Revue Méthodal

Méthodologie de l'enseignement-apprentissage des langues

La démarche interculturelle pour travailler les divergences culturelles dans l’enseignement/apprentissage du FLE en contexte universitaire français

Angélique MASSET-MARTIN, Université d’Artois, Arras, France


Résumé
La diversité linguistique et culturelle est caractéristique des publics d’étudiants d’échange de l’université en France. De même que leur motivation, leur ouverture d’esprit, leur envie de découvrir d’autres cultures qui les a amenés à tenter l’expérience de l’altérité en immersion. Il serait dommage de ne pas s’appuyer sur tous ces aspects lors de la constitution des séances de FLE/FOU, ce que nous essayons de faire depuis quelques années auprès de nos étudiants de l’université d’Artois. Nous partons de notre expérience pour montrer comment il est possible de travailler sur les points communs et les différences entre langues et cultures (française mais aussi celles qui sont présentes dans le groupe-classe) dans le cadre d’une démarche interculturelle, démarche que nous présentons en détail. L’exemple des expressions idiomatiques, qui relèvent à la fois de la langue et de la culture et qui sont présentes dans de très nombreuses langues, nous servira d’illustration pour montrer comment adapter cette démarche en classe de FLE, tout en gardant à l’esprit ses limites.


Abstract
Linguistic and cultural diversity is typical of the student exchange of the university in France. Likewise, their motivation, their open-mindedness, their desire to discover other cultures led them to try the experience of otherness in immersion. It would be a shame not to rely on all these aspects during the training of the French as a foreign language / French on academic purpose, which I try to do for some years with our students at the University of Artois. I start from my experience to show how it is possible to work on the similarities and differences between languages and cultures (French but also those present in the group-class) as part of an intercultural approach, a process that we let us present in detail. The example of idiomatic expressions, that both belong to language and culture, are present in many languages and will serve me as an illustration to show how to adapt this approach in the FFL class with also its limits.


1. Introduction

Chercheuse en didactique du FLE/FOU et enseignante de français auprès des étudiants étrangers (étudiants d’échange avec des universités partenaires, ou venant à titre individuel), nous avons été confrontée à des publics hétérogènes depuis notre recherche doctorale. Nous sommes actuellement amenée à réfléchir aux méthodes et pratiques didactiques pertinentes qui répondraient au mieux aux attentes, envies, motivations, objectifs d’étudiants venus étudier en France pour un semestre ou deux. Nous avons donc choisi ici de nous pencher sur l’approche interculturelle, car nous pensons que la prise en considération des langues/cultures de nos apprenants est primordiale, qu’elle est source de motivation. Dans un premier temps nous présenterons donc notre public de manière détaillée. Puis nous montrerons en quoi il peut être pertinent de travailler, auprès des « Erasmus », dans une démarche interculturelle pour les amener à une réflexion sur les divergences (et les convergences) entre les cultures des langues en présence et de la langue cible, le français. Nous finirons en proposant quelques pistes didactiques visant à illustrer notre propos.

2. Présentation de notre contexte d’étude

En premier lieu, nous pensons utile de décrire notre contexte d’étude car, comme l’écrit très justement Jean-Claude Beacco :

Mettre en place des enseignements de culture-civilisation [1] adaptés à un public et/ou à une institution suppose de dégager les situations d’enseignement que l’on prendra en considération pour moduler ces formes de présence de la culture-civilisation dans la classe de langue (Beacco, 2000 : 45).

L’enseignant doit tenir compte de ces différents paramètres qui permettent de caractériser un public et qui influencent l’apprentissage d’une langue étrangère. Nous reprendrons les quelques éléments de Beacco (Op. Cit.) visant à décrire une situation éducative [2]. D’abord, le niveau de nos étudiants. Il oscille de B1 à C1 avec des disparités suivant les différentes compétences évaluées, ce qui nous permet d’aller au-delà de la simple comparaison interculturelle (Cf. ci-dessous). Une autre variable décrite par l’auteur est celle de l’âge, c’est-à-dire de « l’expérience sociale de l’apprenant » (2000 : 47). Nos étudiants ont entre 20 et 30 ans et ont fait la démarche de venir en France. Ils ont donc certainement une « compétence sociale » et une « expérience du monde » plus développées que celles des jeunes enfants :

L’insertion des adultes dans le monde de la production, leurs responsabilités de citoyen, leur implication (ou leur absence d’implication directe) dans la vie démocratique ou l’action démocratique ou l’action politique devraient avoir des incidences sur leur culture sociale et politique, c’est-à-dire sur leur capacité à identifier, à interpréter et à réagir à des phénomènes de société non connus d’eux au sein de leur propre milieu social et culturel » (Beacco, 2000 : 48).

Jean-Claude Beacco trouve important également de prendre en compte l’institution éducative en raison des contraintes pesant sur les choix relatifs aux objectifs d’enseignement. La contrainte principale pour nous est celle de la durée de la formation (30 h par semestre) qui nécessite d’aller droit au but.

Les besoins des étudiants sont définis en début de semestre à l’aide d’un questionnaire visant également à connaitre leurs centres d’intérêts et leurs envies concernant le cours de FLE/FOU. Il s’avère que leurs besoins se situent surtout au niveau de la production orale (échanger avec les autres étudiants, avec les enseignants et être capables de parler en continu lors d’un exposé) et de la compréhension orale (des cours notamment), l’objectif ultime étant de valider le semestre passé en France. Mais leurs envies sont tout autres et très variées bien que chaque semestre nous retrouvions des constantes : histoire et politique de la France, littérature contemporaine, jeux de mots, expressions idiomatiques, entre autres exemples. Il est intéressant de noter cette attirance pour la culture, les apports culturels étant rares dans leur pays, parce que, nous disent-ils, leurs enseignants ne sont pas natifs francophones. Leur immersion doit leur permettre de combler des « lacunes » en quelque sorte, que celles-ci se situent à l’oral ou dans le domaine culturel. En somme, « Entre les besoins langagiers et les désirs culturels, il y a des équilibres à construire et à négocier » (Beacco, 2000 : 50), cette négociation étant possible grâce au niveau des étudiants qui peuvent exprimer leurs attentes. L’enseignement/apprentissage se déroule en contexte homoglotte dans lequel « […] les apprenants ont à accomplir des actes sociaux, relationnels, pratiques » (ibid. : 58). Ils se posent également beaucoup de questions face à ce qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne, et attendent de la classe et de l’enseignant qu’ils y répondent (ibid.). C’est ici un des gros atouts, et cela joue un rôle important quant à la motivation, d’autant plus que ces étudiants ont choisi notre cours parmi beaucoup d’autres. Cependant, cette motivation initiale est à préserver, d’où notre volonté de répondre au mieux à leurs attentes ou envies. De plus, comme la France est un choix volontaire et parfois mûrement réfléchi, les attitudes envers la culture française sont bien souvent positives, de même que les représentations [3], ce qui n’empêche pas les malaises culturels, les mécompréhensions à l’origine de certaines des demandes faites concernant les contenus des cours. C’est la raison pour laquelle il peut être intéressant de mettre en place la démarche interculturelle au sein des séances que nous avons à assurer auprès de ce public aux exigences toutes particulières. Enfin, il est primordial évidemment, dans une perspective interculturelle, de prendre en compte les langues et cultures présentes. Nos groupes sont chaque année différents, très hétérogènes, mais avec quelques similarités : les étudiants chinois par exemple sont toujours très représentés [4]. Nos étudiants maitrisent au moins deux langues, souvent plus, et possèdent des capacités métalinguistiques suffisamment poussées pour leur permettre de réfléchir et de discuter non seulement sur des phénomènes linguistiques, mais aussi culturels.

3. Enseigner les divergences et les convergences entre langues/cultures grâce à la démarche interculturelle

La démarche interculturelle est intéressante pour deux raisons : d’abord parce qu’elle prend en considération toutes les langues/cultures du groupe-classe, ensuite parce qu’elle part de la comparaison, qui de fait a toujours existé, pour aller plus loin, jusqu’à une forme de reconstruction des représentations. Le terme « culture » est très difficile à circonscrire, nous choisissons de suivre la définition, succincte certes, mais englobante, de Philippe Blanchet :

Une culture est un ensemble de schèmes interprétatifs, c’est-à-dire un ensemble de données, de principes et de conventions qui guident les comportements des acteurs sociaux et qui constituent la grille d’analyse sur la base de laquelle ils interprètent les comportements d’autrui (comportement incluant les comportements verbaux, c’est-à-dire les pratiques linguistiques et les messages) (Blanchet, 2007 : 21).

Plusieurs objectifs sont inhérents à l’approche interculturelle parmi lesquels :

 Développer le respect et la compréhension de l’Autre ;
 Dépasser la peur d’entrer en relation avec autrui étant donné les risques que cette relation implique, puisque les systèmes de valeurs et de croyances sont différents ;
 S’éloigner de l’ethnocentrisme par un processus de décentration « […] et ce, afin de favoriser sa propre connaissance à travers la rencontre de l’autre. En d’autres termes, pour connaitre l’autre, il est important de comprendre que l’on est un étranger pour lui », (Barthélémy, 2016 : 22) ;
 Acquérir une compétence interculturelle c’est-à-dire savoir repérer et gérer les incompréhensions et les mécompréhensions qui ne manquent pas d’apparaitre dès lors que l’on entre en contact avec d’autres cultures (Puren, 2013 : 10).

Jean-Marc Mangiante (2015 : 121) propose un cheminement qui se compose de quatre étapes :

N°1 : la phase contrastive (ou étape comparative) qui a pour but de susciter naturellement un sentiment de curiosité pour la culture étrangère chez l’apprenant. Dans le cadre de nos cours, où l’hétérogénéité culturelle règne, nous avons pu remarquer l’intérêt porté par nos étudiants aux cultures des autres, et plus seulement à la culture française/francophone [5]. La comparaison est naturelle et fait irruption dès que des questions sont posées aux uns et aux autres sur leurs habitudes alimentaires, sur l’humour, la gestuelle, la perception du temps, etc. Seulement il semble qu’en rester à cette première phase ne permette pas d’aller au-delà des stéréotypes et des préjugés, ce qui est pourtant nécessaire. Mais surtout, l’immersion en contexte homoglotte entraine fréquemment des moments de mécompréhensions ou de malaise, et le cours de FLE est pour les apprenants le moment privilégié pour en parler, pour les interpréter puis les comprendre. C’est à ce moment-là que l’on peut se diriger vers l’étape suivante.

N°2 : la phase d’intercompréhension culturelle vise à une prise de conscience des points de convergences entre la culture cible et la culture source par l’apprenant. Le but étant d’amener les apprenants à passer d’une vision souvent ethnocentrique à une forme de relativisme culturel en prenant conscience qu’ils « […] partagent des valeurs et des principes communs (la place du spirituel, la famille, le couple […] mais déclinés différemment dans les formes sociales qu’ils prennent », (Mangiante, 2015 : 124). Une discussion entre nos apprenants permet cette prise de conscience, mais nous pensons qu’il est possible de travailler cet aspect de manière plus systématique. L’objectif étant de se décentrer (prendre du recul) et de relativiser en identifiant les implicites culturels et en prenant conscience de ses propres filtres. C’est ici que peut intervenir une réflexion sur les stéréotypes et les préjugés.

N°3 : la phase d’empathie a pour objectif de faire en sorte que l’apprenant se mette à la place du locuteur natif dont il apprend la langue en intériorisant la culture de ce dernier afin de mieux le comprendre. Arrivé à cette étape, l’apprenant a découvert, comparé et observé un phénomène culturel plus ou moins nouveau, il a su dépasser son regard ethnocentrique. Les jeux de rôle ou les simulations sont les activités phares de cette étape.

N°4 : la phase de reconstruction des représentations, ambitionnant chez l’apprenant une reconstruction de l’image de l’autre et surtout de la représentation de lui-même.

[…] il [l’interculturel] s’effectue dans un double mouvement, celui de la découverte de la différence dans la culture étrangère, accompagné d’un second, complémentaire, de distanciation et de relativisation par rapport à sa propre culture. (Barthélémy, 2016 : 23).

À ce stade, l’apprenant a acquis une compétence interculturelle, il est en mesure d’accepter le fait qu’aucune culture n’est supérieure à l’autre et que son système culturel de référence n’est pas le seul. C’est sans doute l’étape la plus difficile à mener à son terme. De plus, nos étudiants étant en immersion, il peut être utile de confronter les représentations qu’ils avaient avant leur arrivée en France et celles qu’ils en ont au bout de quelques semaines.

Cette démarche dans son ensemble a le mérite de fournir des « clés » quant au travail à mener dans une perspective interculturelle. Elle présente toutefois des limites : elle demande beaucoup de temps pour être menée à terme, et des prédispositions de la part des apprenants qui ne relèvent plus nécessairement des prérogatives de l’enseignant. Elle exige aussi une certaine maturité et un certain recul, et l’enseignant se doit d’être un médiateur culturel « compétent ».

4. Quelques pistes didactiques

Nous choisissons de travailler à partir des besoins, mais aussi des demandes et des envies de notre public, comme par exemple l’étude des expressions figées et plus particulièrement des expressions idiomatiques et des proverbes [6]. En effet, nos étudiants ont très vite conscience de leurs lacunes dans ce domaine à leur arrivée en France, ils ne comprennent pas et ont le sentiment de « passer à côté » de la conversation (a fortiori quand l’humour fait son apparition [7]). Les codes sociaux, la manière d’entrer en contact avec l’autre, la politesse, les faux-amis, les emprunts, les systèmes d’écriture, etc. sont aussi des points à étudier. Certaines réactions d’interlocuteurs français sont difficilement interprétables par nos étudiants, qui profitent du cours de FLE pour « décoder » ce qui n’a pas fonctionné lors de l’interaction exolingue. Le malaise ressenti par le non-natif, quand il entre véritablement en contact avec l’Autre, parce qu’il ne comprend pas la langue ou la culture de ce dernier, justifie donc le recours à une approche interculturelle. Ceci étant, il est intéressant de remarquer que nos étudiants Erasmus ne mentionnent jamais la syntaxe ou la phonétique quand nous leur demandons ce qu’ils aimeraient travailler. Comme si la langue et la culture n’étaient pas intrinsèquement liées [8], et comme si surtout, parce qu’ils sont en immersion, la culture et sa compréhension primaient.

Nous faisons l’hypothèse que la phraséologie, qui est l’analyse des expressions figées, se prêterait bien à une démarche interculturelle et que la phraséodidactique c’est-à-dire l’enseignement/apprentissage des parémies, collocations et expressions idiomatiques est un domaine à privilégier en FLE dans une telle perspective de « confrontation » des langues/cultures. En effet, les expressions figées appartenant au patrimoine culturel de la langue sont chargées de culture, d’implicites sociaux et culturels, et par conséquent, chercher leurs équivalents dans d’autres langues peut conduire l’étudiant à s’interroger sur ce que véhicule sa propre culture (par exemple avec les expressions comportant des noms d’animaux ou des noms bibliques).

Isabel Gonzalez-Rey (2007) va même plus loin en suggérant d’introduire les expressions figées dès les débuts de l’apprentissage et non en attendant un niveau avancé. Et elle précise :

En fait, dans une expression donnée, plus l’image et le concept sont éloignés, plus ils frappent l’imagination des individus. […] il convient de présenter d’abord des expressions à syntaxe régulière mais à sémantisme surprenant, et liées à des concepts différents (casser les pieds = ennuyer, jeter le bébé avec l’eau du bain = se débarrasser d’un problème, avaler sa langue = ne plus parler). Le choix des expressions doit se faire avec précaution car certaines peuvent être très désuètes et d’autres très actuelles mais éphémères » (2007 : 30).

Il n’est pas difficile de se pencher sur les expressions imagées dans une démarche de comparaison et d’intercompréhension culturelle (étapes 1 et 2 de la démarche), une fois le choix des expressions fait [9]. Une première activité, qui va déclencher la parole et lancer le thème du cours, peut consister en des questions assez générales telles que par exemple : « Cite deux expressions idiomatiques que tu connais et que tu aimes dans la langue française », « Cite une expression que tu trouves vraiment bizarre. Pourquoi ? », « Traduis en français une expression que tu aimes ou trouves bizarre dans ta langue », etc. Nos étudiants ont un assez bon niveau (Cf. partie 1) et connaissent déjà l’existence de ces expressions. Cette activité leur permet généralement d’obtenir des éclaircissements par rapport à celles qu’ils entendent dans leur vie quotidienne, à l’université et en dehors. Notre choix porte donc sur des expressions très souvent employées, et un point de départ que nous aimons utiliser est un document authentique [10]. Il est demandé de relever les expressions entendues, puis d’essayer d’en donner une définition. Il existe énormément de possibilités pour travailler ces expressions : partir d’images et essayer de trouver le message qu’elles transmettent par exemple, afin de faire élaborer des hypothèses sur la signification de telle ou telle image, l’expression qu’elle véhicule, etc. ; proposer des exercices d’appariement ; faire des comparaisons interlinguistiques ; expliquer l’origine de certaines expressions dans une perspective historique ; regrouper les expressions suivant qu’elles comportent toutes un nom d’animal, de couleur, d’une partie du corps, etc. ou en fonction de la manière dont elles sont construites (beaucoup commencent par un verbe à l’infinitif).

Il est par contre sans doute beaucoup moins aisé d’entrer en empathie et de redécouvrir en quelque sorte sa propre culture (étapes 3 et 4 de la démarche) avec ce type de thème, mais ce n’est pas impossible. Des jeux de rôles sont envisageables (ex : un étudiant interagit avec un autre qui a pris la place d’un francophone dont le discours est truffé de tellement d’expressions imagées, qu’il peine à se faire comprendre) ; de même que des échanges interculturels autour des expressions idiomatiques les plus fréquentes dans chaque langue, pour faire réaliser à chacun qu’il a en effet du mal à comprendre certaines expressions françaises, mais qu’inversement, d’autres auraient du mal à comprendre celles de sa langue. L’étudiant doit prendre aussi conscience que la traduction littérale est impossible parce que même si certaines expressions sont totalement équivalentes d’une langue à l’autre (jugar al gato y al raton (esp) = jouer au chat et à la souris) la plupart ne le sont que partiellement (to put the cart before the horse (ang mettre la charrue avant les bœufs), voire pas du tout. Du fait du niveau de nos étudiants et de leur parcours qui les a amenés, pour la plupart, à apprendre plusieurs langues étrangères, une réflexion métalinguistique sur les expressions figées est donc envisageable (à la fois sur leur construction, leur condition d’utilisation, leur forme et leur sens) ce qui va permettre une meilleure mémorisation. Il est à ce moment-là possible de faire des hypothèses sur ce qui est véhiculé par telle ou telle expression dans telle ou telle langue et de travailler les représentations de chacun sur sa langue/culture.

Pour finir, nous aimerions mentionner un article qui illustre parfaitement notre propos. Il s’agit de celui de Yu Qian (2010), qui a travaillé avec ses étudiants chinois, sur les spots publicitaires français autour de la nourriture. Il a montré comment le document authentique est pertinent dans une approche interculturelle, mais ce sont ses conclusions qui nous intéressent tout particulièrement. En effet, il a pris conscience, avec ses étudiants, d’une réalité propre à sa culture (chinoise), quand, au détour d’un travail sur les expressions idiomatiques de la nourriture portant sur les équivalences entre les expressions françaises et chinoises, il s’est rendu compte « […] que le riz occupe une grande place dans les expressions idiomatiques et les proverbes » (2010 : 4). Il ajoute, et c’est bien là tout l’enjeu de l’approche interculturelle, que les étudiants ont ainsi réalisé que

[…] leurs points de vue, leurs visions du monde ne sont pas universels et que chaque culture organise différemment sa relation à l’espace, au temps, à la nature, etc. Ceci aide nos étudiants à se décentrer de leur propre culture, à comprendre ‘les autres’ de l’intérieur et à porter un regard nouveau et approfondi sur leur monde ». (ibid : 4).

5. Conclusion

L’importance de la prise en compte des cultures en présence dans les classes n’est plus à démontrer. Au sein d’un groupe culturellement hétérogène, la démarche interculturelle a toute sa place, dans le but d’une meilleure compréhension de ces cultures (la culture française, en cours de découverte, la culture des autres membres du groupe et la culture personnelle de chacun). Certains points de langue, comme les expressions idiomatiques se prêtent plus facilement à cette démarche. Nous ne prétendons pas qu’il faudrait procéder de cette manière tout le temps, ni que la démarche est facile à mettre en place, encore moins que la reconstruction des représentations personnelles sera systématique ou possible dans un si court laps de temps. Mais cela a cependant le mérite d’aller au-delà de la comparaison et de se faire s’interroger les étudiants sur les stéréotypes qui circulent, et plus globalement sur la notion de culture.


Notes

[1Terme qu’il préfère à celui de culture.

[2À l’exception de «  la nature des publics d’apprenants  », critère non pertinent dans notre cas, puisque Jean-Claude Beacco insiste sur le cas des étudiants non-spécialistes en langue étrangère, alors que la plupart des nôtres au contraire ont pour but de devenir enseignants de français ou traducteurs, ou sont inscrits en littérature française ou comparée.

[3«  Au sens large, les représentations peuvent être considérées comme des façons d’organiser notre connaissance de la réalité, elle-même construite socialement  ; elles sont directement liées à notre appartenance à une communauté  », (Collès, 2013 : 79).

[4Pour l’année 2018-2019, au premier semestre, notre groupe se composait de 22 étudiants : 5 Chinois(es), 5 Serbes, 4 Bosniennes, 2 Polonaises, 2 Tchèques, 1 Russe, 1 Roumaine, 1 Italienne, 1 Espagnole (de langue maternelle arabe).

[5Intérêt qui a poussé certains d’entre eux d’ailleurs à envisager l’apprentissage qui de l’arabe, qui du chinois ou du russe.

[6Gonzalez-Rey (2007 : 25) englobe dans les expressions idiomatiques, les formules routinières, les expressions familières et les locutions imagées.

[7À ce propos, il est intéressant de noter que quand nous demandons aux étudiants, natifs ou non, ce qu’est pour eux «  être bilingue  », comprendre l’humour de la langue cible est généralement la première réponse donnée. Mais l’humour peut être à double tranchant car il peut ne pas être compris, être mal interprété : «  On rit dans toutes les cultures, mais pas de la même manière ni dans les mêmes circonstances  », (Collès, 2013 : 212).

[8Or, la langue est porteuse de culture, ce qu’a très bien montré, par exemple, Jean-Marc Mangiante dans son article de 2011.

[9Des propositions, nombreuses et variées, sont faites par exemple dans les ouvrages de Gonzalez-Rey (2007) et Chaves et al. (2012).

[10Par exemple, un sketch de Muriel Robin portant sur les expressions françaises. L’humoriste les prend au 1er degré, ce qui évidemment n’a aucun sens et provoque donc le rire (poser un lapin, prendre le taureau par les cornes, etc.).


Références bibliographiques

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