Identification des besoins et conception de programmes pour l’enseignement/ apprentissage des Langues Étrangères sur Objectifs Spécifiques en Hôtellerie-Restauration et Tourisme
Chantal PARPETTE, Université de Lyon, Laboratoire ICAR, France
Résumé
L’élaboration d’un programme de langue sur objectif spécifique passe par une analyse du monde professionnel ciblé qui permet d’identifier les besoins langagiers et culturels des apprenants, futurs acteurs du champ professionnel visé.
Un tel programme suppose un travail de terrain important pour constituer des supports de formation adaptés au contexte local et susceptibles d’être combinés à du matériel pédagogique existant dans le monde de l’édition. La démarche didactique de ce type de programme suppose un soutien de l’institution enseignante. C’est cet ensemble d’éléments qu’analyse l’article pour ce qui concerne les programmes de langue destinés aux élèves des métiers d’hôtellerie-restauration.
Analyse des besoins - Collecte de données - Contexte local - Langue sur objectif spécifique - Travail de terrain
1 INTRODUCTION
Que doit proposer l’enseignant aux apprenants qui veulent communiquer de façon opératoire dans tel ou tel métier ? C’est la question que posaient M-J. Berchoud et D. Rolland en 2004 dans l’introduction d’un numéro de Recherches et Applications consacré aux relations entre la langue et les métiers. La réponse à cette interrogation est présente en didactique du français langue étrangère, sous divers avatars terminologiques, depuis les années 70, et même avant pour ses premières manifestations. Du français fonctionnel, aujourd’hui disparu, au français sur objectif spécifique (FOS) actuel cohabitant avec le français de spécialité ou le français professionnel, et quelques autres, le champ a une allure éclatée et peut susciter chez les enseignants et les formateurs un désir de clarification. Cette diversité tient en grande partie aux angles d’approche adoptés, selon que l’on privilégie une spécialité (le droit, la médecine), une profession (cuisinier, infirmier), ou un contexte (le français universitaire, le français langue d’intégration). Le terme "français sur objectif spécifique", plus généralisant, pouvait sembler en surplomb de tous les autres. Il y a une quinzaine d’années, nous avons préféré avec J.-M. Mangiante (2004) profiter en quelque sorte de cette offre lexicale diversifiée pour affecter à "français sur objectif spécifique" une définition plus précise, celle d’une "démarche de conception" de programme. Nous allons ici nous pencher sur les notions qui sous-tendent cette démarche et voir quelle méthodologie elle met en œuvre.
2 BASES THÉORIQUES
Dans l’enseignement d’une langue étrangère, on peut distinguer, très globalement deux champs, la langue générale et la langue sur objectif spécifique. Mon objectif n’est pas ici d’entrer dans la question linguistique non résolue de ce qu’est la langue générale et une langue spécialisée, mais simplement de rappeler le périmètre que l’enseignement des langues a, dans les faits, affecté à chacune.
Le français général – puisqu’il s’agit ici de la langue française – regroupe les situations partagées par « tout le monde », portant sur le déroulement et les échanges de la vie quotidienne privée, des loisirs, de l‘école, du travail, et sur des thématiques sociales et culturelles. Ce "tout le monde" est en fait un certain public, celui, scolarisé, des centres de langues, et qui peut être amené à se déplacer en zone francophone. Les contours de cette langue générale ont été façonnés par les didacticiens et leurs réflexions sur les situations de communication quotidiennes, puis confortés et stabilisés par les méthodes FLE mises sur le marché par les éditeurs et largement utilisées dans le monde, sans oublier l’étape importante de la création et diffusion du CECRL [1] qui a en quelque sorte donné une assise normative à cette notion. Les publics faiblement scolarisés en situation de migration précaire ne relèvent pas de ces méthodes généralistes. Ni le niveau de compétence linguistique exigé par ces méthodes qui accordent une large place à l’écrit, ni leur manière d’aborder les thèmes traités ne correspondent à leurs profils.
Le français sur objectif spécifique est, lui, plus particulier à une catégorie de personnes, à des groupes professionnels (médecins, guides touristiques, cuisiniers) ayant à maitriser le français dans le cadre de leur activité professionnelle, ou à des étudiants réalisant des études ou des stages en contexte francophone.
Le français général et le français sur objectif spécifique reposent sur les mêmes fondements théoriques. Le plus important peut être résumé par la formule suivante : les productions langagières sont structurées par les contextes qui les génèrent, c’est-à-dire en fonction des locuteurs, des lieux, des moments, des circonstances, des objectifs de la communication. Cette relation entre discours et contexte est issue de la pragmatique du discours, domaine qui a émergé dans les sciences du langage dans les années 70 (voir Maingueneau 2009, p. 33 et 101).
C’est sur cette base théorique que s’est construite la méthodologie communicative dans l’enseignement des langues qui structure ses objets pédagogiques autour des notions centrales
- de situations de communication,
- de besoins (langagiers et culturels),
- d’actes de langage (on s’exprime pour faire quelque chose – pour saluer, pour interroger, pour donner son avis, pour exposer un problème, etc.),
- de variation langagière (on s’exprime différemment avec des interlocuteurs différents et/ou dans des circonstances différentes),
- d’authenticité de la communication.
L’ambition de la méthodologie communicative est de rapprocher le plus possible la pratique des langues en classe de leur usage en situations naturelles. Ainsi, en français général, on considère qu’un apprenant en contact avec des interlocuteurs francophones se présente, parle de lui, de son pays, de son parcours, de ses études, de son métier, de ce qu’il aime, donne son avis ; il fait des courses, va au restaurant, au spectacle, regarde la télévision, lit le journal, discute de faits de société actuels, rédige des courriers, remplit des formulaires, etc. Le matériel pédagogique « reconstitue » ces situations de communication, en les adaptant au niveau de connaissance linguistique des apprenants. Cette approche se lit clairement à travers les sommaires des manuels d’enseignement du français, par exemple :
- dire son identité, dire son métier, exprimer ses goûts, raconter une expérience (Défi 1, 2018),
- comprendre et commenter des informations, préparer un voyage, débattre d’un sujet d’économie (Tendances B1, 2016).
Dans cette perspective, la notion d’authenticité a pris une importance particulière. Elle a revêtu deux formes dans le matériel pédagogique :
- une plus grande proximité avec la réalité énonciative, syntaxique et lexicale des discours en situations naturelles, pour les discours créés ou reconstitués ;
- l’insertion de documents authentiques écrits et oraux.
Le français sur objectif spécifique s’appuie sur les mêmes notions de base. La différence avec le français général réside dans le fait que les apprenants sont considérés dans leur spécificité catégorielle et non dans ce qu’ils ont de commun les uns avec les autres comme on l’a vu plus haut. Cela implique un traitement beaucoup plus "au cas par cas", ce qui a une incidence directe sur la création éditoriale. Travailler au plus près des besoins de chaque métier ou contexte réduit considérablement le public potentiellement acheteur d’un matériel pédagogique adapté. Ces différences entre français général et français sur objectif spécifique ont été schématisées sous la forme suivante (Mangiante et Parpette (2004 : 154) :
Les points 1 et 2 interrogent peu, la caractéristique première des langues sur objectif spécifique étant de s’intéresser aux publics pour lesquels la formation est censée répondre à des besoins précis, assez clairement identifiés. Le point 3 renvoie à l’analyse des besoins réalisée par le concepteur à partir de l’étape de découverte du terrain qui circonscrit les aspects langagiers à traiter en priorité dans la formation. Le point 4 met l’accent sur le point essentiel d’un programme sur objectif spécifique, à savoir qu’il confronte l’enseignant à un domaine qui lui est étranger et qu’il découvre par les contacts qu’il noue avec les acteurs du terrain professionnel ciblé. Ce sont ces contacts qui lui permettent de recueillir les informations et les données sur lesquelles construire son programme. Le point 6 souligne le fait que la spécificité catégorielle du public réduit les possibilités de trouver des programmes adaptés sur le marché de l’édition et implique souvent une création du programme par l’enseignant qui devient dans ce cadre un enseignant-concepteur.
La présentation sous forme de tableau rend certes les choses schématiques et gomme les nuances, mais elle permet de faire apparaitre les spécificités des programmes sur objectif spécifique et ce qui conduit les enseignants à devenir davantage concepteurs de programmes et de séquences pédagogiques. Et c’est cette démarche de conception, rendue nécessaire dans nombre de cas de publics professionnels, que recouvre le terme de FOS. Seul le point 7 ne fait aucune distinction entre français général et FOS. En effet, la spécificité d’un enseignement de langue sur objectif spécifique ne réside pas dans les activités d’apprentissage qui sont les mêmes que celles du français général quelle que soit l’aptitude concernée (QCM, vrai-faux, questions, tableaux, appariement, etc. pour la compréhension ; jeux de rôle, discussion, exposé, etc. pour l’expression orale ; ou encore modélisation-reproduction pour l’expression écrite), mais bien dans la démarche d’analyse du terrain, de collecte de données et de conception de programmes à partir de ces données.
3 DÉMARCHE DU FRANÇAIS SUR OBJECTIF SPÉCIFIQUE
Comme on vient de le voir, la conception de programme en FOS passe par l’identification des besoins (1) et le recueil de données (2) à partir desquelles sont construites les séquences pédagogiques (3).
3.1 Identification des besoins
L’analyse des besoins passe par le repérage et l’analyse des situations de communication en langue étrangère dans lesquelles se trouveront les futurs professionnels. C’est ainsi qu’ont été construits des programmes pour les médecins étrangers travaillant dans les hôpitaux français, pour les infirmiers, pour les cuisiniers, pour les élèves-ingénieurs en situation d’étude en France, etc.
Voici quelques exemples de situations traitées pour les médecins dans les hôpitaux (Le français des médecins, 2008) :
- faire connaissance avec l’équipe médicale et paramédicale ;
- interroger un patient ;
- examiner un patient ;
- donner des consignes ;
- rédiger une observation clinique, prendre avis auprès du médecin sénior ;
- etc.
Ces intitulés des unités du manuel représentent les situations de communication vécues par un médecin en hôpital. On voit à travers les sommaires des ouvrages le rôle central que joue la notion de situation de communication dans la détermination des besoins. Quels types de besoins cerne-t-on dans l’étude des situations de communications dans la perspective d’un programme linguistique ? Le plus immédiat est la maitrise des discours. La formation vise à permettre aux apprenants d’échanger, de lire, d’écrire dans les situations professionnelles identifiées. Mais on sait que ces discours s’inscrivent dans un cadre culturel qui leur donne sens. Comment comprendre/interpréter par exemple le discours d’une infirmière dans un hôpital français qui dit ne pas pouvoir donner d’information sur l’état d’un patient à la famille qui le lui demande ? Cette réponse n’a de sens et ne peut être comprise que si l’on sait que dans le système hospitalier français c’est le médecin, et non l’infirmière, qui est autorisé à fournir des informations importantes sur l’état d’un patient. Les discours ne révèlent donc pas tout et la compétence linguistique inclut la maitrise de données culturelles. On verra plus loin comment combiner ces deux types de besoins.
Si l’on prend le cas du tourisme qui nous intéresse ici, il faut commencer par distinguer les différents métiers : restauration, hôtellerie, guide, agence de voyage. Ce sont des situations très différentes et un employé exerce dans un seul de ces métiers, jamais dans plusieurs. C’est pourquoi les manuels existants sont généralement spécialisés soit dans la cuisine, soit dans la restauration et l’hôtellerie, soit dans l’organisation de voyages. Voici quelques exemples de contenus de manuels édités :
- confirmer une réservation, accueillir un groupe, informer sur les curiosités locales, décrire un plat, préparer le départ du client (Hotellerie-restaurantion.com, Corbeau et al., 2013)
- informer des voyageurs, proposer une prestation, réaliser un dépliant touristique (Bon voyage, Dussac, 2017)
Cette différenciation n’est toutefois pas absolument systématique. Une méthode comme Le français en contexte – Tourisme (Laygues et Coll, 2013) propose en effet cinq modules, chacun consacré à un champ différent : office de tourisme, agence de voyage, transport, hébergement, évènementiel.
Une seconde distinction est à faire : celle du lieu d’exercice du métier. En effet, la majorité de ces métiers s’exercent en français dans le pays d’origine, à Chypre en l’occurrence, au contact de touristes francophones visitant le pays. C’est le cas pour l’hôtellerie et le métier de guide-accompagnateur. C’est également le cas pour la restauration mais uniquement pour les serveurs, en contact en salle avec la clientèle francophone. En revanche, les cuisiniers travaillent en français (en russe, en allemand, etc.) uniquement lorsqu’ils sont dans un restaurant français ou allemand, ce qui signifie presque toujours hors de leur pays d’origine. Ces données sont importantes pour l’identification des besoins et donc la sélection des situations à traiter dans le programme. En effet, si dans le pays cible (France, Allemagne, Russie, etc.) toutes les situations se réalisent dans la langue cible, il en va autrement dans le pays d’origine où seules les situations au contact des clients étrangers se déroulent dans leur langue. Un agent de voyage utilise la langue étrangère avec ses clients mais pas avec ses collègues. Un guide accompagne ses clients étrangers dans leur langue mais ne lit pas nécessairement dans la langue étrangère les ouvrages dans lesquels il puise les informations qui alimentent ses discours. Un serveur parle en allemand ou en français aux clients du restaurant mais pas au personnel de la cuisine.
3.2 Collecte des données
L’étape suivante consiste à réunir les données. C’est une étape complexe parce qu’elle demande un travail de terrain important qui consiste pour le concepteur de programme à se rendre sur les lieux des métiers concernés pour rencontrer les professionnels et s’informer sur les diverses situations de communication qui constituent leur travail au contact des touristes étrangers.
Ce travail de terrain comporte deux étapes, celle de la recherche d’information qui permet à l’enseignant-concepteur de découvrir le milieu professionnel, et celle du recueil de données matérielles à partir desquelles il construit ensuite son programme de formation, et qui peut être constitué de documents écrits, d’enregistrements de situations de travail, de photos, de vidéos d’entreprise, etc. Au-delà de ces données existantes, il est important de recueillir des données sollicitées (voir Mangiante et Parpette 2004). Les données sollicitées sont les discours provoqués par le concepteur de français sur objectif spécifique qui interroge les professionnels pour les amener à expliciter les situations de communication traitées. Ces données, souvent collectées sous forme d’enregistrements audios ou vidéos, et introduites dans les supports de formation, viennent élucider les données existantes à l’œuvre dans les situations professionnelles, et dessinent l’arrière-plan culturel qui permet de mieux comprendre les situations de communication observables dans un milieu donné (pour la méthodologie de collecte des données, voir Parpette et al. (dir.) 2015) Il peut s’agir de témoignages d’un responsable d’une agence de voyage ou d’un hôtel donnant des informations sur les particularités des groupes russophones, germanophones ou autres, d’un guide évoquant l’histoire des sites touristiques chypriotes, d’un cuisinier décrivant les pratiques culinaires, etc.
Il est important de rencontrer des professionnels en contact avec des clients et partenaires natifs de la langue visée – français, russe, allemand ou autre – et ce pour deux raisons. D’une part, parce qu’ils peuvent témoigner dans la langue cible et ainsi contribuer à constituer des supports de formation linguistique. Un directeur d’hôtel, un agent de voyage, un guide touristique chypriote évoquant son activité en allemand ou en russe fournit à l’enseignant-concepteur des supports linguistiques que celui-ci peut intégrer dans son programme de cours. D’autre part, outre les informations que ces professionnels peuvent fournir sur le déroulement de leur métier, ils peuvent également apporter des données sur la dimension culturelle de leur activité : histoire, règles de travail, conception de la relation avec la clientèle, caractéristiques du public reçu, etc.
3.3 Construction du programme
Le travail de terrain aboutit à la prise de conscience par le concepteur des situations et discours les plus représentatifs à intégrer dans le syllabus. Il n’est naturellement pas possible de représenter dans un matériel pédagogique la totalité d’une profession. Il s’agit tout d’abord de choisir les situations et discours que l’on peut considérer comme prioritaires (comme on l’a vu plus haut pour le Français des médecins) et de les traiter en fonction du niveau du public, ainsi que du temps imparti à la formation.
Le traitement des situations sélectionnées s’appuie sur les données recueillies sur le terrain. Beaucoup de données existantes ne sont pas directement utilisables comme supports de formation, notamment les enregistrements audios ou vidéos qui peuvent être longs, complexes, ou de qualité technique insuffisante. Il s’agit alors de procéder à divers traitements tels que la sélection d’extraits, la simplification (pour les écrits), la reconstitution (pour les données orales). Les données sollicitées sous forme d’interviews, en revanche, deviennent souvent directement des supports de cours dans la mesure où comme toute interview, elles sont préparées avec les interlocuteurs tant sur le plan du contenu que de la durée et de la forme linguistique. Une fois les données traitées et transformées en supports de cours, il reste l’étape d’élaboration des exercices et activités d’enseignement-apprentissage : compréhension de dialogues, jeux de rôles, lecture, écriture, travail de lexique et de grammaire, réalisation de tâches globales, etc.
4 DIMENSION INSTITUTIONNELLE ET PRINCIPE DE RÉALITÉ
La conception de programmes est une activité très lourde qui ne peut pas être assimilée à la préparation de cours. Aucun enseignant ne peut construire un programme sur objectif spécifique dans le seul cadre de ses activités d’enseignement. Le travail de terrain, le traitement des données et l’élaboration des séquences d’enseignement-apprentissage exige un grand nombre d’heures de travail. Cela suppose donc un travail d’équipe et une prise en charge de cette tâche par l’institution qui doit donner aux concepteurs les moyens de réaliser ce travail, en temps et en rémunération.
Nous nous devons cependant d’être réaliste, la démarche prototypique décrite ici est rarement réalisable dans son intégralité. La collecte et le traitement des données en particulier peuvent être très lourds, trop lourds pour une bonne partie des enseignants chargés de ces enseignements. Il faut souvent envisager une solution intermédiaire, celle qui combine
a) ce qu’offre l’édition ;
b) les éléments accessibles sur internet (vidéos, écrits divers) ;
c) un recueil de données sur le terrain local.
Le domaine de l’hôtellerie-restauration et tourisme est assez propice à cette stratégie dans la mesure où c’est l’un des champs les plus anciennement et régulièrement pris en charge par l’édition. Plusieurs méthodes ont été publiées ces dernières années pour le français, par exemple. Créées en France, et mettant en scène des situations professionnelles françaises, elles ne sont pas totalement adaptées à la situation chypriote. On peut illustrer cette réalité à travers quelques exemples. Dans Hôtellerie-restaurantion.com, la quasi-totalité des scènes se déroulent dans un hôtel parisien, l’hôtel de la Paix. Dans Bon voyage, les situations professionnelles renvoient également au contexte français ou francophone, qu’il s’agisse de visites de sites touristiques en France (Le Puy du Fou, la fabrique de parfums de Grasse), ou ailleurs mais organisées depuis la France (voyage à Bruxelles), ou encore d’évènements (le festival de jazz de Nice, la fête de Pampelune en Espagne). Dans Le français en contexte – Tourisme, au-delà des situations standard (arrivée dans un hôtel, réclamations, réservations diverses, etc.), les situations et les informations contextualisées concernent également la France (Le tourisme en France en huit dates, le réseau des transports en France, La Rochelle, dix ans d’histoire, etc.).
Comme on le voit, même si certaines situations mises en scène sont traitées de manière assez indifférenciée par rapport au contexte et sont sans doute utilisables à Chypre, le matériel pédagogique français s’adresse à des professionnels étrangers exerçant en France ou à des touristes visitant la France. Pour correspondre à des situations autres que françaises, le matériel pédagogique doit être élaboré localement, en fonction de chaque pays. C’est ce qui a été fait à la fin des années 90 avec Vacances cubaines par l’École supérieure d’hôtellerie et tourisme de Cuba en collaboration avec le CRAPEL de l’université de Nancy. Les situations se déroulent à Cuba entre des professionnels cubains et des touristes français, les informations historiques et les sites concernent Cuba, et les informations françaises sont en lien avec ce que doit savoir un professionnel cubain sur les touristes français. Cette localisation du matériel pédagogique a été réitérée au début des années 2000 quand Vacances cubaines a été adapté par une équipe du Costa Rica pour devenir Vacances en Amérique centrale. Concernant des langues comme l’allemand ou le russe, il existe également du matériel édité dans le domaine de l’hôtellerie et du tourisme.
Comme indiqué plus haut, le matériel édité offre une base de constitution de programme et d’enseignement importante, mais des modifications et ajouts doivent être réalisés pour les adapter au contexte local, à travers le contact avec les professionnels du tourisme chypriote. Parmi ces adaptations, on peut imaginer :
- pour les guides : la reconstitution de discours enregistrés lors de visites de sites pour les adapter au niveau du public ; l’enregistrement d’interviews de guides, de touristes allemands, russes, ou autres ; le recours aux guides-livres en langues étrangères pour la lecture et le passage de l’écrit à l’oral, etc.
- pour l’hôtellerie-restauration : la reconstitution de dialogues mettant en scène des situations locales, des témoignages de serveurs, cuisiniers, employés d’hôtels, etc.
- pour les agents de voyages : des discussions avec des clients en visite à Chypre, la lecture de dépliants dans les langues étrangères cibles, etc.
Outre l’engagement institutionnel, la conception d’un programme sur objectif spécifique exige une méthodologie : capacité à sélectionner les situations de communication à traiter, à sélectionner des documents supports, à les adapter au niveau des étudiants et au contexte local, à construire des activités de classe. La formation à ce type de méthodologie relève de deux dispositifs : d’une part, des sessions de formation continue pour les enseignants, de l’autre un programme de méthodologie de langue sur objectif spécifique dans la formation initiale des étudiants de langue, futurs enseignants.
5 CONCLUSION
Les programmes sur objectif spécifique se situent à l’interface de la dimension institutionnelle et de la dimension didactique. La première joue un rôle déterminant car c’est l’institution qui peut ou non donner à des concepteurs les moyens de créer des programmes sur objectif spécifique. C’est aussi l’institution universitaire qui intervient dans la formation méthodologique des futurs enseignants de langue. C’est elle qui donne à la dimension didactique les moyens de se réaliser. La compétence didactique des enseignants en matière de langue sur objectif spécifique recouvre avant tout la capacité à explorer un terrain professionnel pour déterminer les besoins langagiers des apprenants dans la perspective de leur intégration professionnelle future. Ce travail de terrain les conduit à la constitution d’un programme de formation linguistique fondé sur les outils proposés par le monde de l’édition combinés à une nécessaire adaptation au contexte local.
Notes
[1] Cadre Européen Commun de Référence des Langues. Publié en 2001, il a pour objectif d’harmoniser entre les pays les programmes d’enseignement des langues et les outils de conception de programmes.
Références bibliographiques
Berchoud, M-J. et Rolland, D. (2004). Recherches & Applications "Français sur objectifs spécifiques : de la langue aux métiers". Paris : CLE International
Bailly, S., Hernandez Vidal, G. (1998). Vacances cubaines. La Havane : Editorial academia.
Chahi, F., Denyer, M. et Gloanec, A. (2018). Défi. Paris : Éditions maison des langues.
Conseil de l’Europe (2001). Cadre Européen Commun de Référence des Langues, Paris : Didier.
Corbeau, S., Dubois, C., Penforms, J-L., Sémichon, L. (2013). Hôtellerie-restauration. (2e édition). Paris : CLE International.
Dussac, E. (2017). Bon voyage ! Paris : CLE International.
Fassier, T. et Talavera-Goy, S. (2008). Le français des médecins. Grenoble : PUG.
Girardet, J., Pêcheur, J., Gibbe, C., et Parizet, M-L. (2016). Tendances. Paris : CLE International.
Laygues, A. et Coll, A. (2013). Le français en contexte – Tourisme. Paris : Edition maison des langues.
Maingueneau, D. (2009). Les termes clés de l’analyse du discours. Paris : Editions du Seuil, coll. Points.
Mangiante, J-M. et Parpette, C. (2004). Le français sur objectif spécifique : de l’analyse des besoins à l’élaboration d’un cours. Paris : Hachette.
Parpette, C., Carras, C. et Abou Haidar, L. (éds.) (2015). Points communs 2, « Méthodologies de collecte de données en FOS ». https://www.lefrancaisdesaffaires.fr/wp-content/uploads/2016/12/Points-Communs_Avril_2015_n2.pdf
RECAFTUR (Réseau centre américain du français du tourisme) (2007). Vacances en Amérique centrale. San Jose : Centro cultural y de cooperacion para America Central.