégies et modèle de classement emprunté
Définitions des stratégies
Les stratégies ont fortement intéressé le domaine de l’enseignement et de l’apprentissage des langues. Elles ont reçu au fil du temps plusieurs définitions leur accordant un rôle primordial dans l’apprentissage d’une langue étrangère. Nous retenons ici deux définitions récentes qui nous paraissent particulièrement intéressantes. Tout d’abord, selon Cohen (2011 : 7) les stratégies d’apprentissage constituent des pensées et actions consciemment choisies et mises en œuvre par des apprenants de langues afin de les aider à effectuer une multitude de tâches [5].De plus, d’après Oxford (2011 : 12), les stratégies d’un apprentissage autorégulé d’une langue seconde sont définies comme des tentatives, délibérées et orientées vers un but, de gérer et contrôler des efforts d’apprendre une langue seconde [6]. Donc, selon les auteurs, il s’agit d’actions conscientes et délibérées qui aident à réaliser des tâches et participent à l’apprentissage d’une langue étrangère. Les stratégies sont nombreuses et variées. Par exemple, en compréhension orale, un apprenant choisit de souligner les mots-clés des questions qu’il a devant lui afin de se repérer plus facilement dans le document pendant l’écoute. En interaction orale, un autre apprenant choisit d’imiter son interlocuteur et de copier certaines expressions que celui-ci emploie, afin de donner à sa production l’air d’un discours plus fluide et PLUS près de celui d’un locuteur natif. Les stratégies d’apprentissage constituent ainsi des choix conscients qui répondent à un besoin spécifique et visent à réaliser un objectif précis.
Classement des stratégies par Oxford (2011)
Le modèle de classement des stratégies que nous empruntons pour cette étude est celui proposé par Rebecca Oxford (2011). Dans ce classement, l’auteure propose des stratégies et des métastratégies. Tout d’abord, les stratégies peuvent être séparées en trois types : 1) les cognitives (les stratégies en lien avec la mémorisation et le traitement langagier comme utiliser un raisonnement déductif ou inductif, comparer avec d’autres langues et hiérarchiser des idées), 2) les affectives (les stratégies en lien avec les émotions, les croyances, les attitudes et la motivation comme s’encourager, contrôler sa respiration et récompenser ses efforts) et 3) les socioculturelles-interactives (les stratégies en lien avec le contexte, la communication et la culture comme demander des clarifications, prétendre comprendre et imiter des comportements de la culture de l’autre). L’apprenant qui a recours aux stratégies socioculturelles-interactives cherche à interagir pour apprendre et communiquer, à surmonter des lacunes de connaissance pendant la communication et à gérer des contextes et identités socioculturels. C’est donc au sein du type des stratégies socioculturelles-interactives que se trouvent les stratégies communicatives. Plus précisément, les stratégies communicatives (en expression et interaction orales) consistent à effectuer quatre opérations centrales : 1) formuler différemment, 2) donner des indices physiques, 3) changer le sujet de la conversation et 4) demander de l’aide. Oxford donne plusieurs exemples de stratégies pour ces opérations. Par exemple, pour formuler différemment, elle cite la circonlocution ou la description d’un objet ou d’une idée (en disant par exemple « il est rond, il sert à manger »), l’emploi d’un synonyme ou d’un antonyme dans une tournure syntaxique négative (en disant par exemple « il n’est pas petit » au lieu de « il est grand ») et l’alternance codique (le fait de revenir dans sa langue maternelle ou d’utiliser une autre langue partagée avec l’interlocuteur). Pour l’emploi d’indices physiques, elle signale le recours aux gestes, à la pantomime ou aux expressions faciales. Les stratégies communicatives sont donc nombreuses et varient de locuteur en locuteur. Pour ce qui est des métastratégies, elles sont aussi regroupées dans trois types différents : 1) les métacognitives, 2) les métaffectives et 3) les métasocioculturelles-interactives. Elles constituent selon Oxford des processus ou des outils mentaux importants (qui consistent à planifier, organiser, contrôler et évaluer) et aident l’apprenant à contrôler et à gérer l’utilisation de stratégies [7].
Ce que l’auteure appelle les métastratégies est ce que d’autres modèles – comme celui d’O’Malley et Chamot (1990) – appellent les stratégies métacognitives. Oxford précise que les métastratégies (métacognitives, méta-affectives et métasocioculturelles-interactives) guident l’emploi des stratégies cognitives, affectives et socioculturelles-interactives dans l’ordre respectif. Un exemple de métastratégie socioculturelle-interactive serait le contrôle qu’un apprenant aurait sur sa performance (le fait de pouvoir dire par exemple « j’ai trop souvent recours à ma langue maternelle, je devrais commencer à employer plus la circonlocution » ou « si je rencontre une difficulté et que je ne trouve pas quoi dire je vais expliquer en donnant un exemple de ma vie quotidienne »). Les apprenants ne sont donc pas seulement invités à apprendre à utiliser des stratégies mais aussi des métastratégies qui aident à mieux gérer l’utilisation des stratégies.
Le modèle d’Oxford (2011) nous parait particulièrement intéressant et dynamique parce qu’il accorde un rôle essentiel aux stratégies communicatives. Pour la présente étude nous retenons notamment le classement des stratégies communicatives proposées au sein des stratégies socioculturelles-interactives suivant les quatre opérations précitées. Nous retenons également l’apport des métastratégies sur les stratégies communicatives qui peuvent profondément influencer le choix des stratégies par l’apprenant.
2.2. Méthodologie générale de l’étude
Observations de classes et questionnaire
Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, nous avons effectué une étude en deux phases. En premier lieu, pour découvrir la place accordée aux stratégies communicatives en expression et interaction orales dans les classes de FLE ainsi que les difficultés rencontrées par les enseignants au sujet de l’intégration de ces stratégies dans les tâches, nous avons mené trente heures d’observations de classes. Ces observations ont eu lieu de février à mars 2013 au sein de deux établissements, un centre de langues d’une université et un institut privé à Chypre. Nous avons observé neuf groupes différents composés d’apprenants chypriotes hellénophones adultes de niveaux A1, A2, B1 et B2 du CECR (2001). Les neuf enseignants dont les cours ont été observés, avaient tous à ce moment-là entre 5 et 20 ans d’expérience dans le domaine du FLE. Sept parmi eux avaient une formation initiale en FLE et deux étaient autodidactes. Parmi eux, deux étaient des francophones natifs et sept des chypriotes-grecs ayant effectué leurs études en France. À la fin des observations de classe, les enseignants ont répondu à un questionnaire qui avait comme objectif de dresser un état des lieux de la place accordée aux stratégies en classe et des difficultés qu’ils rencontraient. De ce questionnaire nous avons retenu pour la présente étude les réponses à quatre questions (que nous présenterons dans la partie 3.2) qui peuvent, nous semble-t-il, apporter des éléments de réponse intéressants.
Atelier d’expression et interaction orales
En second lieu, nous avons mené une expérience d’enseignement-apprentissage des stratégies communicatives dans un atelier d’expression et interaction orales auprès de neuf apprenants chypriotes hellénophones de FLE. Avec cette expérience nous avons cherché à intégrer les stratégies communicatives dans les tâches en classe et à étudier le progrès des participants de l’atelier dans l’emploi de ces stratégies. Plus particulièrement, l’objectif de l’atelier était l’apprentissage des stratégies communicatives pour rendre les participants plus performants en expression et en interaction orales. L’atelier était d’une durée de 50 heures au total à raison d’une heure trente par semaine et était composé d’étudiants de niveaux A2, B1 et B2 du CECR (2001) en première et deuxième années d’études françaises ou européennes à l’université de Chypre. Afin de tester le progrès des participants dans l’emploi des stratégies, nous avons effectué deux évaluations. Au début de l’atelier en février 2013, les étudiants ont participé à une évaluation diagnostique dont les résultats ont indiqué quelles stratégies communicatives les participants avaient le plus tendance à employer, lesquelles étaient moins utilisées et enfin lesquelles semblaient être méconnues. À la fin de l’atelier en mai 2014, les étudiants ont participé à une évaluation finale qui, tout comme l’évaluation diagnostique, a pu indiquer les stratégies employées par les étudiants. Les deux évaluations étaient composées de deux activités, d’un exposé pour la compétence d’expression orale et d’un jeu de rôles pour l’interaction orale. Concernant l’exposé, les étudiants ont dû donner leur avis sur un problème de la société contemporaine (comme le racisme ou l’addiction aux écrans) et en parler pendant deux minutes environ. Pour ce qui est du jeu de rôles, les apprenants divisés par deux ont tiré au sort un sujet de la vie courante (comme une demande de remboursement dans un magasin). Les évaluations étaient enregistrées puis transcrites à l’aide du logiciel d’annotation ELAN [8]. Afin d’évaluer le progrès des participants concernant à la fois l’emploi des stratégies ciblées et leur performance générale, nous comparons les stratégies communicatives employées lors des deux évaluations et signalons les évolutions dans leur emploi.
3. RÉSULTATS DES OBSERVATIONS DE CLASSES ET DU QUESTIONNAIRE
3.1. Résultats des observations de classes de FLE
Les cours observés étaient particulièrement intéressants car ils ont permis de donner une première image de la place qu’occupent les stratégies communicatives en expression et interaction orales chez le public ciblé. Comme nous pouvons le voir dans la figure 1 qui suit, la répartition du temps consacré à chaque compétence et type d’activités peut déjà apporter quelques premiers éléments de réponses. Pour ce qui est des compétences écrites, nous avons relevé sept heures de travail en classe sur la compréhension écrite alors que les activités de production écrite étaient toujours données comme devoir à faire à la maison. En ce qui concerne les compétences orales, nous avons identifié quatre heures et dix minutes d’activités de compréhension orale et onze heures et quarante minutes de productions orales (des remue-méninges et des activités d’expression et interaction orales). Nous avons également relevé six heures et dix minutes consacrées à des exercices de types variés à buts grammaticaux, lexicaux ou phonétiques. Enfin, nous avons noté une heure de pauses au total. Il est intéressant d’indiquer que sur les onze heures et quarante minutes d’expression et interaction orales précitées, quatre heures et dix minutes (soit 13% des cours), consistaient en des tâches orales comme elles sont définies par le CECR [9].
Figure 1 – Répartition du temps consacré en classe
aux activités et compétences dans les cours de FLE observés
Pour étudier la place accordée aux stratégies, il nous parait intéressant de noter que pendant les heures de cours observées nous n’avons en aucun cas entendu le terme « stratégie » en classe, ni d’ailleurs d’autres termes qui pourraient renvoyer à ces actions conscientes qui soutiennent l’apprentissage. Il faut ajouter que nous n’avons pas relevé d’apprentissage explicite des stratégies communicatives en classe. Trois stratégies et métastratégies étaient pourtant recommandées par trois enseignants juste avant l’interaction orale : 1) la métastratégie socioculturelle-interactive de la prise en notes des idées pendant la préparation d’une activité d’interaction orale (pour les niveaux débutants A1 et A2 du CECR), 2) la stratégie cognitive du rappel des actes de parole appris pendant la préparation de l’activité d’expression ou interaction orale et 3) la métastratégie socioculturelle-interactive de l’identification préalable du registre de langue à employer pendant l’interaction orale. Ces stratégies et métastratégies étaient donc conseillées aux apprenants avant le début de la préparation de la tâche orale. Concernant les stratégies communicatives, les enseignants et surtout les francophones natifs, demandaient aux apprenants de leur donner des synonymes pendant les remue-méninges en classe. Les enseignants stimulaient ainsi l’apprentissage des synonymes. Or, la stratégie communicative qui consistait à donner un synonyme n’a jamais été conseillée pendant une tâche orale quand par exemple un apprenant rencontrait des difficultés d’expression ou de reformulation. Par ailleurs, nous n’avons pas identifié d’apprentissage de ces stratégies de manière intégrée dans les tâches et il paraît que l’apprentissage des stratégies ne faisait pas partie des objectifs d’apprentissage. De surcroît, nous n’avons pas relevé de travail d’évaluation ni de remédiation stratégique après la tâche, ce qui serait possible, par exemple, en guidant les apprenants vers l’emploi d’autres stratégies pour améliorer leur performance. De plus, nous avons observé que lorsque les apprenants en expression ou interaction orales cherchaient leurs mots pendant quelques secondes les enseignants leur donnaient le mot recherché sans les inviter d’abord à employer des stratégies pour résoudre en autonomie leur difficulté (par exemple, à reformuler, exemplifier ou à reprendre du début ce qu’ils voulaient exprimer). Ainsi, en général nous notons une absence d’apprentissage conscient des stratégies communicatives orales dans les classes de FLE observés.
3.2. Résultats du questionnaire
À la fin des observations de classes, nous avons estimé qu’il pourrait s’avérer efficace d’avoir l’avis des neuf enseignants sur leurs pratiques en classe concernant les stratégies communicatives. La première question que nous leur avons posée était la suivante : « Accordez-vous de l’importance à l’apprentissage des stratégies d’apprentissage et de communication dans vos classes de FLE ? ». 44% des enseignants ont affirmé que oui et 56% qu’ils ne étaient pas sûrs de le faire. Aucun enseignant n’a répondu négativement. La deuxième question était : « Comment faire apprendre les stratégies communicatives ? ». La réponse la plus fréquente (60% des réponses) a été à travers des exercices de vocabulaire et de reformulation. Nous avons eu aussi quatre autres réponses une fois : 1) « en demandant des synonymes dans les remue-méninges », 2) « en faisant plus d’activités d’expression orale », 3) « en faisant plus d’activités d’interaction orale » et 4) « petit à petit dans les unités correspondantes, suivant les objectifs de la leçon ». Les enseignants ne parlent donc pas pour le moment d’intégration des stratégies communicatives dans les tâches en classe. La troisième question était : « Quelles sont les difficultés dans l’apprentissage de ces stratégies ? ». Des réponses différentes ont été données à cette question, que nous regroupons sous les intitulés suivants : 1) je ne sais pas, 2) le manque de temps pour des activités d’expression orale, 3) le manque d’importance de la stratégie d’emploi de gestes (qui sert de stratégie communicative), 4) les apprenants et leurs habitudes (plus précisément la réticence des apprenants, la nécessité de plus réviser le vocabulaire et les habitudes d’apprentissage difficilement modifiables) et 5) le manque d’exercices sur les stratégies dans les manuels. Ces difficultés mentionnées par les enseignants ont bien évidemment été prises en compte pour l’atelier conçu par la suite. La dernière question posée était : « Comment est-il possible d’intégrer l’apprentissage des stratégies précitées dans une approche de type actionnel ? ». Nous avons eu quatre réponses différentes. Plus particulièrement, quatre enseignants ont répondu généralement, en disant que ceci est possible à travers des tâches sans pour autant préciser comment. Trois autres enseignants ont parlé de recommandation des stratégies pendant les tâches alors qu’un dernier a noté que ceci n’est pas possible car il ne voyait pas comment intégrer l’apprentissage des stratégies dans les tâches. Selon cet enseignant : « les synonymes par exemple on va les apprendre à travers des exercices de synonymes et de définitions. Les tâches viennent après ». Les réponses des enseignants montrent qu’ils font tous le lien entre la perspective actionnelle et les tâches. Or, ils ne donnent pas beaucoup d’informations concrètes sur la façon d’intégrer les stratégies dans les tâches.
Ainsi, pour résumer les résultats du questionnaire, nous notons les éléments suivants. Tout d’abord, les enseignants pensent qu’il est possible de faire apprendre les stratégies communicatives, pour la plupart d’entre eux (60%) à travers des exercices de vocabulaire. Ils évoquent différentes difficultés dans l’apprentissage de ces stratégies comme : le manque de temps, le manque d’exercices déjà prêts, les attitudes et habitudes des apprenants. Par ailleurs, intégrer les stratégies dans les tâches signifie, pour la plupart d’entre eux (56%), les recommander pendant la tâche. Enfin, les enseignants observés ne parlent pas d’apprentissage des stratégies communicatives mais seulement de leur utilisation.
4. EXPÉRIENCE D’APPRENTISSAGE DES STRATÉGIES COMMUNICATIVES
4.1. Intégration des stratégies communicatives dans les tâches orales
Comme nous l’avons expliqué dans la partie consacrée à la méthodologie de l’étude, nous avons monté un atelier d’expression et interaction orales qui avait comme but l’apprentissage de stratégies communicatives orales. Plus particulièrement, nous cherchions à faire apprendre aux participants à employer des stratégies communicatives qui pourraient les rendre plus autonomes et performants lors de la prise de parole. Pour atteindre cet objectif nous avons tenté : 1) de développer la prise de conscience des stratégies existantes chez les participants car, comme le note Oxford (2011 : 139) les apprenants développent des stratégies plus facilement lorsqu’eux-mêmes et leurs enseignants sont conscients de l’existence de celles-ci [10] ; 2) de familiariser les participants avec les stratégies communicatives possibles à employer en expression et interaction orales ; 3) de mettre en place un travail systématique sur les stratégies communicatives de formulation et reformulation verbale en privilégiant des stratégies comme l’emploi de la synonymie, l’antonymie, la circonlocution et l’exemplification ; 4) d’accorder une place importante aux stratégies précitées dans les tâches orales effectuées. Le CECR (2001 : 106) note bien d’ailleurs : « Qu’il s’agisse de stratégies de communication ou de stratégies d’apprentissage, si l’on considère qu’il y a là ce qui permet à un acteur social de mobiliser les compétences qui sont siennes pour les mettre à l’œuvre et peut-être les renforcer ou les accroître, il vaut la peine de faire en sorte que de telles stratégies soient effectivement cultivées aussi en tant qu’objectif ».
Afin d’avoir une illustration plus claire de l’intégration des stratégies dans les tâches, nous vous donnons un exemple de tâche en interaction orale, avec deux fiches de travail possibles à donner aux interlocuteurs (cf. Support 1 et Support 2 en Annexe). Cet exemple de tâche que nous appelons : « au service des objets trouvés » est destiné aux apprenants de niveau B1 du CECR. Tout d’abord, nous donnons le contexte de la situation. Un premier participant se trouve à Paris pour des vacances, quand il perd son sac à dos et va au service des objets trouvés pour déclarer la perte. Le participant devient avec cette tâche un acteur social qui doit réaliser la tâche afin de retrouver son sac. Pour effectuer la déclaration de perte de l’objet il est amené à décrire le sac et son contenu en tout détail. La stratégie communicative qui nous paraît incontournable à la réalisation de cette tâche est la circonlocution (la description d’une idée ou d’un objet). La stratégie à employer est inscrite sur le support donné au participant et est présentée comme faisant partie de la tâche. Pour guider davantage l’apprenant nous donnons sur les deux fiches des exemples d’expressions qui peuvent servir de base à l’emploi de la circonlocution comme : « il a l’air » « il sert à » « il est fait de ». De plus, sur la première fiche nous donnons délibérément des images qui illustrent le contenu du sac et non pas les mots écrits car le participant qui ne connaît pas le mot sera plus amené à utiliser la stratégie proposée pour indiquer l’objet. Le deuxième participant qui travaille dans un commissariat au service des objets trouvés a devant lui le deuxième support (Support 2 en Annexe) et un formulaire de déclaration de perte. Ce participant est invité à poser des questions sur l’objet perdu en détail. Pour ce participant il nous semble que la même stratégie, celle de la circonlocution, est indispensable et nous pouvons également ajouter la stratégie qui consiste à demander des clarifications, car c’est à lui de chercher à retirer plus de détails de la part du touriste. Ainsi, les participants se rendent compte de l’importance des stratégies et apprennent à les employer. Avec la conception de cette tâche l’enseignant ne recommande pas tout simplement l’utilisation des stratégies communicatives mais met en place des conditions qui les mettent en valeur (comme l’inclusion des stratégies dans le support et l’ajout d’images servant de supports à l’emploi de la circonlocution). L’emploi des stratégies fait partie de la tâche et répond à des besoins spécifiques, ceux de décrire en détail les objets perdus et de demander des clarifications.
Pendant l’atelier d’expression et interaction orales les mêmes stratégies ont été employées dans des tâches variées. Il nous semblait important que les apprenants puissent petit à petit transposer l’emploi des stratégies à d’autres tâches, pour qu’ils deviennent progressivement plus autonomes. Suivant Oxford (1990 : 207) la recherche montre que l’apprentissage des stratégies est plus réussi lorsqu’il informe l’apprenant de la façon dont elles peuvent être transposées à différentes tâches
[11].
4.2. Résultats de l’atelier d’expression et interaction orales
Pour évaluer le progrès des participants de l’atelier dans l’emploi des stratégies étudiées, nous comparons les résultats des deux évaluations effectuées, de l’évaluation diagnostique au début de l’atelier et de l’évaluation finale à la fin. Les résultats qui sont représentés dans la figure 2 qui suit, montrent que l’utilisation des stratégies communicatives n’a pas été la même dans les deux évaluations.
Figure 2 – Résultats des évaluations diagnostique et finale de l’atelier
Plus particulièrement, lors de l’évaluation diagnostique les participants ont rencontré des difficultés avec, comme résultat, l’arrêt de la communication pendant plus de six secondes huit fois et ont même abandonné la tâche ou le message cinq fois. En revanche, lors de l’évaluation finale les participants n’ont plus abandonné la tâche ou le message et n’ont pas produit de longues pauses. Nous avons noté une augmentation de l’emploi des synonymes (de 0 à 8 fois) et de celui des antonymes (de 0 à 4 fois). Nous avons aussi remarqué une baisse de l’alternance codique (de 5 fois à 0) et une augmentation importante des stratégies non verbales, des gestes et de la pantomime (de 3 à 15 fois). De plus, les stratégies de demande d’aide étaient encore utilisées avec une petite baisse de 9 à 5 fois et nous avons pu noter une augmentation de la circonlocution (de 11 à 20 fois). Il faut aussi signaler que les formulations et reformulations verbales de l’évaluation finale semblent être plus claires que celles de l’évaluation diagnostique. Un exemple de production claire produit est la circonlocution : « le jour de notre naissance » à la place du mot anniversaire. Même si la description donnée ne correspond pas à une définition exacte du mot recherché, la circonlocution était efficace car l’étudiant a pu facilement se faire comprendre. Ainsi, il apparaît que le programme de l’atelier a aidé les participants à employer plus les stratégies communicatives et apprendre à les utiliser de manière plus efficace.
5. CONCLUSION
Pour conclure, la présente étude a pu mettre en évidence que les stratégies communicatives d’expression et interaction orales ne reçoivent pas en classe une attention particulière. Il est ainsi primordial que les enseignants prennent conscience de l’importance des stratégies en classe et qu’ils commencent à guider les apprenants vers l’apprentissage des stratégies les plus efficaces pour chaque compétence. Ces derniers doivent également se rendre compte, par exemple, que donner constamment le mot recherché à un apprenant qui cherche ses mots à l’oral, ne le prépare pas nécessairement à devenir autonome dans la compensation des difficultés rencontrées. Ils devraient pouvoir aider les apprenants en leur donnant les moyens de résoudre ces difficultés. Au lieu de donner le mot ou encore de le traduire dans le cas où celui-ci a été donné dans une autre langue que la langue cible, il serait bénéfique que les enseignants demandent à l’apprenant d’utiliser une stratégie communicative (tout en le guidant dans cette démarche et en lui donnant des exemples de stratégies spécifiques). L’étude a aussi démontré qu’un apprentissage intégré des stratégies communicatives dans les tâches peut être efficace. C’est pourquoi, nous pensons qu’il est primordial pendant la préparation et la conception d’une tâche de comprendre quelles sont ses exigences et de répondre à un de ses besoins spécifiques par le biais d’une ou de plusieurs stratégies. Il est aussi important de ne pas simplement signaler leur emploi en classe mais surtout de les intégrer dans les tâches, d’inciter les apprenants à bien les choisir, à bien les employer (de manière précise et claire) ainsi qu’à évaluer leur propre performance stratégique.
Notes
[1] Notre traduction en français de la citation suivante en anglais : « Classroom teachers are rightly concerned that LLS [Language Learning Strategies] researchers have not provided enough applications for classroom teaching and learning » (Oxford 2011, p. 10).
[2] Il est à noter que les stratégies communicatives peuvent apparaître également à l’écrit. Dans cette étude nous avons choisi de nous concentrer uniquement sur celles employées en expression et interaction orales.
[3] Ce que Oxford (2011, p. 88) appelle : « Overcoming Knowledge Gaps in Communicating ».
[4] Notre traduction en français de la citation suivante en anglais : « keep the conversation going and thereby provide more opportunity for input » (Kasper et Kellerman 1997, p. 6).
[5] Notre traduction en français de la citation suivante en anglais : « Thoughts and actions, consciously chosen and operationalized by language learners, to assist them in carrying out a multiplicity of tasks from the very onset of learning to the most advanced levels of target-language (TL) performance » (Cohen 2011, p. 7).
[6] Notre traduction en français de la citation suivante en anglais : « Self-regulated L2 [Second Language] learning strategies are defined as deliberate goal-directed attempts to manage and control efforts to learn the L2 » (Oxford 2011, p. 12).
[7] Notre traduction en français de la citation suivante en anglais : « Crucial mental processes or tools, called metastrategies (such as Planning, Organizing, Monitoring, and Evaluating), help the learner control and manage the use of strategies in each dimension : cognitive, affective, and sociocultural-interactive. » (Oxford 2011, p. 15).
[8] Eudico Linguistic Annotator (ELAN). Max Planck Institute for Psycholinguistics, The Language Archive. Nijmegen : The Netherlands. En ligne : http://tla.mpi.nl/tools/tla-tools/elan/
[9] « Est définie comme tâche toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé. Il peut s’agir tout aussi bien, suivant cette définition, de déplacer une armoire, d’écrire un livre, d’emporter la décision dans la négociation d’un contrat, de faire une partie de cartes, de commander un repas dans un restaurant, de traduire un texte en langue étrangère ou de préparer en groupe un journal de classe » (CECRL 2001, p. 16).
[10] Notre traduction en français de la citation suivante en anglais : « Students develop L2 learning strategies more easily when they and their teachers are aware of these strategies. » (Oxford 2011, p. 139).
[11] Tiré de : « Research shows that strategy [instruction] that fully informs the learner (by indicating why the strategy is useful, how it can be transferred to different tasks, and how learners can evaluate the success of the strategy) is more successful » (Oxford 1990, p. 207)
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Richer, J-J. (2009). Lectures du Cadre : continuité ou rupture ?. Dans Liria, P., Lacan, L. (dir.), L’approche actionnelle dans l’enseignement des langues, 13-48. Paris : Maison des langues.
Annexes
Support 1 – Fiche de travail pour le premier interlocuteur de la tâche orale proposée
Support 2 – Fiche de travail pour le deuxième interlocuteur de la tâche orale proposée