Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

Innover les programmes de FLE et d’études françaises : baguette ou Versailles... camembert ou d’Alembert ?

Isabelle DOTAN, Université Bar-Ilan, Israël
Silvia ADLER, Université Bar-Ilan, Israël


Résumé
À travers une enquête initiée il y a déjà trois ans, nous nous interrogeons sur la manière dont les étudiants des cours de FLE du département de culture française de l’Université Bar-Ilan se représentent la France et la langue française, afin de mettre à jour non seulement nos programmes d’études, mais aussi les méthodes d’enseignement. Dans une perspective plus large, les résultats de cette enquête sont traduits en stratégie de promotion de nos cours, à l’heure où les sciences humaines sont de plus en plus en défensive.


Abstract
Through a survey initiated three years ago, we examine the way in which students of French as Foreign Language courses given by the department of French Culture at Bar-Ilan University visualize France and the French language, in order to update our study programs, as well as our teaching methods. In a broader perspective, the survey’s results are translated into promotional strategies, at a time when the Humanities are increasingly on the defensive.


1. INTRODUCTION

Le département de culture française de l’université Bar-Ilan propose à ses étudiants francophones et non-francophones diverses filières d’études qui aboutissent, chacune, à un diplôme académique (BA, Master ou Doctorat). Parallèlement à ces diverses options, le département propose aussi des cours de FLE, obligatoires pour quelques-unes des filières aboutissant à un diplôme académique, mais qui sont aussi ouverts à tous les étudiants de l’université, indépendamment de leurs orientations.

Les raisons pour lesquelles les cours de FLE sont en grande demande parmi les étudiants externes à notre département sont multiples : besoin d’une langue étrangère supplémentaire dans le cadre des études académiques, surtout pour les diplômes avancés de Master ou Doctorat ; besoin de crédits universitaires généraux ; besoins personnels. Les cours de FLE, toujours peuplés, servent donc un public hétérogène à mobiles variés. Il en va tout autrement pour les filières qui amènent à des diplômes académiques issus du département, où l’on constate une permanente baisse des effectifs, situation alarmante puisque c’est de ces effectifs que dépend la survie départementale.

En effet, à partir des années 2000, le nombre des départements de langue et culture françaises dans les universités israéliennes s’est réduit, situation due, entre autres, au fait que dans plusieurs lycées israéliens le français n’est plus disponible comme deuxième langue étrangère en parallèle à l’arabe, et après l’anglais : nombreux sont les établissements scolaires qui ne proposent plus du tout ni cours en français, ni crédits en français pour le baccalauréat. Autrement dit, le lycée ne constitue plus un tremplin naturel vers un diplôme académique en français.
Cette situation pourrait paraitre surprenante face aux importantes vagues d’immigrations francophones en Israël ces dernières années (Raviv, 2012), suite auxquelles le français est entendu plus que jamais dans les rues de Tel Aviv et Jérusalem ; de nombreux cafés, boutiques et restaurants choisissent de porter un nom français, et la ville de Netanya présente la version locale de la Côte d’Azur française, pour ne donner qu’un échantillon rudimentaire des effets relatifs à cette importante présence démographique.

On aurait pu s’attendre à ce que cette nouvelle ambiance de francité dans le pays stimule un nouvel intérêt pour le français et pour la France dans les départements d’études françaises mais cela ne s’est pas produit. Peu sont les étudiants qui s’intègrent dans le département de français comme étudiants « titulaires », à part entière, voire qui poursuivent des études aboutissant à un diplôme en langue et culture française.

Face à ce contexte qui appelle une mise à jour ou une personnalisation des contenus de nos cours ainsi qu’une adaptation de nos méthodes d’enseignement, nous avons initié, il y a trois ans, une enquête qui avait pour but non seulement de mieux saisir la façon dont les étudiants se représentent la France, mais aussi les raisons relatives à leur choix du français.

Dans ce qui suit (§ 3), on s’interrogera ainsi

 sur les motivations des étudiants qui « consomment » les cours de la filière FLE (étudiants qui pourraient potentiellement passer au statut d’étudiants « titulaires » du département) ;
 sur la manière dont ces étudiants se représentent la France et la langue française.

Comme déjà énoncé, l’idée initiale derrière cette enquête était le renouvellement, dans la mesure du possible, du programme d’études (Dotan, 2017). Dans une perspective plus large, cette enquête devait nous éclairer aussi sur la meilleure stratégie de promotion de notre département face à une compétition de plus en plus accrue avec des disciplines considérées par les étudiants comme plus pratiques pour leur avenir professionnel et, par conséquent, face au déclin général, en Israël (Avivi, 2014) et dans le monde (Kernan, 1997 ; Pomian, 2010 ; Berubé & Ruth, 2015 ; Wieviorka & Moret, 2017), des disciplines appartenant aux sciences humaines.

En ce qui concerne le sondage, il ne sera question, dans la présente étude, que de la représentation de la France et de la langue française par les étudiants. Abstraction sera faite des aspects relatifs aux pistes marketing ou à l’étude du marché.

Avant de traiter des données et des enjeux relatifs au sondage et pour mieux apprécier les résultats qui en découlent, la section 2 ci-dessous permettra de comparer le contexte local au contexte international, en ce qui concerne le statut de la France et du français.

2. LA FRANCE ET LE FRANÇAIS
2.1. Le contexte global

En décembre 2007, dans son article In search of lost time - The Death of French Culture, le journaliste Donald Morrison (Morrison, 2017) du magazine Time annonça la mort de la culture française. Morrison blâmait l’obsession des producteurs culturels français pour le français alors qu’au moment de la parution de l’article, le français n’est placé qu’au douzième rang parmi les langues les plus parlées au monde, et que les organes majeurs de critique et de promotion culturelles commencent à être de plus en plus localisés aux États-Unis et en Angleterre. De surcroît, le journaliste déplore que la politique de subvention des autorités culturelles françaises décourage les productions privées au profit de productions publiques qui, selon lui, sont médiocres ou amoindries par la politique de protection des industries culturelles. Morrison fait allusion au nombrilisme outré des intellectuels français [1] qui s’auto-prospectent à outrance au lieu d’observer la France et le monde ; ces constatations iraient de pair avec le fait que la fiction étrangère se vendait très bien en France à l’époque de la parution du reportage, insinuant par-là que le public français lui-même en aurait assez (Ibid. : 32).

Le journaliste français Olivier Poivre d’Arvor riposta à Morrison un mois plus tard, en janvier 2008, dans un article – en anglais – intitulé Living proof of a vibrant culture (Poivre d’Arvor, 2008). Poivre d’Arvor faisait allusion à tous les grands ouvrages et aux noms d’artistes et intellectuels français reconnus de par le monde qui prouvent que la culture française se porte très bien non seulement grâce à ses citoyens mais aussi grâce à sa capacité d’intégrer des artistes étrangers. Il prétendait d’ailleurs que sur ce dernier point, la France « a une sacrée longueur d’avance » et terminait sa plaidoirie avec une liste de 350 artistes français ou étrangers accueillis et exerçant en France. Qui plus est, lorsqu’à la fin de l’année 2008 Le Clézio reçut le prix Nobel de littérature, Poivre d’Arvor ramena sur le tapis les accusations de Morrison.

Quoi qu’il en soit, on constate que les Français continuent toujours à déployer leurs efforts pour détenir le flambeau de la culture mondiale, efforts décuplés par les nombreuses activités dispensées par les Instituts français de par le monde.
Une enquête effectuée le 12 septembre 2017 sur Google à partir des mots-clés « languages ranking importance [2] » et selon divers critères spécifiques révèle que le français se trouverait tantôt en 2e, tantôt en 3e place et, sur la plupart des sites, dans la première dizaine des langues prestigieuses et influentes [3] (Weber, 1999). Le « Power Language Index (PLI) » du World Economic Forum place le français en 3e place « grâce à son prestige en diplomatie internationale » (Chan, 2016). Le français est placé après l’anglais et le mandarin mais avant l’espagnol et l’arabe. Les différents placements de langues dominantes proposés par les nombreux sites traitant de la question, permettent de conclure que le français est considéré comme une vieille dame très cultivée, très respectée et bien vivante envers et contre tout.
En outre, en mars 2014, les super-optimistes du magazine américain Forbes (Gobry, 2014) ont proclamé que le français « pourrait devenir la langue du futur », puisque, selon leurs prévisions, en 2050, l’Afrique deviendrait une véritable « serre de croissance économique rapide [4] ».

2.2. Le contexte local

Plutôt que le statut de la langue française ou celui de la France et son héritage culturel, le contexte local israélien place au centre de ses préoccupations les relations diplomatiques entre la France et Israël [5]. Depuis la fondation du nouvel état israélien, celles-ci ont directement influé sur la hausse ou le déclin de l’intérêt pour la langue et la culture françaises. À ce titre, en décembre 2000, le magazine France Culture édité par l’Ambassade de France en Israël a publié, sur une dizaine de pages, une interview entre un célèbre journaliste israélien francophone, Emmanuel Halperin, et l’ambassadeur sortant de l’ambassade de France, Jacques Huntzinger. Ce dossier spécial, s’intitulant France-Israël, Je t’aime, moi non plus [6], tentait de relever les événements qui avaient mené aux divers malentendus et tensions entre les deux pays. Ce magazine a entretemps disparu, ce qui pourrait en lui-même constituer un signe…

En 2006, Gérard Benhamou a produit un documentaire de 52 minutes portant le même nom que le dossier de France Culture et qui cherchait à retracer les grandes étapes historiques de la relation franco-israélienne, en matière d’événements, épisodes et protagonistes qui ont directement et largement influé sur les rapports entre les deux pays (Benhamou, 2006). Dans la présentation du film il est dit :

Incompréhension, divergences parfois violentes, le couple France-Israël a vu se creuser ces dernières décennies le fossé entre deux pays autrefois proches. A certains moments essentiels de l’histoire, les chemins de Paris et de Jérusalem se sont croisés ou éloignés, dessinant ainsi les contours d’une relation faite de grands élans d’amitié mais aussi de déceptions (Benhamou, 2007).

Après avoir sondé le passé, le dossier ainsi que le film ont analysé les conséquences des événements sur l’intérêt et l’amour ultérieur des israéliens pour la « prestigieuse culture et la langue française » qui auraient fortement diminué (Crosbie, 1974 ; Heimann, 2010 ; Dotan, 2015). Les changements socio-politico-culturels éveillent, certes, de nouveaux défis non seulement pour les institutions promouvant la culture française mais aussi pour les professeurs de français en milieu universitaire (Ben-Rafael & Levy, 1991). Dans leur Sociologie et sociolinguistique des francophonies israéliennes, Eliezer et Miriam Ben-Rafael vont jusqu’à suggérer que :

Une autre source de francophonie est […] en train de prendre corps. Il s’agit d’une néo-francophonie qui n’est pas à négliger. Dans le contexte de l’attitude généralement appréciative de la population israélienne à l’égard du français ainsi que dans celui de la globalisation qui valorise l’apprentissage de langues étrangères de large diffusion dans le monde, on constate en effet que des centaines, voire des milliers, d’Israéliens de milieux non-francophones sont intéressés par l’acquisition de cette langue. Les motivations sont individuelles et pour la plupart du temps strictement instrumentales (Ben-Rafael, 2013 : 248).

Une « néo-francophonie » serait en effet en marche en Israël, si ce n’est que par le témoignage de nos étudiants dont les motivations dans le choix du français sont liées à des intérêts nouveaux et divers.
Au département de français de l’université Bar-Ilan, sur une centaine d’étudiants, environ 35% sont francophones et 65% hébréophones, arabophones, russophones, amharicophones. Ces deux groupes se répartissent dans deux filières différentes et cela d’après leur niveau de français :

 francophones (ressortissants français, franco-israéliens de naissance [7] ou titulaires d’un bac israélien en français) poursuivant la filière « langue et littérature », où les cours sont dispensés en français ;
 Autres : ces étudiants s’intègrent dans la filière « culture française », où les cours sont dispensés en hébreu. En parallèle, ces étudiants suivent des cours de français (ou en français) durant leurs trois années de licence.

Toujours est-il que les effectifs – ceux grâce auxquels le département est subventionné par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), ce sont des étudiants à part entière dans une des filières aboutissant à un diplôme académique en français – ne sont pas impressionnants, pour dire la moindre des choses.

3. SONDAGES
3.1. L’intérêt pour la langue française et sa représentation

C’est dans ce contexte de baisse des effectifs que nous avons initié notre premier sondage, en 2015. Mené sur une cinquantaine d’étudiants, ce sondage révèle deux motivations principales pour apprendre le français. A la question : « Pourquoi étudier le français ? », 35 % ont répondu par « besoins académiques ou autres » et 34 % ont répondu « pour la beauté de la langue » :

 [8] [9]

On remarque donc que les raisons techniques sont en première place mais à un pourcent près de l’argument de « beauté de la langue française ».
Lors du sondage de 2017 – mené lui aussi sur une cinquantaine d’étudiants, mais quelque peu différent de celui de 2015 – nous avons posé trois questions relatives à la langue française :

 À la première question « Pourquoi avez-vous choisi d’étudier le français ? Donnez cinq raisons qui motivent votre choix du français (et non une autre langue étrangère disponible sur le campus) », on constate que les raisons techniques (pratiques) sont en tête mais presqu’en ex-aequo avec la beauté de la langue. Ensuite leur choix est lié à leur volonté d’élargir leur culture générale ainsi qu’à un désir ou une intention de vivre ou de voyager en France ou dans un autre pays francophone.

 À la deuxième question : « Comment percevez-vous / appréhendez-vous la langue française ? », on voit que le critère dominant est à nouveau la beauté de la langue. Voici quelques exemples de réponses traduites de l’hébreu selon leurs propres termes : langue « qui coule », « qui se joue sur la langue », « romantique, amoureuse, sexy », etc. En second lieu se trouve la difficulté du français (« prononciation difficile », « beaucoup de lettres pour un seul son », « beaucoup de temps grammaticaux »). En troisième place, on découvre que le français est retenu comme « langue de culture » et enfin, près de 8 % considèrent négativement la langue française ou sans aucune particularité intrinsèque (« snob », « comme n’importe quelle autre langue »).

 À la troisième question relative à la langue, nous avons demandé aux étudiants de compléter l’énoncé suivant : « Le français est la langue de… ». Ici, on constate que les facteurs principaux sont l’art de vivre et la culture, puis diverses raisons pratiques (langue utile, langue de France, langue des loisirs, etc.) et enfin la beauté.

Quand on analyse les réponses individuelles de la partie du sondage relative à la langue française, on remarque une fascination pour la mélodie, la musique, le son, l’accent, la prosodie du français. Cette espèce d’insight nous a conduit à personnaliser nos cours de FLE niveaux débutant et avancé pour, d’une part, mieux répondre à l’attente du public – en consacrant les premières leçons à la prosodie, à la prononciation, à la mélodie particulière du français, plutôt qu’à l’acquisition rudimentaire du vocabulaire et de la syntaxe de base. D’autre part nous avons voulu prévenir la fuite des étudiants car pendant les deux premières semaines de chaque semestre, ils ont le droit de modifier le choix de leurs cours. Ainsi, alors qu’autrefois les étudiants étaient exposés dès le départ à la complexité de la grammaire française, ils sont désormais séduits – dès le tout début – par la mélodie du français produite de leurs propres moyens : cela évite la perte d’étudiants au détriment d’autres langues étrangères enseignées dans le campus. Ainsi, durant les premières leçons, nous travaillons sur un lot de phrases choisies qui leur permet de se présenter et de poser des questions de bases. Nous n’entrons pas dans des explications théoriques de syntaxe ou d’orthographe. À la place, nous focalisons nos énergies sur la manière d’énoncer ces phrases de façon fluente comme le ferait un francophone. Là réside l’apport modeste du sondage.

3.2. L’intérêt pour la France et sa représentation

En ce qui concerne la représentation de la France, le sondage mené en 2017 dans les cours de FLE révèle les résultats suivants : À la question « La France est le pays de… » :
 41.02 % ont répondu par des mots-clés révélant l’aspect culturel de la France (culture, art et artistes, musées, littérature, histoire, ballet et danse, etc.)
 38.46 % ont répondu par des mots-clés révélant l’art de vivre français (esthétique, style, beauté, mode, gastronomie, pâtisserie, romantisme et amour, politesse, vacances, jardins, « liberté, égalité, fraternité »)
 10.25 % ont répondu par des mots-clés révélant l’intérêt touristique de la France (voyage, ski, beaux paysages)
 10.25 % témoignent d’autres critères mineurs.

Nous avons également distribué un questionnaire à un total de 30 étudiants répartis dans deux de nos cours de culture française, l’un dispensé en hébreu, l’autre en français. Le questionnaire était composé de 5 questions, dont trois traitant de la France de façon directe et deux autres, de façon indirecte. Les questions directes étaient :

  1. Comment vous imaginez-vous la France ?
  2. Statut de la République française : plutôt positif ou plutôt négatif ?
  3. Statut de la culture française : plutôt positif ou plutôt négatif ?

Les réponses à la question no 1 témoignent tout d’abord d’une France « historique, artistique, esthétique, belle, berceau de la civilisation occidentale », autrement dit, c’est l’aspect culturel de la France qui reçoit une attention particulière. Ensuite, la France est le pays de « l’art de vivre » (laïcité, élégance, gastronomie) et enfin un pays prisé des touristes.
À la question no 2 concernant le statut de la République française : 43.3 % retiennent actuellement une image négative, 33.3 % positive, et 23.3 % sans avis.

À la question no 3 concernant le statut de la culture française, on constate 76.6 % positif, 16.6 % négatif et 6.6 % sans avis.

Les réponses aux deux autres questions ne traitant pas de la France de façon directe indiquent quand même certains intérêts au-delà de la stricte thématique de chacun des cours :

  1. Pourquoi avez-vous choisi ce cours ?
  2. Quelles sont vos attentes ?

À la première question et selon les mots-clés récoltés nous distinguons en tête l’aspect culturel et l’art de vivre (24 mots-clés) puis l’aspect touristique de la France (10 mots-clés) et enfin la commodité du cours (4 réponses). À la seconde question, c’est la soif et le plaisir de la culture française (12 mots-clés), le désir de connaître l’art de vivre et la France comme destination touristique qui séduisent les étudiants (12 mots clés).

En dépit du statut assez déplorable de la France du point de vue de sa politique gouvernementale et institutionnelle, tel qu’il ressort de notre enquête, les réponses laissent entrevoir que notre public aime la France pour ce qu’elle a à offrir principalement d’un point de vue culturel et pour son art de vivre (gastronomie, loisirs, pratiques culturelles, etc.). Autrement dit, les étudiants séparent les relations diplomatiques et la politique en général de l’héritage culturel français. Tout en étant conscients des aspects politiques et de la diplomatie France-Israël, les étudiants ont choisi intentionnellement le français comme langue étrangère.
À cette première dichotomie s’en ajoute une autre, relative à la constitution du public dans ces cours. Les réponses laissent en effet entrevoir que les étudiants plus âgés – pour la plupart en auditeurs libres qui ne comptent pas parmi nos effectifs départementaux – viennent pour s’enrichir et raviver la nostalgie de la France du vingtième siècle ; ils sont férus du Paris d’autrefois, des classiques de la chanson et de la littérature françaises ; pour eux, la France est le pays de Brassens, Aznavour, Balzac, Hugo, Truffaut, Marcel Marceau, etc. Par contre, le critère qui sous-tend le choix des jeunes étudiants, dont l’avenir professionnel dépend en grande partie des études académiques, est prioritairement pratique et de toute façon dénué de nostalgie, même s’ils connaissent souvent les chansons françaises des années 60-80 qui courent sur les stations-radio, certains films-cultes français ou encore la BD franco-belge de production classique. Pour ces étudiants, la représentation de la France serait le résultat de deux facteurs : la récente immigration de Juifs Français en Israël (Beaumont, 2015) et un renouveau général pour la culture française populaire (Sales, 2012) telle qu’elle est présentée dans les médias aussi bien israéliens qu’internationaux ainsi que par les institutions françaises en Israël. En d’autres termes, pour ces étudiants, l’intérêt pour les grands chanteurs de la musique française, les poètes et les metteurs en scène est remplacé par le tourisme, la culture contemporaine et surtout l’art de vivre à la française. L’apprentissage de la langue octroyant des connaissances encore plus élargies dans leurs domaines d’intérêt et offrant éventuellement des possibilités d’étude ou de travail en France, devient alors un atout.

Il en ressort aussi qu’un des sujets les plus prisés et relatifs à la France en Israël actuellement serait la gastronomie qui, depuis une dizaine d’années, est également devenue un sujet de recherche universitaire égal à tout autre en France. En Israël, ce sont les nombreuses émissions de téléréalité culinaires qui semblent avoir influencé notre public ; certains de nos étudiants désirent suivre des cours dans les écoles Cordon bleu, écoles de pâtisserie, et autres institutions culturelles de renommée en France (Écoles d’art, de danse, de musique, etc.).

Ces constatations nous ont amené à mettre en place un cours intitulé « L’art de la gastronomie française », parmi la sélection de nos cours ouverts à un large public. Ce cours attire en effet un grand nombre d’étudiants et de toute façon paraît plus attrayant de nos jours qu’un cours général sur Paris. Nos auditeurs libres d’un certain âge auraient bien aimé s’inscrire dans un cours où l’on ravive les vedettes nostalgiques, surtout que dans le passé Paris et la France, représentant le lieu suprême de la culture, la beauté et l’amour – ainsi d’ailleurs que d’autres destinations touristiques en général – n’étaient pas accessibles à tout le monde en Israël. Dans le contexte de globalisation actuel, il va sans dire que les cartes sont remaniées.

4. CONCLUSION

Comme il a déjà été mentionné dans l’introduction, notre sondage a eu pour but initial de mieux personnaliser les cours de culture française ainsi que les cours de français, tous ouverts à l’ensemble du campus. Ultérieurement, il nous a permis de viser des pistes de marketing effectives selon de nouvelles thématiques. Il est vrai qu’en matière d’effectifs estudiantins propres à notre département, nous ne pouvons – hélas – pas déclarer réussite ; nous n’avons pas trouvé de formule magique et on se bat pour chaque étudiant potentiel qui pourrait enrichir nos rangs de classe. Par contre, les modifications introduites au programme suite aux insights retenus à partir du sondage ont mené notre département à remporter une mention d’excellence trois années de suite. Or, le fait d’exceller, qui attire l’attention du public universitaire et des autorités académiques, nous donne une voix qui se fait entendre et qui nous permet de dialoguer avec la direction académique et d’ainsi faire face à la menace constante qui plane non seulement sur notre département mais aussi sur les facultés des lettres partout en Israël et ailleurs. Grâce aux insights retenus dans le sondage et – par conséquent – à l’adaptation des thématiques et des méthodes d’enseignement qui nous ont valu trois prix d’excellence, on a réussi à renverser l’image de « fardeau budgétaire » qui nous aurait souvent été attribuée par les autorités universitaires en un îlot d’atout et d’excellence intellectuels et culturels favorable à l’éthos universitaire.


Notes

[1Introspection qui serait née des suites du mouvement du Nouveau roman. (Morrison, 2007 : 32).

[2Google, consulté le 12 septembre 2017 : Languages Ranking Importance

[3La liste de George Weber classe les 10 langues les plus influentes en tenant compte de six critères : la langue maternelle (4 points maximum), la langue seconde (4 points maximum), le pouvoir économique des pays utilisant la langue (8 points maximum), nombre de domaines majeurs de l’activité humaine dans lesquels la langue est importante (8 point maximum), nombre de pays et leur population utilisant la langue (7 points maximum), prestige socio-culturel de la langue (4 points maximum + 1 point si la langue est langue officielle des Nations Unies).

[4“fast growing economic power-house”

[5Voir «  Israël : réduction des relations diplomatiques  », Le Figaro Actu Flash, (27 décembre 2017) http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/12/27/97001-20161227FILWWW00067-israel-reduction-des-relations-diplomatiques.php

[6D’après la chanson de Serge Gainsbourg «  Je t’aime, moi non plus  ».

[7Précisons, en ce qui concerne ce dernier groupe, qu’il peut s’agir d’étudiants étant nés en Israël dans des familles francophones ayant immigré en Israël ou bien de Français ayant immigré en Israël à un âge précoce : en général, il s’agit d’un public qui maîtrise bien l’oral à l’exclusion de l’écrit, ou qui maîtrise l’oral mieux que l’écrit. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de personnes qui reconnaissent l’avantage du français comme deuxième langue étrangère (pour la communication, le travail, etc.) et qui sont motivés par un besoin d’améliorer leur maîtrise de la langue (rafraichir leur niveau de français, combler les lacunes grammaticales, etc.).

[8Travail / recherche / conserver son français / connaître une 3e langue étrangère / pour recevoir des crédits académiques / pour pouvoir lire en français.

[9Étudiants régulièrement exposés à la langue française (nés en Israël de parents francophones  ; personnes ayant vécu en France  ; personnes ayant une famille française ou vivant dans un contexte francophone) mais n’ayant jamais appris la langue de façon systématique.


Références bibliographiques

Sources académiques
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