L’enseignement du français langue étrangère à l’épreuve du bilinguisme : défis, interférences, calques
Angeliki KORDONI, Sorbonne Université Abu Dhabi, Emirats Arabes
Mona WEHBE, Sorbonne Université Abu Dhabi, Émirats Arabes Unis
Résumé
Le présent article aborde dans un premier temps l’enseignement du FLE aux Émirats Arabes Unis et plus particulièrement au sein de Sorbonne Université Abu Dhabi. Il s’appuie sur un entretien de groupe avec nos étudiants, destiné à mieux cerner leurs difficultés dans l’apprentissage du FLE. À partir de là, nous nous sommes intéressées à un échantillon de copies d’étudiants, afin d’identifier les emprunts et les calques récurrents venus de la langue maternelle. Ce travail nous a permis de mieux comprendre l’origine des erreurs syntaxiques et sémantiques de nos apprenants, inconsciemment influencés par leur langue maternelle ou seconde et leur tendance à traduire de l’arabe ou de l’anglais au français.
Bilinguisme - Contact des langues - Didactique du FLE - Enseignement supérieur - Interférences
Abstract
The article first focuses on the teaching of FFL in United Arab Emirates and more specifically at Sorbonne University Abu Dhabi. It is based on a group interview with our students intended to better understand their difficulties in learning the FFL. We were also interested in studying a sample of copies of students in order to identify the recurring loan-words and the calques coming from the mother tongue. This work allowed us to better understand the origin of the syntactic and semantic errors of our students, unconsciously influenced by their mother tongue or their second language and their tendency to translate from Arabic to French or from English to French.
Bilingualism - Contact of languages - FFL teaching - Higher Education - Interferences
1. L’enseignement du français aux Émirats Arabes Unis
Cet article traitera de la complexité et des enjeux de l’enseignement du français langue étrangère au sein de Sorbonne Université Abu Dhabi. En premier lieu, il présentera le contexte académique ainsi que l’organisation des enseignements dispensés dans le Département de FLE. Ensuite, il se focalisera sur les résultats d’une étude réalisée au sein du département de FLE comprenant un entretien de groupe avec une de nos classes ainsi que l’analyse de 80 copies d’expression écrite. L’objectif de cette étude était d’identifier les difficultés rencontrées lors de l’apprentissage de la langue française.
La politique d’attractivité de la France aux Émirats Arabes Unis est nourrie par un partenariat stratégique privilégié, une coopération politique étroite, des échanges économiques et des projets emblématiques dans les domaines culturels et éducatifs. Conformément à un accord de coopération signé en 1975, un conseiller pédagogique fut détaché à la rentrée 1977 auprès du Ministère de l’Éducation et de la jeunesse des Émirats. Quelques années plus tard, en janvier 1982, il fut officiellement acté que le français devait devenir la deuxième langue étrangère obligatoire dans tous les établissements scolaires à partir de la première classe du secondaire aussi bien dans les sections littéraires que scientifiques. L’application de ces réformes rencontra cependant des difficultés notamment causées par de fortes résistances parmi les courants les plus conservateurs du pays. À cela s’ajouta la crise pétrolière qui eut des répercussions directes sur la politique d’enseignement du français aux Émirats. En 1988, le Ministère de l’Éducation retira le français des programmes de l’enseignement public en invoquant des raisons budgétaires. L’Ambassade de France proposa néanmoins l’introduction du français dans les établissements privés et en 1993, on comptait 18 000 apprenants du FLE répartis dans 80 établissements (données recueillies lors de l’exposition : « L’enseignement du français langue étrangère à l’époque du Cheikh Zayed, 1974-2004 », présentée par Luc Chantre à Sorbonne Université Abu Dhabi en octobre 2018).
Depuis la rentrée scolaire 2019, le français est réintroduit dans dix écoles pilotes de l’enseignement public émirien. Celles-ci seront jumelées avec les écoles françaises aux Émirats Arabes Unis afin de favoriser les échanges et de partager les évènements culturels au sein du réseau des enseignants de FLE. Cette réintroduction du FLE est le symbole d’une relance du dialogue franco-émirien.
Le réseau éducatif français repose désormais sur une université (Sorbonne Université Abu Dhabi), une école supérieure (l’INSEAD), trois Alliances françaises, six établissements scolaires et un Institut français qui participent tous activement au développement de la francophonie aux Émirats. Les apprenants du français étudient principalement dans les Alliances françaises, les écoles privées et Sorbonne Université Abu Dhabi. Par ailleurs, d’après les chiffres de l’Institut français, plus de 1 600 élèves ont passé les examens du DELF junior et du DELF prim en 2017 aux Émirats arabes unis.
Sorbonne Université Abu Dhabi, en coopération avec l’Ambassade de France, conduit des actions de formation pour animer un réseau de 450 enseignants de français dans l’ensemble du pays. Ces actions incluent des ateliers pédagogiques ainsi que des formations d’habilitation pour les correcteurs-examinateurs des épreuves DELF. Une centaine de professeurs issus de 80 établissements sont habilités chaque année à l’issue des formations organisées par l’Ambassade. Enfin, l’Ambassade a coordonné, en lien avec le CIEP, l’organisation du BELC régional, séminaire annuel d’une semaine destiné à former les professeurs de FLE à de nouvelles méthodes pédagogiques.
2. Étudier à Sorbonne Université Abu Dhabi
Dans ce contexte favorable au français, dans ce rapprochement entre les peuples, la langue française constitue un formidable atout pour les jeunes Émiriens. Sorbonne Université Abu Dhabi délivre le même diplôme que Sorbonne Université à Paris et il s’agit de la seule université aux Émirats, membre de l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie). Les cours étant dispensés en français, les étudiants doivent être titulaires d’un baccalauréat français ou présenter lors de leur inscription un certificat de niveau B2. Dans le cas contraire, les étudiants s’inscrivent au département de FLE afin d’atteindre le niveau nécessaire pour s’inscrire en Licence.
Avec chaque année un effectif de 150 à 170 étudiants majoritairement arabophones (et une augmentation de 35 % à la rentrée 2019-2020), le département de FLE est en effet celui dont l’effectif est le plus important. L’année académique se répartit sur deux semestres de seize semaines de cours chacun. Les étudiants suivent des programmes intensifs de 23 heures hebdomadaires pendant une année académique à la fin de laquelle ils passent un Diplôme d’Université. Celui-ci valide l’assiduité des étudiants et leur maîtrise linguistique et il sanctionne une formation d’une ou deux années universitaires en langue française.
Comme plusieurs études le relèvent, un nombre considérable d’étudiants arrivent à l’université sans avoir été informés, pendant leurs études secondaires, sur les études supérieures les mieux adaptées à leur profil et à leurs capacités (Attali, 1998 : 35). Dans la société émirienne, le choix des étudiants est souvent orienté par leur environnement familial. Cette réalité nous a incitées à interroger nos étudiants sur les raisons qui les ont poussés à choisir notre établissement. Nous avons en effet constaté que la famille joue un rôle primordial et que dans de nombreux cas, la décision parentale est presque indiscutable. Les parents souhaitent souvent que leurs enfants intègrent une université française afin d’obtenir un diplôme de renommée mondiale, de qualité reconnue et leur garantissant un prestigieux emploi au sein de la société. La maîtrise de la langue française est pour eux une marque de distinction et de prestige. Comme les étudiants nous l’ont expliqué, l’apprentissage du français ouvre les portes des compagnies françaises, voire celles du Louvre Abu Dhabi, opportunités de travail à ne pas laisser passer, selon leurs explications. La plupart de nos étudiants étant bilingues (arabe-anglais), la maîtrise d’une troisième langue constitue un atout professionnel. En outre, ils soulignent que cela leur facilitera les voyages dans des pays francophones et la découverte de nouvelles cultures.
3. Cadre théorique et hypothèses de recherche
Face à un public d’apprenants maîtrisant deux langues et donc deux visions du monde différentes, les approches intralinguistique et interculturelle semblaient nécessaires à l’apprentissage d’une troisième langue : le français. Ce public arabophone parlant couramment l’anglais rapproche inconsciemment l’arabe, langue maternelle ou l’anglais, langue de scolarisation, dont il maîtrise les règles, au français, afin de mieux comprendre les mécanismes de cette langue étrangère.
Bien que la langue maternelle (LM) arabe soit souvent considérée comme la langue première (L1) ou la langue source, elle a souvent un statut de langue seconde (LS), puisque la plupart de nos étudiants ont été scolarisés dans un système américain ou britannique. Le problème des interférences est d’autant plus complexe qu’il ne repose plus seulement sur deux langues, mais sur trois : deux langues sources, l’anglais et l’arabe, puis le français.
Dans un contexte de ce type, il nous a paru intéressant d’identifier les interférences translinguistiques repérées dans nos classes. Par « interférence », on désigne les « influences complexes entre les langues étrangères pratiquées par un locuteur et sa langue maternelle » (Cuq, 2013). Comme Vogel (1995) l’explique, l’apprenant prend appui dans sa langue maternelle pour y puiser des formes, des structures et des moyens d’expression qu’il maîtrise bien et qui viennent combler les lacunes en langue étrangère. De fait, il y a interférence « […] quand un sujet bilingue utilise dans une langue cible, un trait phonétique, morphologique, lexical ou syntaxique caractéristique de la langue L1 » (Kannas, 1994 : 252). Selon Hamers (1994 : 178), « L’interférence se manifeste surtout chez des locuteurs qui ont une connaissance limitée de la langue qu’ils utilisent », ceux-ci transférant « le plus souvent inconsciemment et de façon inappropriée des éléments et des traits d’une langue connue dans la langue cible » (Hamers et Blanc, 1983 : 452). En ce sens, les apprenants transfèrent inconsciemment de façon inappropriée des éléments de structure et des caractéristiques de leur(s) langue(s) maternelle(s) dans la langue cible.
Face à un public d’apprenants arabophones parlant couramment l’anglais, nous nous trouvons confrontées à une démarche involontaire de leur part qui consiste à rapprocher le français de l’anglais pour deviner le sens des mots (interférences lexicales), pour prononcer certains mots (interférences phonétiques) ou encore pour déduire les règles de grammaire (interférences morphologiques) et l’ordre des mots (interférences syntaxiques). D’autres encore restent très influencés par les structures internes de la langue arabe.
C’est ici que la notion d’interlangue prend tout son sens. En effet, définie comme étant « dans les situations d’apprentissage d’une seconde langue, […] un système intermédiaire plus ou moins stabilisé fondé sur la présence simultanée d’éléments appartenant à chacune des langues en présence » (Dubois et al., 2012 : 253), la notion d’interlangue prend ici une toute autre dimension dans la mesure où le public en situation d’apprentissage est d’ores et déjà bilingue.
Les études des processus d’enseignement de la langue doivent traiter des similitudes et différences entre la langue maternelle et la langue étrangère. Le contact des langues est l’une des causes principales des erreurs observées chez les étudiants en raison du passage d’une langue à l’autre. La linguistique contrastive permet en effet de comparer les systèmes linguistiques de deux ou plusieurs langues et de prédire les erreurs des apprenants afin de faciliter l’enseignement et l’acquisition (Fisiak, 1981).
Nous avons émis comme première hypothèse que pour s’exprimer en français, nos apprenants reproduisent des structures identiques à l’anglais et à l’arabe avec lesquelles ils sont familiers. Nous nous sommes donc intéressées aux types d’interférences auxquelles nous avons eu affaire et les avons recensées afin de mieux appréhender la manière de réfléchir de nos apprenants d’une part, et de trouver les meilleures réponses à leurs difficultés de l’autre. Nous avons également supposé que les interférences ont le plus souvent des répercussions négatives si la langue source est éloignée de la langue cible. Nous avons cependant considéré que les interférences n’ont pas que des effets négatifs dans le cadre de l’enseignement/apprentissage des langues étrangères : la parenté généalogique des langues permettrait aux apprenants d’exploiter les proximités lexicales, morphologiques, syntaxiques afin d’accéder plus facilement à la langue cible. Variant leurs stratégies d’apprentissage, les apprenants rechercheraient donc des analogies, des similitudes et des proximités linguistiques entre les langues. Ainsi, ils ont souvent recours à leur langue première ou seconde pour identifier des mots et des expressions « transparents » qui pourraient faciliter la compréhension.
4. L’enseignement du FLE à l’épreuve du bilinguisme : difficultés, défis, pistes didactiques
Les interférences mentionnées ci-dessous, relevées chez des apprenants de FLE (niveaux A1-B1), ne constituent qu’un petit échantillon de notre recherche. Pour recueillir nos données, nous avons eu recours aux copies d’expression écrite de 80 apprenants de niveau A2+, majoritairement bilingues (arabophones et anglophones). Parallèlement, nous avons organisé un entretien de groupe semi-directif qui a permis à nos apprenants d’identifier et de décrire leurs difficultés concernant l’apprentissage de la langue française.
Les interférences et les difficultés les plus nombreuses étaient d’ordre morphosyntaxique. De manière générale, les apprenants arabophones et anglophones ont des difficultés à saisir le système grammatical français qui, contrairement à l’anglais, comporte de nombreuses exceptions. De fait, la grammaire anglaise est généralement plus abordable et, comme nos étudiants nous l’ont expliqué lors de l’entretien, ils peuvent maîtriser l’anglais sans forcément en comprendre la structure ou en maîtriser la grammaire. Cela est dû au fait qu’ils apprennent l’anglais très tôt dans leur scolarité. Son apprentissage coïncide parfois avec le processus d’acquisition de la langue maternelle, les enfants répétant des structures, apprenant par mimétisme sans en avoir conscience. Or, la maîtrise de la langue française est souvent corrélée avec la maîtrise des règles grammaticales, idée répandue selon laquelle la connaissance du fonctionnement et de la structure de la langue cible conduit à l’appropriation de celle-ci (Abdel Fattah, 2017, 41). Comme certains apprenants l’ont expliqué, maîtriser le fonctionnement de la langue cible est un facteur sécurisant et un repère rassurant.
Les données recueillies ont montré que les apprenants tentent souvent de mettre en correspondance le système de leur LM ou de leur LS avec celui de la langue cible. Tout d’abord, nous avons constaté que les apprenants rencontraient des difficultés avec le genre des noms. En effet, peu de règles permettent de l’identifier ou de le marquer en français, contrairement à l’arabe qui dispose d’une marque finale du féminin (le phonème [a], la lettre ة ta marbouta). Les apprenants auront tendance à utiliser le même genre qu’en arabe. Ainsi, ils diront « le chaise », nom masculin en arabe, et non pas féminin comme en français. Cette difficulté en entraîne une autre : celle de l’accord. Une erreur sur le genre du nom cause automatiquement une faute d’accord. On obtiendra alors « *le grand chaise du professeur ». Parallèlement, l’article défini the en anglais, et el en arabe valent pour les deux genres.
Les apprenants anglophones rencontrent des difficultés dans le choix entre l’auxiliaire être et avoir. L’influence de l’anglais est ici un élément central. On trouve ainsi, très souvent, l’utilisation du verbe être à la place du verbe avoir par assimilation à l’anglais. Notre corpus nous a permis de repérer des phrases telles que :
« *Je suis 24 ans » par assimilation à la structure anglaise « I am 24 years old ».
« *Je suis très faim ! » par assimilation à la structure anglaise « I am very hungry ! ».
« *Il est très froid » par assimilation à la structure anglaise « It is too cold ».
Un problème assez récurrent chez les apprenants arabophones est la traduction de la langue maternelle à la langue cible. À titre d’exemple, les étudiants demandent régulièrement la traduction ou l’équivalent anglais ou arabe de tous les mots qu’ils rencontrent comme par exemple une étudiante qui nous demandait non pas la traduction du mot « là-bas », mais la traduction de « là » puis de « bas ». Ce point est assez révélateur de la conception très traditionnelle qu’ils ont de l’apprentissage. C’est ici qu’intervient l’influence anglophone de nos apprenants à laquelle nous avions recours afin de leur faire remarquer que, pour apprendre une nouvelle langue, on ne doit pas traduire systématiquement tous les mots que l’on rencontre. On leur demandait, par exemple, de nous donner la traduction, en arabe, du verbe anglais to have. Ils réalisaient alors qu’il est impossible de trouver en arabe une traduction exacte du verbe avoir. Ainsi, grâce à cette démarche contrastive, à cette mise en contexte, nous avons pu surpasser l’écueil et faciliter l’assimilation de la langue des étudiants.
En outre, l’omission courante du verbe copule être s’explique par la phrase dite « nominale » composée en arabe d’un nom ou d’un groupe de noms accompagné d’un attribut. Le verbe être est sous-entendu. Ce point explique parfaitement l’omission récurrente du verbe être dans des phrases telles que : « انا طالب « Ana talib » « *Je étudiant » pour dire « Je suis étudiant » ou encore أنا إماراتي « Ana Emarati » « *Je émirien » pour dire « Je suis émirien ». Par ailleurs, nous avons constaté des difficultés liées à la place de l’adjectif dans la phrase, presque systématiquement placé avant le nom qu’il qualifie, mais aussi des interférences dans l’ordre des mots qui, en français donnent un sens différent de l’anglais : « *Une intelligente étudiante » par assimilation à la structure anglaise « a smart student » ou encore « *Je te manque » par assimilation à la structure anglaise « I miss you ».
Les interférences lexicales englobent, entre autres, les phénomènes de calques ou des marques transcodiques : « des marques dans le discours qui renvoient d’une manière ou d’une autre à la rencontre de deux systèmes linguistiques » (Lüdi, 1987, 2). Nous avons repéré ainsi des phrases de type :
« *Une publique place » par assimilation à la structure anglaise « A public place ».
« *Marie est courte » au lieu de « petite » par assimilation à « Marie is short ».
« *Un couple de jours » par assimilation à « a couple of days ».
Lors de notre entretien, les apprenants ont fréquemment mentionné que la distance entre ce qu’on écrit et ce qu’on entend ou dit est souvent contrariante. En effet, l’orthographe constitue pour eux une des plus grandes difficultés de l’apprentissage du français. Ils écrivent fréquemment le mot comme ils l’entendent, surtout dans les premiers temps de l’apprentissage. Ainsi, on rencontre fréquemment des mots ayant subi l’influence de la prononciation arabe ou des transcriptions phonétiques comme obzerve] pour « observe » (confusion entre le phonème /s/ et /z/) ou encore ojourdhui] pour « aujourd’hui (transcription phonétique). L’influence de la prononciation arabe et anglaise sur les apprenants est à l’origine d’autres interférences phonétiques. Ceux-ci remplacent souvent un son ou un phonème de la langue cible par un autre qui lui ressemble dans leur langue maternelle. Puisque l’arabe ne possède pas de phonème pour [p], nos apprenants ont tendance à prononcer Baris] au lieu de « Paris ». L’influence de la langue maternelle est également significative en ce qui concerne la prononciation des voyelles. En arabe, il n’existe que les voyelles « a », « i » et « ou », d’où la prononciation cinima] pour « cinéma » et icoule] pour « école ».
Les interférences culturelles sont également un élément important dans le processus d’apprentissage d’une langue. Nous avons constaté que les apprenants adoptaient des comportements différents selon leur culture. De ce fait, nos apprenants arabophones posent, pour la plupart, trop de questions et souvent des questions personnelles qui frisent l’indiscrétion selon les standards d’un francophone. Ils ont aussi tendance à trop se rapprocher physiquement du professeur ou de leurs camarades et ne trouvent pas la bonne distance à garder avec l’interlocuteur. Ce comportement est perçu comme une marque d’affection dans la culture arabe mais d’irrespect dans la culture française ou occidentale ; en effet, dans la culture française, le respect de la délimitation spatiale physique et langagière est important. Il y a une proximité affective à adopter dans la discussion. Tout dépend des conventions sociales que notre culture nous dicte. Il en est de même concernant le tutoiement et le vouvoiement. Ce dernier est un signe de respect et impose une distance respectueuse, en rapport avec l’âge et la fonction sociale. Il est donc considéré comme le comportement approprié des étudiants vis-à-vis des enseignants. De plus, le tutoiement entre les étudiants inscrits en Licence peut être problématique en classe. En effet, les apprenants arabophones tutoient dès le premier abord leurs camarades francophones là où certains étudiants francophones préfèrent le vouvoiement, signe de respect à l’égard de camarades de classe qu’ils ne connaissent pas encore. Ce comportement est perçu comme une marque d’affectivité dans la culture arabe mais comme de l’irrespect dans la culture française ou occidentale ; en effet, dans la culture française, le respect de la délimitation spatiale physique et langagière est important. Cela pourrait aussi constituer une interférence qui serait causée par l’anglais où il n’y a pas de différence entre le « tu » et le « vous ». En outre, afin de vérifier l’acquisition des réalisations discursives permettant de décrire une tenue vestimentaire et de faire des achats dans un magasin, nous avons proposé à nos apprenants un dialogue entre un client et un vendeur dans un magasin. La consigne était de retrouver l’ordre exact des différentes répliques constituant le dialogue entre le vendeur et le client. Tous les apprenants ont placé la réplique du client qui demande le prix à la fin du dialogue. En France, on peut commencer en demandant le prix avant d’essayer le produit. Ce comportement les a étonnés dans la mesure où, aux Émirats, demander le prix avant d’essayer le produit manifeste un manque de courtoisie. De la sorte, les apprenants s’aperçoivent automatiquement du décalage comportemental qui existe entre les différentes cultures.
Baignant dans une société pluriculturelle, leur adaptation à une deuxième ou même à une troisième langue devrait être facilitée. D’un point de vue cognitif, l’idéal serait d’apprendre les coutumes relatives au pays de chacun, les uns des autres et c’est ce qui constituerait la richesse de nos classes. Cette ouverture à l’autre n’en serait que plus productive. En ce sens, le plurilinguisme ne serait plus perçu comme une contrainte mais comme un passage transitoire de la langue source vers la langue cible. Ainsi, en faisant le lien entre la structure de la langue maternelle et celle du français, l’apprenant pourrait mieux en comprendre le mécanisme.
5. Conclusion
Il est important de souligner que l’enseignement et l’apprentissage du FLE dans le contexte des Émirats Arabes Unis n’est pas toujours une tâche facile, compte tenu du public bilingue, venu d’horizons et de cultures différents, au cœur du Golfe Persique, dans un seul objectif : apprendre le français. Notre expérience de l’enseignement du français nous a permis de comprendre que certains étudiants arabophones ne maîtrisent pas correctement leur langue maternelle, ni son métalangage. Malgré leurs lacunes langagières, les étudiants utilisent l’anglais qui reste la première langue de communication aux Émirats. C’est ainsi que le bilinguisme, qui devrait être une richesse culturelle, constituait souvent un obstacle majeur à franchir.
Les interférences des langues sont certes responsables des erreurs observables chez les apprenants mais elles sont également intéressantes car, dans certains cas, elles permettent de faciliter l’apprentissage de la langue étrangère. En effet, un regard rétrospectif sur nos approches d’enseignement nous permet de constater que le bilinguisme ne devrait pas constituer réellement un obstacle, mais au contraire, être une opportunité, un outil indispensable et supplémentaire à l’apprentissage du FLE, ouvrant la voie à un contact interculturel et à une comparaison enrichissante. Grâce à la démarche comparative, le rapprochement de la langue maternelle et de la langue cible simplifie le processus d’apprentissage de la langue française, les langues ayant toutes des moyens d’exprimer les mêmes choses même si les mécanismes sont parfois différents. En réalité, la diversité culturelle et linguistique, de même que la diversité des approches sont des outils indispensables à l’enseignement du FLE, surtout en contexte bilingue, ou plurilingue de manière plus générale. Ces outils permettent de créer une interaction favorable à l’apprentissage d’une nouvelle langue, favorisent l’intercompréhension, notamment grâce à la démarche comparative, et enfin, ils valorisent l’ensemble des acteurs de la classe de FLE.
Pour conclure, il faut rappeler que l’éventail de questions abordées dans ce travail et l’échantillon étudié restent modestes. Une enquête de terrain plus vaste permettrait d’affiner l’analyse et fournirait des résultats plus détaillés concernant les interférences. L’identification des difficultés et l’analyse des erreurs de nos apprenants présentent un intérêt didactique primordial dans la mesure où cette approche permettrait dans un second temps de sélectionner les stratégies didactiques les plus appropriées compte tenu des obstacles attendus.
Références bibliographiques
Abdel Fattah, F. (2017). Les représentations de la grammaire : un éclairage précieux. EDL Études en Didactique des langues. Représentations et stéréotypes. Toulouse : IUT A - Université de Toulouse, n. 28.
Attali, J. (1998). Pour un modèle européen d’enseignement supérieur : rapport de la commission présidée par Jacques Attali. Paris : Éditions Stock.
Cuq, J.-P. (2003). Dictionnaire de didactique du français. Paris : Clé International.
Dubois, J., Giacomo, M., Guespin, L., Marcellesi, C., Mercellesi, J.-B., et Mevel J.-P. (2012). Le dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Larousse : Paris.
Fisiak, J. (1981). Contrastive Linguistics and the Language Teacher. Oxford : Pergamon.
Hamers, J.-F. (1994). Interférences. Sociolinguistique. Concepts de base. Bruxelles : Mardaga.
Hamers, J.-F., Blanc, M. (1983). Bilingualité et bilinguisme. Bruxelles : Mardaga.
Kannas, C. (1994), Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris : Larousse.
Lüdi, G., et Py, B. (1986). Être bilingue. Berne : Peter Lang.
Vogel, K. (1995). L’interlangue - la langue de l’apprenant. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail.