Contribution du texte identitaire au renforcement de l’identité plurilingue et à l’accroissement de la motivation pour l’apprentissage d’une nouvelle langue à l’école
Giota GATSI, Université Aristote de Thessaloniki, Grèce
Résumé
Le « texte identitaire » constitue selon Cummins (2005) un reflet de l’identité de son auteur à un moment donné de sa biographie.Les hypothèses de notre recherche sont que la production par les élèves de textes identitaires peut renforcer (H1) leur estime d’eux-mêmes et (H2) leur motivation pour l’apprentissage de nouvelles langues à l’école. Ces hypothèses sont confirmées par les résultats de l’analyse de contenu croisée d’une collection de textes identitaires produits par les élèves de classes de français et d’allemand (cinquième et sixième) dans une école primaire en Grèce, durant une période qui s’étend de 2009 à 2011. La mise en relation par un tableau croisé des microfonctions réalisées et des référents recensés dans les textes des élèves permet l’établissement d’une liste de représentations, de l’identité plurilingue collective/individuelle (Moore & Brohy, 2013) notamment, et conduit à la mise en évidence d’indicateurs de l’épanouissement personnel, du renforcement de l’estime de soi, du développement de la compétence plurilingue et de l’accroissement de la motivation pour l’apprentissage de nouvelles langues induits par l’activité de rédaction elle-même.Au sein de la population observée, il semble donc que l’activité de rédaction de textes identitaires constitue un outil didactique nouveau, qui peut contribuer à renforcer dans une mesure sensible l’identité plurilingue et inciter les élèves à apprendre une nouvelle langue à l’école, à persévérer dans cet apprentissage.
Abstract
According to Cummins (2005), the « identity text » reflects the identity of its author at a certain moment in his life. Our research seeks to demonstrate that students’ identity texts can strengthen their self-esteem and their motivation in learning new languages at school. These hypotheses are confirmed by the results of the cross-section analysis of collected identity texts produced by 5th and 6th grade pupils attending French and German classes at a primary school in Greece between 2009 and 2011. The cross-examination of the microfunctions carried out and the referents identified in the students’ texts allow the establishment of a list of representations, and more particularly, of the collective/individual plurilingual identity (Moore & Broh, 2013). Furthermore, it leads to the identification of self-fulfillment indicators, of enhanced self-esteem, of the plurilingual competence development and of increased motivation for learning new languages induced by the activity of writing itself. Within the observed population, it seems, therefore, that the activity of writing identity texts forms a new tool for the didactic approach, which can make a significant impact with regard to strengthening the students’ plurilingual identity, to encouraging students to learn a new language at school as well as persevering in this learning process.
1. INTRODUCTION
Nous vivons désormais dans un monde plurilingue, pluriculturel. Nos sociétés essaient de s’y adapter. À l’instar de la société grecque et forte de son expérience des vagues migratoires des années 90, l’école grecque cherche à intégrer les enfants de réfugiés. En 2016 pourtant, le nombre de ces nouveaux élèves est resté modeste, moindre que celui qui avait été prévu en début d’année scolaire (cf, par exemple, Oikononomidis, 2016 ; Lakasas, 2016). Ce petit nombre trahirait-il quelque inefficacité des structures d’accueil du système éducatif grec ? Différents outils et pratiques sont pourtant utilisés pour exploiter le capital linguistique et culturel particulier de ces nouveaux élèves et pour favoriser ainsi leur intégration. Dans cet article, nous essaierons de présenter l’usage du texte identitaire, en tant que pratique pour le renforcement de l’identité plurilingue des apprenants mais aussi en tant qu’outil contribuant, non seulement à la promotion des langues d’origine des élèves, mais aussi à la naissance d’une motivation pour l’apprentissage des nouvelles langues au contact desquelles ils sont entrés.
Au cours de ces dernières années, dans les classes de l’école primaire et dans le cadre du cours de langue française, nous avons fait produire par les enfants de familles migrantes des textes identitaires (cf. Gatsi, 2009a, 2009b, 2010, 2011 ; Gkaintartzi, Gatsi & Tsokalidou, 2010 ; Delhaye & Gatsi, 2013). Il s’agit de textes dans lesquels les élèves sont appelés à exprimer leurs attitudes envers les autres, leur expérience dans l’apprentissage, non seulement du français mais aussi d’autres matières. Dans ces textes, ils exposent et mettent en valeur leur profil, notamment leur identité plurilingue à l’école. Ce bagage plurilingue est généralement ignoré par les acteurs de l’apprentissage, voire même exclu. C’est notamment pourquoi, selon Cummins (2005 : 48-49), les élèves se sentent souvent en position d’infériorité à l’école. Pourtant, selon la bibliographie afférente, la mise en valeur de cette identité plurilingue et pluriculturelle peut constituer une source d’enrichissement et contribuer à leur progrès (cf., par exemple, Gatsi&Delhaye, 2015 ; Gogonas, 2010).
Dans la suite de cet article, nous adopterons la définition que donnent Cummins et al. (2006) des textes identitaires :
Nous utilisons le terme de textes identitaires pour décrire les produits du travail de création ou des performances créatives d’élèves, réalisé au sein de l’espace pédagogique et orchestré par le professeur. Les étudiants investissent leur identité dans la création de ces textes qui peuvent être écrits, parlés, visuels, musicaux, joués ou constituer des combinaisons multimodales. Le texte identitaire tient alors lieu de miroir dans lequel se reflètent leurs identités sous un jour positif.
[1]
Le texte identitaire peut donc permettre aux élèves de prendre conscience de l’existence de leur répertoire plurilingue et de l’exploiter. Le texte identitaire constitue aussi un outil grâce auquel les enseignants peuvent découvrir et exploiter le répertoire plurilingue de leurs élèves, encourager leur apprentissage des langues. Cummins (2009) ajoute que pour s’occuper efficacement d’élèves culturellement et linguistiquement divers, les enseignants doivent multiplier les occasions de « s’engager » activement dans la lecture et l’écriture, dès le début de leur scolarisation dans le pays d’accueil.
L’organisation de la rédaction de textes identitaires permet de faire adopter par les élèves des attitudes positives envers les langues. Dans cette perspective d’éducation interculturelle, ils s’ouvrent à la diversité linguistique et deviennent plus curieux à propos des langues utilisées par leurs pairs (Armand et al., 2014).
Ils développent des facultés d’observation du fonctionnement des langues et opèrent des transferts de leurs habiletés et connaissances entre les langues. Par le biais des textes identitaires, les élèves cultivent l’empathie linguistique, font émerger des représentations des langues que les enseignants peuvent, en exploitant leur discours, aider à organiser au cours d’ateliers d’éveil aux langues (Kervran, 2007).
En attribuant aux langues et dialectes une importance égale, les enseignants peuvent aussi contribuer au renforcement de l’estime de soi qui constitue l’une des clés de la réussite scolaire et qui permet aussi la neutralisation de tensions et de blocages cognitifs et émotionnels pouvant résulter des représentations négatives qu’ils ont d’eux- mêmes et de l’échec scolaire auquel ils sont souvent très tôt confrontés (Delhaye & Gatsi, 2013 : 56).
Les élèves peuvent rédiger ces textes identitaires en collaboration. Ils prennent ainsi mieux conscience de leur propre capital linguistique et de l’ensemble des langues qui les entourent. Dans leur esprit, l’interdépendance des langues (Cummins, 2001) rend caduque la notion de langues minoritaires ou fortes.
La conscience qu’ont les élèves de leur bagage culturel et linguistique peut en outre leur permettre de se construire une identité de façon plus harmonieuse durant le processus de leur intégration dans la société.
2. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
La recherche entreprise consistera à repérer ce qui, dans les textes identitaires, contribue ou exprime quelque contribution au renforcement de l’identité plurilingue et à l’accroissement de la motivation pour l’apprentissage d’une nouvelle langue à l’école.
Le corpus de recherche est constitué de 116 textes identitaires produits par des élèves de 11 et 12 ans, en 5e et 6e année à l’école primaire grecque durant les années scolaires 2009-2010 et 2010-2011. Ces textes sont rédigés en grec, langue de travail commune et langue officielle de l’école. Les élèves apprennent aussi le français ou l’allemand, langues étrangères.
Les outils de recherche servent l’analyse de contenu croisée de ces textes. Comme nous le rappelons dans d’autres rapports de nos activités de recherche (cf. par exemple, Delhaye & Gatsi, 2013 : 60),
L’analyse de contenu, qui est un ensemble de procédés spécialisés servant à la collecte, à la description et au traitement de données qualitatives (De Bonville, 1999 : 10) peut comporter une part de subjectivité puisque le chercheur est amené à constituer une batterie de descripteurs, non pas avant l’analyse mais bien au fil de l’analyse. On peut toutefois considérer que cette analyse est scientifique lorsque la sélection des descripteurs se fait dans le respect de critères préétablis et que le critère de reproductibilité est satisfait. C’est bien le cas pour cette étude puisque la grille d’analyse, constituée et appliquée par deux chercheurs indépendants, a permis d’aboutir à des résultats identiques.
Cette grille revêt la forme d’un tableau bidimensionnel. Les actes de paroles effectués par les élèves dans leurs textes identitaires (exprimer un sentiment, une volonté, un souhait, se référer à un fait du passé, etc.) ont été recensés puis portés en abscisse. Les référents relevés (identité plurielle, plurilinguisme, racines familiales, langues parentes, métalangue, etc.) ont, quant à eux, été portés en ordonnée sur ce tableau.
Une telle disposition a permis de ne pas nous limiter au recensement des seules références à l’identité plurilingue et à la motivation pour l’apprentissage de la langue d’enseignement. Elle a permis de systématiquement déterminer l’utilisation fonctionnelle (exprimer la conscience que l’on a de son identité plurielle, exprimer une représentation positive du plurilinguisme, etc.) qui est faite de chacun des énoncés intégrant l’un de ces référents.
L’analyse qualitative a été doublée d’une analyse quantitative fondée sur le postulat de la corrélation entre l’importance d’un phénomène et la fréquence de ses manifestations (De Bonville, 1999 : 125). Ainsi, les fréquences d’apparition d’un même référent – bien entendu corrélées à la composante fonctionnelle – ont également été comptabilisées.
3. RÉSULTATS
Les principales caractéristiques relevées au cours de l’analyse de contenu des textes identitaires sont les suivantes.
3.1. Conscience de l’identité plurielle et intérêt pour l’apprentissage des langues
Les élèves d’origine migrante ont une image claire de leur identité plurilingue. Ils comprennent que leur répertoire linguistique est composé d’une ou de plusieurs langues différentes de la langue officielle de l’école et que cela rend leur identité particulière.
Les élèves moins bien classés par les enseignants de l’école officielle grecque expriment un plus grand intérêt pour les langues. Ils affirment plus fortement leur identité plurilingue, l’importance qu’ils attribuent à leurs langues d’origine et à son utilisation dans le processus d’appropriation de la nouvelle langue. L’analyse des textes montre d’ailleurs aussi que la plupart des élèves ont « dépénalisé » le fait qu’ils disposent de répertoires linguistiques autres que ceux du grec et que leur estime d’eux-mêmes s’en trouve renforcée [2].
Il apparaît enfin que les apprenants ont pris conscience du fait que l’utilisation de leurs langues d’origines ne freine pas leur progrès et qu’au contraire, elles peuvent être utilisées comme un tremplin pour l’acquisition d’autres langues.
3.2. Motivation pour le plurilinguisme
L’engouement pour le plurilinguisme apparaît dans la majorité des textes identitaires étudiés. Ce plurilinguisme est toutefois lié à des motivations diverses. Le plus souvent, les langues sont présentées comme constituant des traits composant l’identité des élèves, une identité elle-même présentée comme changeante, toujours en évolution.
Nous voulons apprendre beaucoup de langues comme le français, l’espagnol, l’italien, l’allemand, le serbe et le chinois. Le serbe, parce que ma maman est de là et l’italien parce que c’est là que se trouve ma cousine. Les autres langues, on veut les [apprendre] parce qu’on croit qu’elles vont nous être utiles à l’avenir mais aussi parce qu’on aime leur prononciation […]
[3]
Reproduction du texte identitaire no 1
3.3. Positivité de la représentation des langues liées aux besoins de communication, à la culture d’origine et aux voyages
Dans les écrits étudiés, les élèves développent les avantages du plurilinguisme. Ils sont conscients du fait que les langues sont des outils de communication indispensables et ils manifestent leur volonté de les apprendre. Les atouts principaux du plurilinguisme sont, pour eux, liés aux références culturelles, au pays d’origine et aux voyages. Les apprenants présentent donc les avantages du plurilinguisme, en évoquant la compétence plurilingue et pluriculturelle, qui recouvre les circulations, médiations et passages entre les langues et entre les cultures (Coste, Moore & Zarate, 2009).
Lundi, le 30 mars 2009. Moi je parle des langues étrangères seulement avec ma maman, je parle le russe et le turc mais la plupart du temps le grec. Quand je vais en vacances à Thassos où ma grand-mère habite nous parlons souvent le turc, nous parlons rarement le russe. Quand je vais à l’école dans la classe de français, français, je voudrais dire que nous apprenons avec une très bonne prof. L’anglais, je le parle quand je vais aux cours privés de langue. Je peux même compter 1, 2, 3 en russe, en turc, en français, en allemand, en géorgien, en anglais et en chinois. Maria
Reproduction du texte identitaire no 2
Moi, je voudrais apprendre toutes les langues parce que je crois que c’est très beau d’apprendre beaucoup de langues étrangères parce que je veux, quand je vais grandir, aller dans le monde entier et communiquer facilement […].
Reproduction du texte identitaire no 3
3.4. Esquisse d’une politique linguistique
Les élèves sont visiblement conscients des politiques linguistiques mises en place et que reflète le fonctionnement de l’école grecque. Cette dernière est ressentie comme étant « glottophobe », pour reprendre le terme de Blanchet (2014) : elle impose par exemple une idéologie linguistique, celle de l’hégémonie de la langue anglaise en tant que lingua franca. Les langues qui sont enseignées dans les écoles grecques, au titre de langues étrangères, sont des langues présentées et considérées comme « fortes », dominantes. Toutefois, leur apprentissage n’est pas (ou plus) vécu comme l’expression d’une domination parce que les acteurs sociaux sont convaincus que « c’est pour leur bien » et/ou que « ça ne peut pas être autrement » (Blanchet, 2013). Les élèves grecs diront, par exemple, que ces langues « offrent des perspectives professionnelles ».
Pourtant, les auteurs des productions écrites étudiées revendiquent l’apprentissage de de langues supplémentaires, autres que celles dont l’apprentissage est généralement imposé. Ils acceptent la politique linguistique en vigueur mais essaient de combattre l’insécurité linguistique qui pourrait les stigmatiser en reconnaissant, outre les avantages des langues enseignées, ceux que procure l’apprentissage, souhaité, d’autres langues.
[…] à mon avis, je crois que tous les enfants devraient apprendre plus de langues à l’école parce que c’est amusant, beau et que tu t’amuses bien.
Reproduction du texte identitaire no 4
Nous voulons apprendre français, allemand, espagnol, turc. Parce que l’Allemagne est en bonne situation économique et tu peux trouver un travail […].
Reproduction du texte identitaire no 5
Nous sommes Vaggelis et Giannis. Tous les deux nous voulons apprendre l’anglais qui est parlé presque dans le monde entier. Vaggelis préfère l’allemand et moi le français […].
Reproduction du texte identitaire no 6
3.5. Limitation de l’apprentissage aux langues plus proches l’une de l’autre
Les propos tenus dans ces derniers extraits de textes identitaires confirment le besoin d’un éveil aux langues à un âge précoce. Les approches plurielles (Candelier, 2006) s’avèrent d’autant plus utiles que les élèves grecs ont seulement l’expérience des langues les plus répandues, les représentations de l’apprentissage des langues les plus courantes dans la société grecque excluant l’utilité d’un apprentissage des langues d’origine ou des langues moins parlées. Les approches plurielles permettraient aux apprenants qui éprouvent des difficultés à découvrir seuls des similarités ou des divergences entre les langues, de découvrir leur interaction dans un plus vaste répertoire.
Moi, la langue que je veux apprendre est l’italien et le suédois parce que je veux voyager dans ces pays et […] parce que j’aime leur accent.
Reproduction du texte identitaire no 7
[…] bien sûr, quelques langues sont les mêmes entre elles au plan des lettres et c’est un peu la confusion pour moi.
Reproduction du texte identitaire no 8
3.6. Origine sentimentale de la motivation
La motivation pour l’apprentissage des langues semble liée à l’identité plurielle des élèves. L’identité des élèves, changeante, est faite de représentations dont les plus fortes semblent être celles de la langue et de la famille. Ces représentations en constante interaction sont manifestées par des références exprimées en termes de sentiments forts. Des identités plurielles saines pourraient conduire à la réussite, et non à l’échec scolaire induit par la coupure des appartenances. Ainsi, l’expression par les élèves de cette volonté d’apprendre d’autres langues que le grec, renforce le sentiment qu’ils ont de leur appartenance familiale. Ceci constitue un avantage supplémentaire de l’apprentissage des langues.
Je veux apprendre convenablement l’allemand parce que mes cousins sont en Allemagne et que je veux communiquer avec eux. Et puis aussi le turc parce que j’ai des cousins turcs. Je veux apprendre l’anglais parce qu’avec l’anglais je peux voyager dans tous les pays. Comme aussi l’albanais parce que j’ai des cousins albanais. En général, moi, j’ai des amis allemands, turcs et albanais et bien sûr des cousins et cousines pontiques. C’est pour ça que je veux apprendre tant de langues.
Reproduction du texte identitaire no 9
3.7. Persévérance induite par la motivation
De nombreux élèves expriment aussi les expériences qu’ils ont vécues au cours de leur apprentissage des langues. Souvent, de simples textes identitaires, leur production devient biographie langagière (Thamin & Simon, 2009). Elle s’attache alors à souligner les avantages mais aussi les difficultés de cet apprentissage. L’échange des expériences de l’apprentissage par le partage des textes identitaires produits permet de promouvoir les modalités d’apprentissage des langues qui ont paru les plus efficaces. Ce partage d’expériences induit aussi une valorisation des vécus visant l’acquisition des langues.
Les langues qu’on veut vraiment apprendre sont l’allemand, le français mais aussi l’espagnol. On voudrait apprendre ces langues parce qu’elles sont utile pour chaque personne. Avec l’apprentissage des langues, la langue enrichit les connaissances de chacun. Quelques fois les langues qu’on apprend nous provoquent des difficultés mais toujours ça vaut la peine.
Reproduction du texte identitaire no 10
3.8. Utilisation d’un début de métalangue
Il a été montré supra que les apprenants dont les textes identitaires ont été étudiés sont conscients de leur capital plurilingue et des différents contextes dans lesquels ils useront des langues acquises. Ils exercent parfois aussi sur leur compétence plurilingue une réflexion qu’ils expriment en termes proprement linguistiques. À titre d’exemple, nous rapportons ci-après un passage où l’élève tient un propos métalinguistique en utilisant l’adjectif « plurilingue », peu courant dans la langue grecque quotidienne.
Salut, je parle russe chez moi et quand je parle avec des personnes qui connaissent la langue, français dans la classe de français, turc quelques fois avec ma grand-mère et anglais dans la classe d’anglais. De plus, ma famille est plurilingue c’est-à-dire nous connaissons le grec, le français, l’anglais, le turc et le russe. Je parle beaucoup de langues parce que mes parents sont de Géorgie et là ils apprennent beaucoup de langues.
Reproduction du texte identitaire no 11
4. CONCLUSIONS
Il semble donc que
– la rédaction par les élèves de textes identitaires peut aider l’enseignant à découvrir le bagage linguistique de ses apprenants et à appliquer ainsi « le principe de l’interdépendance » et/ou d’autres didactiques du plurilinguisme ;
– la rédaction d’un texte identitaire fait de l’élève un acteur plus responsable de son apprentissage ;
– la langue ou les langues parlées comptent parmi les principales composantes de l’identité personnelle de l’élève ;
– l’élève a conscience des avantages du plurilinguisme et désire développer ses compétences de communication, notamment en exerçant une réflexion critique sur sa biographie langagière, sur les traits de son environnement linguistique et culturel ;
– le texte identitaire constitue un véritable outil pour la promotion de l’apprentissage et de l’usage des langues et pour l’affirmation de l’identité plurilingue ;
– les textes identitaires tracent des pistes qui permettent à l’enseignant de recenser les représentations des élèves, de faire ensuite disparaître les éventuels stéréotypes ;
– le recours aux approches plurielles induisent un renforcement de la motivation des élèves ;
– la production de textes identitaires peut renforcer l’estime qu’on les élèves d’eux-mêmes et leur motivation pour l’apprentissage.
En s’engageant dans la voie des approches plurielles, mieux adaptée à un public divers et plurilingue, en organisant régulièrement la rédaction de textes identitaires, les enseignants devraient pouvoir jeter les fondations d’une société à la fois plurielle et pluraliste, qui inclue véritablement tous ses membres.
Notes
[1] Trad. de l’anglais « We use the term identity texts to describe the products of students’ creative work or performances carried out within the pedagogical space orchestrated by the classroom teacher. Students invest their identities in the creation of these texts which can be written, spoken, signed, visual, musical, dramatic, or combinations in multimodal form. The identity text then holds a mirror up to students in which their identities are reflected back in a positive light ».
[2] Par ailleurs, la lecture qui a été faite de leurs textes en classe ou la publication de ces textes (Gatsi, 2009a, 2009b, 2010, 2011) a rendu les élèves encore plus responsables dans leur culture du plurilinguisme, leur a permis d’exprimer leurs opinions d’une façon plus affirmée encore.
[3] Nous traduisons la séquence discursive encadrée dans la reproduction du texte identitaire correspondant. Il en ira de même dans les pages qui suivent.
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